Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 juillet 2019 et le 6 mai 2020, M. B... E..., représenté par la SCP Leostic, Medeau, Lardaux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 25 juin 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 3 décembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle des Ardennes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand Est a autorisé l'association " Sauvegarde des Ardennes " à procéder à son licenciement pour inaptitude physique ;
3°) de lui accorder la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de licenciement est insuffisamment motivée ;
- la demande de licenciement est en lien avec l'exercice de son mandat syndical ;
- l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2020, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2020, l'association " Sauvegarde des Ardennes ", représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour l'association " Sauvegarde des Ardennes ".
1. M. E... a été recruté par l'association " Sauvegarde des Ardennes ", en 2001, en qualité d'éducateur spécialisé. Il a été désigné délégué syndical en 2011 et bénéficie, à ce titre, de la qualité de salarié protégé. L'intéressé a été placé en arrêt de travail du 30 août 2016 au 18 mars 2018. Le médecin du travail ayant estimé, par un avis du 21 mars 2018, que l'intéressé était inapte en internat mais apte à un poste de jour sauf en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique et en centre éducatif fermé, son employeur a sollicité l'autorisation de le licencier. Par une décision du 27 juin 2018, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande au motif que les recherches de reclassement avaient été insuffisantes. Après avoir repris la procédure et compte tenu du refus de M. E... d'accepter les propositions de reclassement qui lui avaient été présentées, l'employeur a ressaisi, par un courrier du 8 octobre 2018, l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé pour inaptitude physique. Par une décision du 3 décembre 2018, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de M. E.... Par un jugement du 25 juin 2019, dont M. E... relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée (...) ".
3. M. E... soutient que la décision de l'inspecteur du travail est insuffisamment motivée dès lors qu'elle se borne à énoncer l'absence de lien entre son mandat et la demande d'autorisation de licenciement, alors qu'il avait produit des éléments de nature à faire présumer ce lien. Toutefois, en indiquant que " l'enquête n'a pas établi de lien entre la demande déposée et le mandat de délégué syndical exercé par M. B... E... ", l'inspecteur du travail, qui n'était tenu ni de reprendre les arguments développés par le salarié, ni d'expliciter les raisons pour lesquelles il a estimé que la demande d'autorisation n'était pas en lien avec son mandat, a suffisamment motivé sa décision en droit et en fait sur ce point. En outre, il n'est pas contesté que la décision contestée, qui rappelle les textes applicables, comporte une motivation suffisante en fait sur les autres éléments sur lesquelles l'inspecteur du travail doit faire porter son contrôle. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
4. En deuxième lieu, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'administration de rechercher si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé sans rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient, en toutes circonstances, à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.
5. M. E... fait valoir que la situation syndicale dans l'entreprise s'est tendue à compter de 2014, à la suite de mouvements de grève et, plus particulièrement, en 2016 où il a été muté d'office, en méconnaissance de l'avis du médecin du travail, dans le but de l'écarter de ses fonctions syndicales, et que la reprise de l'association par le groupe SOS Jeunesse n'a pas permis de réinstaurer le dialogue social. Il estime que son inaptitude physique est en lien avec les entraves qu'il a subies dans l'exercice de ses fonctions.
6. Toutefois, les éléments qu'il produit ne permettent pas d'établir que son employeur aurai mis des obstacles à l'exercice de son mandat syndical, qu'il exerce depuis 2011, mais seulement de démontrer l'activisme déployé par le syndicat que le requérant représente. D'ailleurs, si deux mouvements de grève ont été déclenchés en 2014 et 2015 par son syndicat, ceux-ci ont permis d'aboutir à des accords avec la direction, qui n'a formulé aucune remarque sur l'activité syndicale de l'intéressé. Ni les courriers adressés à la direction de l'association en janvier 2016, pour lui rappeler le respect de certaines exigences légales, ni l'annulation, à la demande de la CGT, par un jugement du tribunal d'instance de Sedan, des élections des membres titulaires et suppléants à la délégation unique du personnel, ne permettent d'établir un lien entre l'exercice par l'intéressé de son mandat et la demande d'autorisation de licenciement en litige. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le changement de service de l'intéressé, décidé le 12 juillet 2016, à l'issue de son congé de maladie en raison d'une tendinopathie, aurait eu pour objet d'entraver l'exercice de son mandat syndical. Les pièces médicales, notamment le certificat médical du 23 octobre 2018 mentionnant un syndrome anxio-dépressif pour la période du 30 août 2016 au 18 mars 2018 en lien avec le travail, ne sont pas suffisantes pour établir que cette pathologie est consécutive à des entraves de son employeur dans l'exercice de son mandat. La circonstance que l'intéressé a été convié, via sa messagerie syndicale, à une réunion avec le directeur général du groupe SOS, qui ne s'est finalement pas tenue alors que les autres délégués syndicaux auraient été reçus, ne suffit pas à démontrer que M. E... aurait fait l'objet d'une discrimination. Dans ces conditions, l'inspecteur du travail n'a pas fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce en considérant que la demande d'autorisation de licenciement de M. E... n'était pas en lien avec le mandat syndical.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. / Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ".
8. En vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions citées ci-dessus de l'article L. 1226-2 du code du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.
9. Il ressort des pièces du dossier que dans un avis du 21 mars 2018, le médecin du travail a déclaré le requérant " inapte en internat et apte à un poste de jour, sauf au CEP ITEP de Bazeilles/les Ballons et en CER " et qu'il pouvait être affecté à Charleville, Rethel ou à l'accompagnement des familles. Après une première décision du 25 juin 2018 refusant l'autorisation de licencier M. E..., au motif que les recherches de reclassement, géographiquement limitées à un rayon de 100 kilomètres, conformément au souhait de l'intéressé, avaient été insuffisantes, l'employeur a adressé à l'intéressé, le 12 juillet 2018, une liste comportant 11 offres précises de postes, après avoir sollicité l'avis du médecin du travail sur leur compatibilité avec son état de santé. L'employeur a également transmis à l'intéressé, le 14 août 2018 une nouvelle offre de poste de surveillant de nuit dans la commune de Pauvres dans les Ardennes.
10. M. E..., qui a refusé l'ensemble de ces propositions de reclassement, reproche à l'employeur de lui avoir proposé des postes situés à l'extérieur du département des Ardennes, notamment en région parisienne, à Marseille ou Mayotte alors que des postes étaient disponibles à Sedan, au sein de l'association, notamment un poste de surveillant de nuit et un autre de chef de service. Il fait également valoir que le groupe SOS Jeunesse envisageait l'ouverture d'une nouvelle unité expérimentale rattachée au centre éducatif de Sedan, pour laquelle le recrutement de 11 salariés était envisagé, et qu'en outre, ses recherches ont permis de relever près d'une vingtaine d'offres d'emplois compatibles avec son état de santé au cours de l'été 2018, alors que les postes de surveillant de nuit qui lui avaient été proposés n'étaient pas conformes aux restrictions du médecin du travail.
11. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'employeur a recherché, contrairement à ce que soutient M. E..., des postes compatibles avec son état de santé. A cet égard, si le requérant soutient que les postes de surveillant de nuit ne respectaient pas les préconisations du médecin du travail, il ressort des pièces du dossier que ce dernier, consulté par l'employeur sur la possibilité de proposer un poste de cette nature au salarié, s'est borné à lui répondre d'interroger M. E..., sans y voir, a priori, une incompatibilité avec son état de santé, la restriction médicale portant sur les seuls postes en internat.
12. Par ailleurs, l'employeur n'était pas tenu de proposer au salarié les postes de chef de service, qui étaient disponibles à Sedan, Longwy et Ecrouves, dès lors que ces emplois relevaient d'un niveau supérieur au sien. Au demeurant, l'employeur fait valoir, sans être contredit, que l'intéressé ne possède pas les qualifications requises.
13. Si le requérant se prévaut de postes d'éducateurs spécialisés qu'il a pu identifier au cours de l'été 2018, notamment dans les établissements de " la fabrique du mouvement " et de " la voie lactée ", l'employeur fait valoir, sans être contredit, que ces postes, au même titre d'ailleurs que ceux qui devaient être créés dans l'unité expérimentale à Sedan, étaient des postes en internat, incompatibles avec les prescriptions du médecin du travail.
14. Le requérant ne saurait, en outre, reprocher à l'employeur de ne pas lui avoir proposé d'autres postes d'éducateur spécialisé, situés notamment à Paris, Aubervilliers, Avignon, Coulommiers ou Arcueil, alors que, dans un courrier du 29 mars 2018, il avait précisé être prêt à étudier toute proposition dans la limite d'une distance n'excédant pas 100 kilomètres de son domicile, et qu'il avait refusé ceux qui, excédant cette distance, lui avaient été proposés au mois de juillet 2018.
15. Dans ces conditions, l'employeur doit être regardé comme ayant, à la date de la décision en litige, procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du requérant, tant au sein de l'association que dans les autres établissements du groupe auquel elle appartenait. Par suite, l'inspecteur du travail a pu légalement estimer que l'employeur n'avait pas méconnu son obligation de reclassement.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'association " sauvegarde des Ardennes ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. E... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. E... le versement d'une somme au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'association " Sauvegarde des Ardennes " sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Leostic, Medeau, Lardaux pour M. B... E... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020, à l'association " Sauvegarde des Ardennes " et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
N° 19NC02262 2