Procédure devant la cour :
I. Par une requête n° 18NC01750 enregistrée le 19 juin 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 19 septembre 2018, M.D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 28 mai 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier et approfondi de sa situation ;
- son droit d'être entendu qu'il tient de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été respecté ;
- elle méconnait les dispositions de l'alinéa 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors qu'il est mineur ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
II. Par une requête n° 18NC01752 enregistrée le 19 juin 2018 et un mémoire complémentaire enregistré le 19 septembre 2018, M.D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) de surseoir à l'exécution du jugement n° 1801454 du 4 juin 2018 sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il se prévaut des mêmes moyens que ceux invoqués dans la requête n°18NC01750 ;
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 décembre 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet des requêtes.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. D...n'est fondé.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 juillet 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...Bauer,
- et les observations de Me E...représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 18NC01750 et 18NC01752 présentent à juger les mêmes questions et concernent la même personne. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
2. M.D..., ressortissant ivoirien né, selon ses déclarations, le 22 décembre 2001, est entré en France irrégulièrement le 2 mars 2017 et s'est présenté auprès des services du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle afin d'être pris en charge en qualité de mineur isolé le 2 mars 2017. A la suite d'un rapport du 4 mars 2017 ayant fait état d'un doute quant à la minorité de l'intéressé au regard des documents d'identité présentés, les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ont saisi le procureur de la République. Une expertise en fraude documentaire a ainsi été diligentée de même qu'un examen clinique et médico-légal. Parallèlement, par un jugement du 19 juin 2017, le juge des enfants près le tribunal de grande instance de Nancy a ordonné que M. D...soit confié à l'ASE pendant un an. Le procureur de la République a formé un appel contre le jugement précité du juge pour enfants, auquel la cour d'appel de Nancy a sursis à statuer dans l'attente des résultats de l'expertise médicale. L'expertise en fraude documentaire réalisée sur les documents émanant de l'administration ivoirienne présentés par M. D...ayant conclu à leur falsification, le requérant a été placé en garde à vue le 28 mai 2018 dans le cadre d'une procédure pour détention et usage de faux documents administratifs et convoqué à une prochaine audience du tribunal correctionnel. Par arrêté du même jour, le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trente mois. Le requérant relève appel du jugement du 4 juin 2018 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et sollicite à titre conservatoire qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement dans l'attente de la décision au fond.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III (...) ".
4. La décision attaquée, après avoir mentionné les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment les articles L. 313 14 et L. 511-1, ainsi que les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, précise l'ensemble des éléments relatifs à la vie personnelle de M.D.... Elle comporte ainsi l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée. Cette motivation révèle, en outre, qu'il a été procédé à un examen particulier et approfondi de la situation de M.D....
5. En deuxième lieu, le requérant reprend en appel le moyen qu'il avait invoqué en première instance tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il y a lieu d'écarter ce moyen à l'appui duquel le requérant ne présente aucun élément de fait ou de droit nouveau, par adoption de motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans (...) ". L'article L. 111-6 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". L'article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité de ces actes. Il résulte d'autre part de l'article 388 du code civil que : " Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d'erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l'intéressé est mineur. Le doute profite à l'intéressé. En cas de doute sur la minorité de l'intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d'un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ".
7. Si M. D...a déclaré être né le 22 décembre 2001 et ainsi être mineur à la date de l'arrêté attaqué, il résulte de l'expertise en fraude documentaire réalisée par un commandant de la police aux frontières, qualifié à cette fin, que les documents produits par l'intéressé émanant des autorités ivoiriennes, présentaient plusieurs anomalies. En effet l'attestation d'identité, seul document supportant la photo de l'intéressé, avait été falsifiée par un grattage de données au niveau de la profession et de l'empreinte digitale. De ce fait, les autres mentions de ce document, y compris la date de naissance, ne peuvent, contrairement aux allégations de M.D..., être tenues pour établies, alors par ailleurs que les autres documents produits émanant des autorités consulaires ivoiriennes, établis sur la base de l'attestation d'identité, ne présentent pas davantage de caractère suffisamment probant. L'expertise clinique et médico-légale réalisée le 29 mars 2017 conclut par ailleurs, aux termes de trois examens de l'âge osseux par une radiographie du poignet gauche, dentaire et claviculaire, à un âge de l'intéressé compris entre 19 et 24 ans. Si l'intéressé se prévaut de l'arrêt rendu par la chambre pour enfants de la cour d'appel de Nancy du 7 septembre 2018 ayant confirmé le jugement du juge pour enfants du 19 juin 2017 confiant l'intéressé à l'ASE, il est constant que l'autorité de la chose jugée qui appartient aux décisions du juge judiciaire et s'impose par suite au juge administratif, ne s'attache qu'aux décisions rendues en matière pénale, et à la seule constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement. En tout état de cause, il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que si la cour d'appel a estimé ne pas devoir retenir les conclusions de l'expertise médicale, c'est en raison de la seule méconnaissance des règles de l'article 388 du code civil, faute d'avoir recueilli l'accord de l'intéressé pour la réalisation de cette expertise, et non en raison d'une remise en cause sur le fond de ces conclusions. Par ailleurs, si la cour d'appel a écarté les vérifications de la police aux frontières, c'est uniquement en raison de leur caractère tardif. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les vérifications entreprises auprès du centre de coopération de police douanière du Perthus concernant le passage de l'intéressé en Espagne ont permis de recouper les empreintes de l'intéressé avec un certain M. A...se disant C...D..., né le 2 février 1995 au Mali. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. D...ne peut être regardé comme justifiant de sa prétendue minorité. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le préfet quant à la détermination de son âge doivent être écartés.
8. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, M.D..., qui n'établit pas sa minorité à la date de l'arrêté attaqué, ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. (...) L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des motifs de l'arrêté attaqué, que pour prononcer à l'encontre de l'intéressé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trente mois, le préfet a pris en compte, dans le cadre du pouvoir d'appréciation qu'il exerce à cet égard, les quatre critères énoncés par les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La décision attaquée précise notamment que M. D...a été interpellé et placé en garde-à-vue pour des faits de détention et usage de faux documents administratifs, et que son comportement constitue dès lors une menace pour l'ordre public. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être écarté.
11. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Si M. D...fait valoir qu'il est scolarisé en certificat d'aptitude professionnelle (CAP) cuisine et carrosserie où ses résultats sont satisfaisants, et qu'il a effectué plusieurs stages dans ces secteurs, il ressort des pièces du dossier qu'il est célibataire et sans enfant et ne réside en France, à la date de la décision attaquée, que depuis un an et demi. Il ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales en Côte d'Ivoire, son pays d'origine dans lequel résident ses parents et ses deux soeurs. Ainsi qu'il a été développé aux points précédents, il apparaît que M. D...s'est frauduleusement prévalu d'une situation de minorité pour bénéficier d'un droit au séjour en France. Au regard des conditions de son séjour, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a, dès lors, pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels il a pris la décision attaquée et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué, n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Par suite, les conclusions susvisées ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement attaqué :
15. Le présent arrêt se prononce sur le fond de la requête à fin d'annulation du jugement attaqué. Dès lors, les conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement ont perdu leur objet.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
16. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
17. L'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocat de M. D...une somme en application de ces dispositions.
Sur la requête tendant au sursis à l'exécution du jugement n° 1801454 du tribunal administratif de Nancy :
18. Considérant que la cour statuant par la présente ordonnance sur les conclusions de la requête de M. D...tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué, les conclusions de sa requête n° 18NC01752 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1801454 doivent être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. D...aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué.
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. D...est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 18NC01750, 18NC01752