Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 avril 2017 et le 11 septembre 2017, Mme C...A..., représentée par la SCP Choffrut-Brener, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 16 février 2017 ;
2°) de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont elle a été victime dans l'exercice de ses fonctions ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Reims la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime d'un harcèlement moral à compter de février 2013 ;
- son comportement n'est pas à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail ; il ne peut lui être reproché de bénéficier de restrictions médicales ;
- cette situation a porté atteinte à sa dignité et à son honneur, entraîné une dégradation de son état de santé et a eu des répercussions sur l'évolution de sa carrière ;
- le CHU de Reims n'a pris aucune mesure pour mettre fin au harcèlement et a préféré l'inciter à accepter une mutation dans un autre service ;
- l'abstention du CHU de Reims, en dépit de ses alertes répétées, constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- elle a subi un préjudice moral évalué à 50 000 euros ;
- le lien entre son préjudice moral et le harcèlement moral est établi ;
- le classement sans suite de la plainte pénale ne s'oppose pas la reconnaissance d'un harcèlement moral ;
- les réunions organisées par le CHU de Reims ne portaient pas sur le harcèlement moral dont elle était victime mais sur ses problèmes de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2017, le centre hospitalier universitaire de Reims, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de MmeA..., en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le harcèlement moral n'est pas constitué ;
- des mesures ont été prises en vue de régler le conflit opposant la requérante aux agents du service ;
- Mme A...n'a pas fait l'objet d'une diminution injustifiée de ses fonctions ;
- le fait d'avoir, d'une manière inappropriée, tenté de mettre fin à une situation irrégulière ne saurait être constitutif d'un harcèlement moral ;
- la réalité du préjudice subi n'est pas établie ;
- aucune faute n'a été commise par le centre hospitalier ;
- le lien de causalité direct et certain entre le stress de la requérante et les faits dénoncés n'est pas établi ;
- la somme réclamée est manifestement excessive.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., aide-soignante au centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, a été reclassée dans un emploi administratif en 2001, en raison d'une inaptitude à ses fonctions, puis intégrée dans le corps des adjoints administratifs hospitaliers. Le 1er décembre 2003, elle a demandé à être réintégrée dans " la grille des aides-soignantes " pour des raisons financières. Par une décision du 3 septembre 2004, elle a été intégrée " à titre dérogatoire " dans le corps des aides-soignantes à compter du 1er septembre 2004, tout en continuant à occuper un poste d'agent administratif. Le 11 octobre 2006, à sa demande, elle a été affectée à un emploi de vaguemestre au service du courrier. A compter du mois d'août 2013, elle a signalé à la direction du CHU de Reims qu'elle était victime depuis près de six mois d'une situation de harcèlement moral de la part de son supérieur et de ses collègues du service du courrier qui a abouti à une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé. Après avoir vainement adressé une réclamation indemnitaire au CHU de Reims, elle a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime. Par un jugement du 16 février 2017, dont elle fait appel, le tribunal a rejeté cette demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. Pour faire présumer l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral dont elle aurait été victime, Mme A...soutient que depuis l'arrêt de maladie de sa seule collègue féminine en 2013, le responsable du service vaguemestre et ses collègues masculins se moquent d'elle et ont, à son égard, un comportement humiliant et vexatoire. Elle fait également valoir que depuis son retour de congé de maladie en février 2013, elle fait l'objet d'un isolement et que l'essentiel de ses missions lui a été retiré, alors même qu'aucune contre-indication médicale ne le justifie. Elle reproche également à la direction du centre hospitalier de Reims, informée de ces faits, de n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour remédier à cette situation et de s'être bornée à la contraindre à solliciter un reclassement. L'ensemble de cette situation a eu pour effet de porter atteinte à sa dignité, de dégrader son état de santé et de mettre en péril son avenir professionnel.
6. En premier lieu, si Mme A...soutient avoir été l'objet de moqueries et de propos vexatoires et humiliants de la part de son supérieur hiérarchique et des autres agents du service, elle ne l'établit pas par la seule production de courriers, notamment du 25 août 2013 et des 11 janvier et 19 février 2014, qu'elle a adressés à sa direction et au défenseur des droits, en l'absence de tout témoignage corroborant les faits, au demeurant très sommaires, qu'elle y décrit. Les fiches de signalement de risques psycho-sociaux du 4 août 2014 relatant des incidents avec son supérieur et deux autres collègues ne sont pas davantage de nature à faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué par MmeA.... Ils tendent seulement à démontrer que les rapports entre Mme A...et son supérieur ainsi qu'avec un autre de ses collègues étaient tendus. L'attestation de son ancienne collègue, faisant valoir qu'elle aurait elle-même été victime d'un harcèlement de la part du responsable du service des vaguemestres, est insuffisante pour établir que Mme A...aurait été l'objet de moqueries ou d'humiliations. Quant à l'attestation du 29 décembre 2014, établie par un délégué syndical, elle se borne à relater les déclarations de Mme A... selon lesquelles son supérieur aurait rédigé sa notation devant les autres agents dans des conditions ne garantissant pas sa confidentialité. En outre, il résulte de l'instruction que l'enquête administrative diligentée par le CHU de Reims n'a pas permis de recueillir des éléments probants sur les faits de harcèlement moral dénoncés par MmeA.... Au demeurant, la plainte pour faits de harcèlement moral que la requérante a déposée, le 15 août 2014, contre son supérieur hiérarchique, qui n'a aucunement reconnu l'existence d'un harcèlement, a été classée sans suite.
7. En deuxième lieu, Mme A...fait valoir qu'elle a été mise à l'écart par les agents du service à son retour de congé de maladie en février 2013. S'il résulte de l'instruction que les restrictions médicales de l'aptitude de Mme A...ont eu pour effet un report de la charge de travail sur les autres agents du service qu'ils ont mal vécu, circonstance qui ne saurait lui être reprochée, il n'en demeure pas moins que ces derniers ont souligné, notamment dans une fiche de signalement de risque psycho-social du 14 mars 2014, sa mauvaise volonté dans l'accomplissement de ses missions qui serait à l'origine, selon eux, d'une ambiance délétère dans le service. D'ailleurs, selon le compte-rendu d'entretien produit par le CHU de Reims, le médecin de prévention a mentionné que si les problèmes de santé de Mme A...sont avérés, la requérante a tendance à les " instrumentaliser pour choisir les tâches qu'elle souhaite réaliser parmi celles de sa fiche de poste ". Enfin, si l'intéressée évoque un isolement, qui se manifeste par le fait que les agents du service, à l'exception de l'adjoint au responsable, ne lui adressent plus la parole, cette circonstance ne peut être regardée, compte tenu de la dégradation des relations professionnelles entre les agents du service, comme constitutive d'un harcèlement moral.
8. En troisième lieu, si Mme A...soutient que la direction du CHU de Reims est restée inerte à la suite des signalements de harcèlement moral dont elle l'a informée, il résulte de l'instruction qu'une enquête administrative, qui a donné lieu à l'audition de l'intéressée et des autres agents du service, s'est déroulée de septembre à octobre 2013. Les conclusions de cette enquête n'ont pas permis d'établir l'existence d'un harcèlement mais seulement de tensions internes relativement importantes au sein du service. Par ailleurs, le CHU de Reims a incité la requérante à présenter une demande de reclassement ayant pour objet, eu égard aux restrictions d'aptitude émises par le médecin du travail jusqu'en septembre 2014, de lui permettre d'occuper un emploi compatible avec son aptitude physique, les contraintes organisationnelles du service et de régler le malaise entre les agents. De plus, pour suivre l'évolution des relations au sein du service du courrier, le CHU de Reims a organisé des réunions hebdomadaires avec son responsable. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir d'une inertie du CHU de Reims qui aurait contribué à la dégradation de son état de santé.
9. En quatrième lieu, Mme A...soutient qu'une grande partie de ses missions a été supprimée, alors même qu'elles étaient compatibles avec son état de santé. Il ressort des pièces du dossier que la fiche de poste de l'intéressée jusqu'au 10 septembre 2014, date à laquelle toutes les restrictions à son aptitude à l'emploi de vaguemestre ont été levées, autorisait le tri, le compostage, occasionnellement des démarches en mairie et, si nécessaire, la distribution de lettres recommandées à l'exclusion des tournées, même en double, et le port de charges supérieures à 2 kg. S'il est vrai que Mme A...a pu procéder, jusqu'en octobre 2013, en plus du tri et du compostage du courrier, à la distribution du courrier recommandé et à son ramassage, il résulte de l'instruction, notamment d'un compte-rendu du 30 avril 2013, qu'elle s'est plainte d'une surcharge de travail, liée à la prise en charge régulière d'une tournée, à la suite de l'arrêt de maladie de sa collègue féminine, qui a eu pour effet de lui faire accomplir des tâches contre-indiquées par sa fiche d'aptitude. La direction du CHU de Reims lui a d'ailleurs interdit la réalisation des tournées, dont certaines tâches étaient susceptibles d'affecter sa santé, pour se conformer à l'avis du médecin du travail du 6 décembre 2013. Il résulte également de l'instruction que la distribution du courrier recommandé d'un poids inférieur à 2 kg ne lui a pas été confiée pour éviter la désorganisation du fonctionnement du service dans la mesure où cette tâche est difficilement dissociable de façon permanente des autres tâches composant la tournée. Ainsi, au regard de ces éléments, la diminution des tâches de l'intéressée, qui était justifiée par l'intérêt du service, n'a pas excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. En outre, si après l'avis d'aptitude sans restriction aux fonctions de vaguemestre du 10 septembre 2014, la direction du CHU de Reims ne lui a pas confié de nouvelles tâches, cette circonstance ne saurait à elle-seule caractériser une situation de harcèlement moral.
10. En cinquième lieu, le certificat médical de son médecin traitant du 12 novembre 2014 produit par Mme A...ne fait que relater les propos de l'intéressée et ne permet pas d'imputer la détérioration de son état de santé à l'existence d'un harcèlement moral.
11. En sixième lieu, Mme A...soutient qu'au lieu de mettre fin au harcèlement moral, la direction du CHU de Reims a préféré la contraindre à accepter un reclassement qui a compromis son avenir professionnel. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment d'un avis du médecin de prévention du 6 août 2013, qu'à la date à laquelle elle avait été invitée à présenter une demande de reclassement, soit en décembre 2013, la requérante n'était pas apte à l'ensemble des fonctions de vaguemestre et que le reclassement avait été envisagé pour préserver sa santé et le bon fonctionnement du service. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, notamment d'un compte-rendu d'entretien du 11 février 2014, que le changement de service avait également pour objet de régler les tensions existantes entre Mme A...et les autres agents. Dans ces conditions, la circonstance que le CHU de Reims l'a incitée à accepter un reclassement ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral. Enfin, si les appréciations des notations de 2013 et 2014 sont plus tempérées que les années précédentes, en particulier concernant l'attitude de MmeA..., il ne résulte pas de l'instruction qu'elles ne seraient pas justifiées dès lors que, par son comportement, elle a participé aux tensions dans le service. Par ailleurs, la requérante n'apporte aucun élément permettant d'établir que sa carrière aurait été ralentie par son supérieur hiérarchique.
12. Il s'ensuit que les faits évoqués par MmeA..., pris dans leur ensemble ou isolément, ne peuvent être regardés comme des agissements répétés constitutifs d'un harcèlement moral. Par suite, le CHU de Reims n'a pas commis de faute à l'égard de l'intéressée.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire fondée sur l'existence d'un harcèlement moral.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Reims, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A...demande au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A...la somme que demande le CHU de Reims au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du CHU de Reims présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A...et au centre hospitalier universitaire de Reims.
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N° 17NC00858