Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2018, le préfet de la Marne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801522 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 octobre 2018 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. E... en première instance.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 23 octobre 2018 pour méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les autres moyens invoqués par M. E... au soutien de ses conclusions à fin d'annulation ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2019, M. G... E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Marne de lui délivrer un titre de séjour à raison de son état de santé, sous astreinte de cent euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat de la somme de 2 500 euros à verser à son avocat en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable ;
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions du 11°de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile ;
- la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de la Marne a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de fait et d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une méconnaissance de l'article 47 du code civil ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant fixation du pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. G... E... est un ressortissant nigérian, né le 5 février 1981. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France le 1er novembre 2014. Du 9 mai 2016 au 8 mai 2017, il a été mis en possession d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, dont il a sollicité le renouvellement le 30 octobre 2017. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 2 avril 2018, le préfet de la Marne, par un arrêté du 17 avril 2018, a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2018, M. E... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2018. Le préfet de la Marne relève appel du jugement n° 1801522 du 23 octobre 2018, qui annule cet arrêté.
Sur la recevabilité de la requête :
2. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 25 juillet 2018, régulièrement publié au recueil n°8 des actes administratifs de la préfecture de la Marne du 1er août 2018, le préfet de la Marne a consenti à M. Denis C..., secrétaire général de la préfecture de la Marne, une délégation de signature à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondance et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception des réquisitions de la force armée et des arrêtés de conflit. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que M. C... n'avait pas compétence pour signer, au nom du préfet de la Marne, la présente requête.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne :
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de faire droit à la demande de M. E..., le préfet de la Marne s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 2 avril 2018. Selon cet avis, si l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine, où, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé, il peut y bénéficier d'un traitement approprié. Si M. E..., qui est suivi régulièrement pour des troubles psychiatriques, se prévaut notamment de deux rapports sur les soins psychiatriques au Nigeria, établis par une organisation non gouvernementale, ainsi que de quatre certificats médicaux datés des 28 février 2017, du 2 août 2017, du 13 avril 2018 et du 8 juin 2018, les documents produits en défense par le préfet de la Marne, dont un courriel de l'ambassade de France au Nigéria daté du 8 novembre 2018, attestent de la disponibilité effective du traitement dans le pays d'origine. Par suite et alors que le requérant n'apporte aucun élément susceptible de remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livré le préfet sur sa capacité à voyager sans risque à destination du Nigéria, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile pour annuler l'arrêté du 17 avril 2018. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. E... devant le tribunal et la cour.
Sur les autres moyens invoqués par le requérant :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision en litige a été signée par M. Denis C..., secrétaire général de la préfecture de la Marne. Or, par un arrêté du 23 mars 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 29 mars 2018, le préfet de la Marne a consenti à l'intéressé une délégation de signature à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions du représentant de l'Etat dans le département, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions prises en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte manque en fait et doit, dès lors, être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : a) le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". M. E... ne saurait utilement invoquer une méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui concerne uniquement, ainsi qu'il résulte clairement des dispositions en cause, les institutions, organes et organismes de l'Union.
8. En troisième lieu, la décision attaquée énonce, dans ses visas et motifs, l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est ainsi suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.
9. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, spécialement des motifs de la décision en litige, que le préfet de la Marne se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation personnelle du requérant. Par suite, ce moyen ne peut être favorablement accueilli.
10. En cinquième lieu, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que M. E... ait sollicité son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le requérant ne saurait utilement invoquer une violation de ces dispositions.
11. En sixième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. M. E... fait valoir qu'il est présent sur le territoire français depuis le 1er novembre 2014, qu'il exerce une activité professionnelle à temps partiel en qualité de coiffeur et qu'il vit avec une compatriote et leurs trois enfants mineurs, nés respectivement les janvier 2014, 15 mai 2015 et 31 mars 2018 et, pour les deux premiers, scolarisés en France. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément permettant d'apprécier la réalité et de la stabilité de la relation dont il se prévaut, ni sa contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que les intéressés seraient dans l'impossibilité de poursuivre leur vie privée et familiale au Nigéria. Par suite et alors que le requérant n'est pas isolé dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans et où résident notamment sa mère et un autre enfant mineur de l'intéressé, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. En septième lieu, compte tenu de ce qui vient d'être dit, les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation que le préfet de la Marne aurait commise en s'abstenant d'exercer son pouvoir de régularisation ne peuvent qu'être écartés.
14. En huitième et dernier lieu, aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
15. Si le préfet de la Marne indique, dans la décision en litige, que l'examen technique documentaire, effectué par la direction zonale de la police aux frontières de Metz, conclut à l'irrecevabilité, au regard de l'article 47 du code civil, des documents transmis par M. E... afin de justifier de son état-civil et de sa nationalité, il ressort des pièces du dossier et, notamment, de l'arrêté attaqué que le refus de délivrance de titre de séjour contesté ne se fonde pas sur un tel motif. Par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que le préfet, en considérant que les documents en cause étaient irréguliers, falsifiés ou inexacts, aurait entaché la décision en litige d'une erreur de fait et d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
16. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les moyens tirés de la méconnaissance du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'erreur manifeste qu'aurait commise le préfet dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de l'intéressé doivent être écartés.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant fixation du pays de destination :
17. Aux termes l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Si M. E... fait valoir qu'il craint pour sa vie en cas de retour au Nigéria, il n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations en cause ne peut être favorablement accueilli.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 17 avril 2018. Par voie de conséquence, les conclusions de M. E... à fin d'injonction et d'astreinte et à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1801522 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 23 octobre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de M. E... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
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N° 18NC03197