Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mars 2020, Mme C... E..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1901865 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Besançon ;
2°) d'annuler l'arrêté contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et dans les deux cas de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocate en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de séjour méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11-7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2020, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mai 2020.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante kosovare née en 1993, déclare être entrée en France le 12 décembre 2016, en compagnie de sa soeur cadette, D..., née en 1996. A la suite du rejet de sa demande d'asile et d'une première mesure d'éloignement et du rejet définitif de son recours contre cette mesure, par une ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy du 27 février 2019, Mme E... a, le 14 mars 2019, sollicité à nouveau son admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 juin 2019, le préfet du Doubs a rejeté sa demande et l'a obligée à quitter le territoire dans un délai de trente jours en fixant le pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... E... et sa soeur D..., nées respectivement en 1993 et 1996, de nationalité kosovare, sont entrées ensemble en France en décembre 2016 seulement et y résident depuis, coupées de leur famille demeurée au Kosovo, sans avoir noué d'autre attache sur le territoire national. Toutefois, D..., qui souffre d'une pathologie cardiaque sévère et est en attente d'une greffe de coeur, s'est vue délivrer, en raison de son état de santé, une carte de séjour temporaire le 5 mars 2019, la maison départementale des personnes handicapées lui ayant par ailleurs, le 11 mars 2019, reconnu un taux d'incapacité supérieur à 80 %. Il ressort des nombreux documents médicaux versés au dossier, en particulier du certificat médical très circonstancié que le Pr Seronde, praticien hospitalier au CHRU de Besançon assurant le suivi de D..., a établi le 6 mars 2019, que la présence permanente à ses côtés de la requérante est indispensable pour les actes de la vie courante, pour la surveillance de la machine assurant son assistance cardiaque et pour son soutien moral dans l'attente de sa greffe de coeur, la requérante constituant son unique attache personnelle ou familiale en France. Compte tenu de ces éléments, postérieurs à l'ordonnance du 27 février 2019 mentionnée au point 1, et en dépit de la faible ancienneté de son séjour et de son absence d'autres attaches en France, Mme E... est fondée à soutenir qu'en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et a ainsi méconnu les stipulations et dispositions précitées.
4. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que le refus de séjour contesté et, par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination, sont illégaux. Par suite, Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de la soeur de la requérante aurait, à la date du présent arrêt, évolué de telle manière que sa présence à ses côtés ne serait plus indispensable, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Doubs de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de fixer à deux mois à compter de la notification du présent arrêt le délai dont dispose le préfet pour déférer à cette injonction. Par ailleurs, dans l'attente de la délivrance de ce titre de séjour et en application de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est enjoint au préfet de délivrer à la requérante une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
6. Mme E... ayant, le 14 mai 2020, obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me F... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à Me F... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1 : Le jugement n° 1901865 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Besançon et l'arrêté du préfet du Doubs du 11 juin 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Doubs de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, ainsi que, dans l'attente, et dans le délai de quinze jours à compter de la même date, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me F..., avocate de Mme E..., la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me F... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... pour Mme C... E... en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Doubs.
N° 20NC00703 2