Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juin 2020, M. B... E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 23 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2019 par lequel le préfet du Haut-Rhin a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et l'a obligé à se présenter une fois par semaine à la direction départementale de la police aux frontières ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales invoqué à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- le préfet s'est cru lié par l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen sérieux de sa situation ;
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination et obligation de se présenter à la direction départementale de la police aux frontières :
- elles doivent être annulées en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2020, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant ivoirien, né en 1968, est entré en France, selon ses déclarations, en 2012, pour solliciter l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 28 décembre 2013, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 23 juillet 2013. Il a présenté, le 30 mai 2013, une demande de titre de séjour en se prévalant de son état de santé que le préfet a refusé de lui délivrer. Il a vainement réitéré cette même demande et, en dernier lieu, le 29 mai 2017. Par un arrêté du 11 avril 2018, le préfet du Haut-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un arrêt du 23 avril 2019, la cour administratif d'appel de Nancy a confirmé le jugement du 20 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, pour vice de procédure, cet arrêté. A la suite du réexamen de la situation de M. E... et d'une nouvelle demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade, le préfet du Haut-Rhin a, par un arrêté du 24 octobre 2019, refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 23 mars 2020, dont M. E... fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif de Strasbourg n'a ni visé, ni répondu au moyen, invoqué par un mémoire enregistré le 9 février 2020, soit avant la clôture d'instruction, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaissait le droit de M. E... à mener une vie privée en France. Dès lors, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une omission à statuer et doit, pour ce motif d'irrégularité, être annulé.
3. Il y a lieu, par suite, de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et, par la voie de l'effet dévolutif, sur le surplus des conclusions de la requête.
Sur la légalité de l'arrêté du 24 octobre 2019 :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...). La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".
5. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Par un avis rendu le 7 octobre 2019, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. E... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé mais, qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Il ajoute que l'intéressé peut voyager sans risque vers son pays d'origine.
7. Il ressort des pièces du dossier que le requérant souffre d'une hypertension artérielle, d'une arthrose des cervicales et des genoux et d'un état de stress post-traumatique caractérisé par un état dépressif majeur, des insomnies, des troubles phobiques et une modification du caractère qui nécessite un soutien psychothérapeutique et une chimiothérapie. Il fait valoir qu'il ne pourra pas bénéficier d'un traitement effectif dans son pays d'origine dès lors que ses troubles psychiques sont en lien avec des évènements qu'il y a vécus et que la continuité du lien thérapeutique doit être maintenue avec le psychiatre qui le suit. Toutefois, le certificat médical du 31 octobre 2019 par lequel son psychiatre mentionne que, compte tenu du lien de confiance qui s'est établi, la rupture du lien thérapeutique pourrait aussi avoir des conséquences gravissimes sur son état n'est pas suffisant à contredire l'avis du collège de médecins de l'OFII qui avait connaissance de l'ensemble de ses troubles. Par ailleurs, si ce même certificat mentionne que l'intéressé ne peut retourner dans son pays au motif que sa pathologie est la " résultante des sévices qu'il y aurait subis ", M. E... n'a apporté aucun élément de nature à établir la réalité de ces sévices et partant l'impossibilité de pouvoir être effectivement soigné dans son pays en République Démocratique du Congo.
8. Si le requérant fait également valoir qu'il ressort de la liste des médicaments, publiée en 2010 par le site de l'Organisation mondiale de la santé, que l'accessibilité à certains psychotropes nécessaires à son traitement, notamment la Risperidone, sont difficilement accessibles et que, selon le rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés du 19 juin 2018, il n'existe que six cliniques psychiatriques dans tout le pays et qu'un seul établissement, présent à Kinshasa, peut soigner sa pathologie, il ressort de ce rapport que la République Démocratique du Congo comporte des psychiatres, même si leur formation n'est pas comparable à celles de leurs homologues français. En outre, cette liste des médicaments ne permet pas, compte tenu de son ancienneté, de remettre en cause l'appréciation émise postérieurement par le collège de médecins quant à l'existence d'un traitement approprié à l'état de santé du requérant dans son pays d'origine. Enfin, il n'est pas établi, notamment par ces seuls documents, que des médicaments équivalents à ceux qui ont été prescrits à l'intéressé en France seraient totalement indisponibles en République Démocratique du Congo, ni que toute prise en charge de son affection y serait impossible. Dans ces conditions, en refusant de délivrer au requérant un titre de séjour, le préfet du Haut-Rhin n'a pas fait une inexacte application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Haut-Rhin se serait cru lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit et d'un défaut d'examen particulier doit être écarté.
10. En troisième lieu, il ne ressort pas des motifs de la décision contestée que le préfet du Haut-Rhin, qui n'est pas tenu d'examiner d'office une demande de titre de séjour sur un autre fondement que celui sollicité par l'étranger, ni de mentionner l'ensemble des éléments dont il s'est prévalu à l'appui de sa demande de titre de séjour, n'aurait pas procédé à un examen de l'ensemble de la situation de M. E..., notamment au regard de son état de santé et de ses attaches sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.
11. En quatrième lieu, M. E... fait valoir qu'il réside en France depuis 2007, qu'il s'est investi dans le milieu associatif et travaille désormais au sein de la communauté d'Emmaüs. Toutefois, comme l'a relevé le préfet du Haut-Rhin, l'intéressé, qui est célibataire, n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident encore ses enfants, quand bien même les deux mineurs vivraient avec leur mère. S'il justifie d'une intégration au sein de la communauté Emmaüs, ainsi qu'en témoignent les nombreuses attestations produites, cette circonstance ne suffit pas à établir qu'il a transféré le centre de ses intérêts en France. Par suite, en refusant de lui délivrer un titre de séjour dans l'exercice de son pouvoir de régularisation, le préfet du Haut-Rhin n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. Dès lors que M. E... n'a pas établi l'illégalité du refus de titre de séjour, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit, par voie de conséquence, être annulée doit être écarté.
13. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 11 dès lors que le requérant n'invoque pas d'arguments différents, les moyens tirés de ce que la décision en litige porterait atteinte à son droit à une vie privée et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 à 8, le préfet du Haut-Rhin n'a pas méconnu les dispositions du 10 ° de l'article L. 5114 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en faisant obligation au requérant de quitter le territoire français.
En ce qui concerne les décisions fixant le pays de destination et obligation de présenter une fois par semaine à la direction départementale de la police aux frontières :
15. Dès lors que M. E... n'a pas établi l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de ce que les décisions susmentionnées doivent, par voie de conséquence, être annulées doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est fondé ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour, fixant le pays de destination et l'obligeant à se présenter à la direction départementale de la police aux frontières, ni à demander l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent elles aussi être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 23 mars 2020 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par M. E... tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. E... devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français et le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetés.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à Me D... pour M. B... E... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Haut-Rhin.
N° 20NC01284 2