Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 octobre 2020, M. B... F... et Mme G... F..., née E..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001264, 2001265 du tribunal administratif de Strasbourg du 19 octobre 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Moselle du 14 février 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de leur délivrer un titre de séjour, subsidiairement, de réexaminer leur situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est entachée d'un vice d'instruction et d'une erreur de droit, dès lors qu'ils ont sollicité leur admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et non pas une simple protection contre l'éloignement en application des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du même code ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant fixation du pays de destination est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur leur situation personnelle et sur celle de leur fille mineure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2021, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
M. et Mme F... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 29 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...
- et les observations de M. et Mme F....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... F... et Mme C... F..., née E..., sont des ressortissants serbes, nés respectivement les 7 mai 1979 et 9 mars 1981. Ils ont déclaré être entrés irrégulièrement en France le 10 février 2017. Le 6 mars 2017, ils ont présenté chacun une demande d'asile, qui a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 juillet 2017, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 25 octobre 2017. Le 13 novembre 2017, Mme F... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade en application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 22 octobre 2018, dont la légalité a été confirmée par un jugement n° 1806883 et 1806884 du tribunal administratif de Strasbourg du 5 février 2019 et par une ordonnance n° 19NC00482 et 19NC00483 de la cour administrative d'appel de Nancy du 23 mai 2019, le préfet de la Moselle a refusé d'admettre les intéressés au séjour et a prononcé à leur encontre une mesure d'éloignement. Le réexamen de leur demande d'asile respective, qu'ils ont sollicité le 27 novembre 2018, n'ayant pas trouvé une issue favorable devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, les 24 décembre 2018 et 6 mai 2019, M. et Mme F... ont, dans un courrier du 2 juin 2019, sollicité la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du étrangers et du droit d'asile en raison de l'état de santé de leur fille mineure, née le 18 janvier 2006. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 18 novembre 2019, le préfet de la Moselle, par deux arrêtés du 14 février 2020, a refusé de faire droit à leur demande, leur a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Les requérants ont saisi chacun le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux du 14 février 2020. Ils relèvent appel du jugement n° 2001264, 2001265 du 7 juillet 2020 qui rejette leur demande respective.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. ". Aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes du 10° de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / (...) ". Aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / (...) ".
4. Enfin, il résulte des dispositions de l'arrêté susvisé du 27 décembre 2016 que, si les articles 1 à 8 du premier chapitre déterminent la procédure régissant les demandes d'admission au séjour pour raison de santé, les articles 9 à 11 du deuxième chapitre sont applicables aux étrangers qui se prévalent de leur état de santé pour s'opposer à l'exécution de la mesure d'éloignement dont ils font l'objet. Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent, ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté. ". Aux termes du premier alinéa de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...). ". Aux termes du premier alinéa de l'article 9 du même arrêté : " L'étranger qui (...) sollicite le bénéfice des protections prévues au 10° de l'article L. 511-4 (...) est tenu de faire établir le certificat médical mentionné au deuxième alinéa de l'article 1er. ". Aux termes du premier alinéa de l'article 11 du même arrêté : " Au vu du certificat médical, un collège de médecins (...) émet un avis dans les conditions prévues à l'article 6 et au présent article et conformément aux modèles figurant aux annexes C et D du présent arrêté. ".
5. Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'étranger a déposé une demande de délivrance ou de renouvellement d'un document de séjour pour raison de santé, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration se prononce au vu d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office. Ce n'est que lorsque l'étranger qui n'a pas présenté une telle demande se prévaut de son état de santé pour faire obstacle à l'exécution d'une mesure d'éloignement que le médecin de l'Office en charge de l'établissement du rapport médical n'est pas saisi et que le collège de médecins se prononce uniquement au vu d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou par un médecin praticien hospitalier.
6. Il ressort des pièces du dossier que le courrier du 2 juin 2019, réceptionné par les services de la préfecture de la Moselle le 5 juin suivant, a pour objet une " demande de titre de séjour temporaire pour raison médicale d'un enfant malade " et indique notamment que M. et Mme F... sollicitent " l'obtention d'une autorisation provisoire de séjour " leur permettant de vivre et de soigner leur fille en France. Dans ces conditions, contrairement aux allégations du préfet de la Moselle, qui ne saurait utilement soutenir que les intéressés faisaient l'objet, depuis le 22 octobre 2018, d'une mesure d'éloignement non exécutée, qu'ils n'ont pas précisé expressément sur quelles dispositions ils entendaient fonder leur demande et que, bien qu'informés de la nature de la procédure mise en oeuvre par l'administration, ils ne s'y sont pas opposés, les requérants doivent être regardés comme ayant demandé, non pas une protection contre l'éloignement au titre du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais leur admission au séjour en qualité d'accompagnants d'un enfant mineur malade sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 311-12 du même code. Il n'est pas contesté que le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui a rendu l'avis du 18 novembre 2019, ne s'est pas prononcé au vu d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office, mais uniquement au vu du certificat médical du 14 octobre 2019 transmis par le médecin psychiatre qui suit habituellement la fille de M. et Mme F.... Par suite, alors que, au demeurant, la décision en litige refuse de faire droit à la demande d'admission au séjour des intéressés et que leur courrier du 2 juillet 2020, rédigé en termes identiques au précédent, a été instruit au regard des dispositions du premier alinéa de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les requérants sont fondés à soutenir que l'absence d'établissement de ce rapport médical les a privé d'une garantie et à demander l'annulation pour vice de procédure de la décision en litige. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français, qui se trouvent dépourvues de base légale, doivent également être annulées.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme F... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande respective.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer la situation de M. et Mme F... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
9. M. et Mme F... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 29 septembre 2020, leur avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a donc lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A... d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que le second renonce à percevoir la contribution du premier à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001264 et 2001265 du tribunal administratif de Strasbourg du 7 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de la Moselle du 14 février 2020 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer la situation de M. et Mme F... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me A..., sous réserve que celui-ci renonce à percevoir sa part contributive à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me A... pour Mme C... F..., née E... et M. B... F... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
N° 20NC03053 2