Par une requête enregistrée le 28 février 2018, MmeC... A..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 décembre 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 31 octobre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne d'instruire sa demande d'asile sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision contestée a été signée par une autorité incompétente ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été informée de son droit d'avertir son consulat et un conseil de son choix, ou de formuler des observations, en méconnaissance des articles L. 742-3 et L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle n'a pas été informée de la procédure de transfert dans les conditions prévues par les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- l'arrêté contesté prévoit son exécution d'office en méconnaissance de l'article L. 742-5 du code précité ;
- le préfet n'établit pas que ses empreintes digitales auraient été relevées par les autorités espagnoles ;
- elle n'a pas été informée de la saisine des autorités espagnoles aux fins de sa prise en charge ;
- l'arrêté contesté méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle ne peut pas retourner en Espagne ;
- les autorités françaises sont responsables de sa demande d'asile en application des articles 9, 10 et 13 du règlement précité.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 juin 2018, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.
Mme A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission européenne du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., née le 1er mai 1996, est une ressortissante de la République de Guinée qui déclare être entrée sur le territoire français le 29 juillet 2017. Elle a sollicité son admission au séjour le 29 septembre 2017 afin de déposer une demande d'asile. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac a révélé, lors de l'instruction de sa demande, que ses empreintes digitales avaient été relevées par les autorités espagnoles le 24 juillet 2017. Saisies par le préfet de la Marne, ces autorités ont donné leur accord exprès, le 25 octobre 2017, pour une prise en charge de l'intéressée. Le préfet a donc, par un arrêté du 31 octobre 2017, décidé le transfert de Mme A...vers l'Espagne en vue de l'examen de sa demande d'asile. La requérante relève appel du jugement du 11 décembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, Mme A...reprend en appel sans apporter aucun élément nouveau ses moyens tirés de ce que l'arrêté contesté aurait été signé par une autorité incompétente, de ce qu'elle aurait été privée des informations prévues par l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lors de la notification de cet arrêté et de ce que ledit arrêté méconnaitrait les dispositions de l'article L. 742-5 du même code. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge.
3. En deuxième lieu, l'arrêté contesté vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et notamment son article 13-1 en application duquel l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale est celui en provenance duquel vient l'étranger qui a franchi irrégulièrement la frontière de l'Etat saisi de cette demande. Cet arrêté vise également les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment ses articles L. 742-1 à L. 742-6. Il est ainsi suffisamment motivé en droit, quand bien même il ne préciserait pas l'ensemble des dispositions des règlements européens applicables, ni les dispositions réglementaires portant application des articles L. 742-1 à L. 742-6. L'arrêté de transfert rappelle encore que Mme A...a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile en France, que ses empreintes ont été relevées en Espagne et que les autorités de ce pays ont donné leur accord pour sa prise en charge. Il mentionne également qu'après examen de sa situation, il apparaissait que son transfert ne portait pas atteinte à son droit à une vie privée et familiale normale. Les éléments de motivation figurant dans l'arrêté ne sont ni stéréotypés, ni insuffisamment précis et ne sont pas de nature à révéler, de la part du préfet, une absence d'examen de sa situation personnelle. Par conséquent, l'arrêté contesté, qui n'avait pas à comporter en pièces jointes l'accord des autorités espagnoles, le relevé des empreintes de Mme A...ou les observations émises par celle-ci en vue de son transfert, est suffisamment motivé en fait. Il s'ensuit que le moyen tiré d'un prétendu défaut de motivation doit être écarté.
4. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite (...) dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable (...) / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 (...) / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application de ce règlement doit se voir remettre, dès le début de la procédure, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement et constitue une garantie dont la méconnaissance est de nature à entacher d'illégalité la décision ordonnant la remise de l'intéressé à l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'annexe X au règlement d'exécution du 30 janvier 2014, publié au Journal officiel de l'Union européenne le 8 février 2014, précise le contenu de la brochure commune prévue par le paragraphe 3 de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013.
5. D'autre part, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel (...) ".
6. Le préfet de la Marne soutenait devant les premiers juges, sans être sérieusement contredit par MmeA..., que celle-ci a déclaré comprendre le français, langue officielle de la République de Guinée, et le diakhanté, langue pratiquée dans sa région d'origine. Il ressort des pièces du dossier, notamment du compte-rendu d'entretien produit par le préfet de la Marne que MmeA..., contrairement à ce qu'elle soutient, a bénéficié le 29 septembre 2017 d'un entretien individuel dans les services de la préfecture, avec le concours d'un interprète en langue diakhanté, afin de déterminer l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. La requérante a reçu, à l'occasion de cet entretien, trois documents établis en langue française correspondant au guide du demandeur d'asile, à la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et à la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ". La requérante, qui a signé la couverture de ces trois documents, ainsi que le compte-rendu d'entretien comportant la mention " Je soussigné certifie sur l'honneur que (...) le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires m'ont été remis ", a attesté avoir été destinataire des informations requises par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013. Il n'est pas établi que Mme A...n'aurait pas compris la portée des informations précitées dès lors qu'elles lui ont été données par écrit en français, langue dont le préfet pouvait raisonnablement penser qu'elle la comprenait, et avec l'assistance d'un interprète en diakhanté à même d'assurer, le cas échéant, une bonne compréhension de ces informations lors de l'entretien individuel. Au demeurant, elle produit à l'instance un document rédigé en français retraçant son parcours avant son entrée sur le territoire français, dont elle ne conteste pas être l'auteur. La requérante n'établit pas non plus que l'administration aurait omis de l'informer de ce que ses empreintes digitales ont été relevées en Espagne et de ce que les autorités de ce pays allaient être saisies d'une demande de prise en charge, alors que le compte-rendu d'entretien précité fait expressément état de ces informations. Par conséquent, Mme A...n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Marne aurait méconnu les dispositions précitées des articles 4 et 5 du règlement du 26 juin 2013.
7. En quatrième lieu, aux termes du paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 : " La détermination de l'Etat membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un Etat membre ". Aux termes de l'article 13 du même règlement : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière / 2. Lorsqu'un État membre ne peut pas, ou ne peut plus, être tenu pour responsable conformément au paragraphe 1 du présent article et qu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, que le demandeur qui est entré irrégulièrement sur le territoire des États membres ou dont les circonstances de l'entrée sur ce territoire ne peuvent être établies a séjourné dans un État membre pendant une période continue d'au moins cinq mois avant d'introduire sa demande de protection internationale, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) ". Il est prévu au paragraphe 1 de l'article 18 du même règlement que " L'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / a) prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre (...) ".
8. D'une part, Mme A...n'apporte aucun élément de nature à démontrer que, contrairement aux données résultant de la consultation du fichier Eurodac, les autorités espagnoles n'auraient jamais relevé ses empreintes digitales.
9. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que la requérante a franchi la frontière espagnole en provenance d'un Etat tiers, que ses empreintes ont été relevées en Espagne le 24 juillet 2017 puis qu'elle est entrée en France le 29 juillet 2017 pour y déposer sa demande d'asile le 29 septembre 2017. Il s'ensuit que l'Espagne est l'Etat membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale présentée par MmeA..., conformément au paragraphe 1 de l'article 13 du règlement du 26 juin 2013.
10. Enfin, si les articles 9 et 10 du règlement du 26 juin 2013 prévoient qu'est responsable de la demande d'asile l'Etat membre qui a engagé l'instruction de la demande par ailleurs présentée par un membre de la famille du demandeur ou qui a admis ce dernier à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale, il résulte explicitement de l'article 2 du même règlement que, pour l'application de celui-ci, seuls sont regardés comme des membres de la famille le conjoint du demandeur, ses enfants mineurs, ainsi que ses parents ou tout autre adulte qui en est responsable lorsque le demandeur est mineur. Par conséquent, la requérante, qui est majeure, ne saurait utilement se prévaloir d'une méconnaissance des articles 9 et 10 du règlement précité au motif que les autorités françaises ont reconnu la qualité de réfugié à sa soeur, également majeure.
11. En cinquième lieu, la seule circonstance qu'une soeur de Mme A...réside en France ne suffit pas à établir que l'arrêté contesté méconnaîtrait son droit à une vie privée et familiale normale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Mme A...ne conteste pas utilement l'arrêté litigieux en faisant état des risques qu'elle encourt pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine dès lors que cet arrêté a pour seul objet de décider son transfert vers l'Espagne. Il n'est pas établi que le préfet n'aurait pas tenu compte de sa capacité à voyager vers ce pays, alors en outre qu'elle ne fait état d'aucune difficulté, notamment médicale, qui ferait obstacle à un tel voyage. Par conséquent, le moyen tiré d'une prétendue méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté. Le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté pour les mêmes raisons.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Marne.
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N° 18NC00538