Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 14 décembre 2017 et 20 juin 2018, Mme B...E..., en sa qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de la période de janvier 2009 à décembre 2010 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les cessions de deux appartements à la SCI C...ont été réalisées au prix du marché et n'ont pas été sous-évaluées ;
- la décote appliquée est justifiée par l'absence de frais de commercialisation des biens ;
- la SCI Cygogne a réalisé ces opérations en vue de sauver l'opération immobilière et non dans une intention d'évasion fiscale ;
- les pénalités ne sont pas fondées dès lors qu'il n'y a pas eu d'intention d'éluder l'impôt.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B...E..., en sa qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 ;
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour Me B...E....
Considérant ce qui suit :
1. La société civile immobilière (SCI) Cygogne, qui exerçait une activité de promotion immobilière, a acquis un terrain à bâtir à Cernay (Haut-Rhin) sur lequel elle a réalisé un immeuble de logements neufs entre 2008 et 2010. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a considéré que les cessions de trois appartements réalisées au profit de Mme B...E...et de la SCI C...avaient été faites à un prix sous-évalué par rapport à la valeur vénale des biens. Par proposition de rectification du 27 juin 2012, l'administration lui a notifié, dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et les pénalités correspondantes pour la période de janvier 2009 à décembre 2010 au titre de la taxe sur la valeur ajoutée non collectée. L'administration s'est en définitive conformée à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 6 janvier 2014 en admettant l'existence d'une sous-évaluation du prix de vente pour les seuls appartements cédés à la SCI C...et en retenant la valeur vénale fixée par la commission. Mme B...E..., agissant en qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, relève appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires résultant de ce redressement.
Sur le bien fondé de l'imposition :
2. Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article 257 du code général des impôts. Aux termes du 2 de l'article 266 du même code, la taxe sur la valeur ajoutée est assise, en ce qui concerne ces opérations, sur : " (...) Le prix de la cession (...). La valeur vénale réelle des biens, établie dans les conditions prévues à l'article L. 17 du livre des procédures fiscales, si cette valeur vénale est supérieure au prix, au montant de l'indemnité ou à la valeur des droits sociaux, augmenté des charges ". Aux termes de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ou la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due au lieu et place de ces droits ou taxe, l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclaration ".
3. Les dispositions de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales ont pour objet et pour effet de donner à l'administration la faculté de substituer, pour la détermination de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée, la valeur vénale réelle du bien, au prix stipulé lorsque cette valeur vénale est supérieure. Conformément aux dispositions de l'article 27 de la sixième directive n° 77/388 du Conseil des communautés européennes, reprises aux dispositions de l'article 395 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, et aux termes de la demande française notifiée à la Commission européenne le 23 décembre 1977, il ne peut être recouru à ce mécanisme de substitution que dans le cas de livraisons d'immeubles et dans le but de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale. Dès lors que l'administration relève, d'une part, que les prix de locaux faisant l'objet de mutations ont été minorés et, d'autre part, que le vendeur et l'acheteur sont étroitement liés, elle peut, en application de l'article 27 de la sixième directive et du 2-b de l'article 266 du code général des impôts, substituer la valeur vénale des immeubles aux prix déclarés pour l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée à condition de rapporter la preuve que l'insuffisance du prix de vente des locaux résulte d'une volonté d'évasion fiscale au sens de l'article 27 de la sixième directive, l'importance de l'insuffisance de prix n'étant pas, à elle seule, de nature à établir une telle volonté d'évasion fiscale. Celle-ci, toutefois, se présume du seul fait de l'insuffisance significative du prix, lorsque les parties sont en relation d'intérêt, sauf preuve contraire apportée par le contribuable.
4. Il résulte de l'instruction que M. C...est associé de la SCI C...et détient par ailleurs 50 % du capital de la SCI Cygogne. Le 10 juin 2009, la SCI Cygogne a cédé à la SCI C... deux appartements de deux et quatre pièces, d'une superficie respective de 52 m² et 97 m², situés au troisième étage de l'immeuble dont la SCI a entrepris la construction entre 2008 et 2010. La SCI C...a acquis ces deux biens pour des montants respectifs de 91 000 euros toutes taxes comprises et 169 000 euros toutes taxes comprises, soit au prix de 1 750 euros au m² pour le F2 et de 1 742 euros au m² pour le F4. Il ressort notamment de la proposition de rectification du 27 juin 2012 que pour comparer les prix consentis à la SCI C...et la valeur vénale des biens cédés, l'administration s'est fondée sur sept autres transactions conclues entre le 10 juin 2009 et le 29 décembre 2010 pour des biens situés dans le même ensemble immobilier afin de déterminer un prix moyen au m² de 2 350 euros toutes taxes comprises. L'administration a en conséquence évalué la valeur vénale des biens litigieux à ce prix et a constaté une insuffisance du prix des biens vendus à hauteur de 31 200 euros toutes taxes comprises pour le deux pièces et de 58 950 euros toutes taxes comprises pour le F4. A la suite de l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du 6 janvier 2014, l'administration s'est conformée à l'évaluation établie par la commission au prix de 2 100 euros toutes taxes comprises par m². Elle a en définitive fixé la valeur vénale des appartements de type F2 et F4 respectivement à 109 000 euros toutes taxes comprises et 203 700 euros toutes taxes comprises, aboutissant ainsi à une insuffisance de prix de 18 200 euros toutes taxes comprises pour l'appartement F2 et de 34 700 euros toutes taxes comprises pour l'appartement F4.
5. Pour contester la minoration du prix de cession des biens, la SCI Cygogne se prévaut d'un contrat de pré-réservation conclu le 20 octobre 2008 avec la société Prest'Immo concernant deux appartements au troisième étage évalués à des montants inférieurs à ceux retenus par l'administration. Cependant, ce contrat, qui n'a pas donné lieu à une vente effective, ne permet pas de déterminer le prix du marché des biens en cause en 2009 et en 2010. De même, le mandat de vente de l'appartement de type F2 et les actes de vente des appartements litigieux produits par la société requérante conclus respectivement les 10 février et 27 mars 2014 et le 2 février 2017 sont intervenus trop tardivement pour pouvoir établir la valeur vénale des biens à la date des cessions en cause, réalisées cinq et huit ans plus tôt, eu égard notamment à l'évolution du marché immobilier sur cette période. Comme il a été dit précédemment au point 4, les termes de comparaison retenus par l'administration comportent au contraire des cessions conclues entre le 30 décembre 2009 et le 29 décembre 2010, concomitamment aux acquisitions réalisées par la SCIC.... En outre, si la SCI Cygogne fait valoir la nécessité d'une pré-commercialisation des lots de son immeuble afin de permettre l'ouverture du crédit bancaire nécessaire à la poursuite des travaux, il n'est pas justifié, comme le soutient l'administration, de circonstances différentes de celles existantes lors des cessions réalisées le 30 décembre 2009 pour deux autres lots cédés à un prix moyen de 2 700 euros par m². Enfin, en admettant que des frais de commercialisation n'ont pas été exposés pour les appartements cédés à la SCIC..., cette circonstance ne suffit pas, par elle-même, à expliquer les écarts de prix entre les valeurs vénales issues de l'évaluation établie par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et celles sur la base desquelles les cessions ont été conclues, qui s'élèvent à 16,7 % pour le F2 et à 17 % pour le F4. Il s'ensuit que l'administration apporte la preuve de la minoration du prix des cessions consenties à la SCIC.... Eu égard aux montants mentionnés ci-dessus, cette minoration est significative. En outre, les parties aux contrats de vente sont en relation d'intérêt, M. C...ayant la qualité d'associé au sein des deux sociétés cocontractantes. Par conséquent, la volonté d'évasion fiscale doit, en l'espèce, être présumée.
6. Pour établir son absence de volonté d'évasion fiscale, la SCI Cygogne se prévaut de la défaillance d'acheteurs qui a contraint ses associés à acquérir des logements afin de permettre l'ouverture de son prêt bancaire et la poursuite des travaux. Il résulte de l'instruction que le contrat de prêt conclu le 23 septembre 2008 par la SCI Cygogne a pour objet un crédit d'accompagnement avec terme final le 31 août 2011, comprenant une clause particulière qui subordonne la mise en jeu du crédit à la condition de la pré-commercialisation de lots à hauteur de 650 000 euros sous forme de contrats de réservation. Il ressort des contrats de pré-commercialisation produits par la société requérante que cette dernière a conclu avec des tiers des réservations pour un montant total de 860 000 euros entre le 20 octobre 2008 et le 9 juin 2009. Si la SCI Cygogne argue de la défaillance de deux des trois personnes concernées, elle n'établit pas la réalité de la résiliation des contrats de réservation. Dans ces conditions, la société requérante ne justifie pas qu'à la date des cessions en litige, le 10 juin 2009, elle a été contrainte à céder à ses associés des lots de son programme immobilier à un prix minoré en vue d'atteindre le seuil de pré-commercialisation fixée par la banque pour l'ouverture de son crédit. Il s'ensuit que la société requérante n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, d'un intérêt pour elle d'accorder à la SCI C...une minoration significative du prix de cession des deux logements. Par suite, l'absence d'une volonté de la part de la SCI Cygogne d'évasion fiscale n'est pas établie. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a réévalué la valeur vénale des immeubles cédés selon les modalités susmentionnées.
Sur les pénalités :
7. Aux termes de l'article 1 729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ".
8. Eu égard à l'importance des écarts existant entre les prix de cession et les valeurs vénales réelles, à la qualité de professionnelle de l'immobilier de la SCI Cygogne et aux liens étroits existant entre celle-ci et M.C..., l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention de la société requérante d'éluder l'impôt. Par suite, l'administration établit le bien-fondé de l'application des majorations de 40 % pour manquement délibéré.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...E..., agissant en sa qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B...E..., agissant en sa qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F...B...E..., agissant en sa qualité de liquidatrice de la SCI Cygogne, et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 17NC03016