Par un arrêt n° 15NC01470 du 23 juin 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par Me B...A..., liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines, contre ce jugement.
Par une décision n° 402936 du 25 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nancy.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 juillet 2015, un mémoire en réplique enregistré le 9 mai 2016 et un mémoire produit le 29 août 2018 après la cassation de l'arrêt du 23 juin 2016, Me B...A..., liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines, représenté par la SELARL Leonem Avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 mai 2015 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société pour la période du 1er janvier 2006 au 30 novembre 2008 ainsi que des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- si le 7° de l'article 257 du code général des impôts ne permet pas d'appliquer la taxe sur la valeur ajoutée à ses opérations de ventes de terrains à bâtir au motif que ceux-ci sont acquis par des particuliers en vue d'y construire leur maison d'habitation, l'administration ne pouvait en déduire que ces opérations seraient taxables sur le fondement du 6° du même article applicable aux marchands de biens ;
- l'assujettissement de l'acquisition des terrains à bâtir au régime de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière dont le champ d'application est défini au 7° de l'article 257 fait obstacle à la taxation de la revente selon le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge défini au 6° du même article ;
- les ventes de terrains à bâtir ne pouvaient être taxées selon le régime de la marge dès lors que ces terrains n'ont pas été revendus en l'état et que les opérations de vente ne pouvaient donc être assimilées à celles qui sont réalisées par un marchand de biens ;
- en application de l'article 392 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006, le régime de la marge ne peut s'appliquer qu'en l'absence de déduction possible de la taxe sur la valeur ajoutée ;
- le régime de la marge n'était donc pas applicable dès lors que la SARL Golf de Sarreguemines est réputée avoir déduit la taxe sur la valeur ajoutée facturée à la SARL Domaine du Golf de Welferding lors de l'acquisition du terrain ;
- la SARL Golf de Sarreguemines doit être regardée comme continuant la personne de la SARL Domaine du Golf de Welferding en application de l'article L. 236-3 du code du commerce et de l'article 257 bis du code général des impôts ;
- les dispositions du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du code général des impôts dont l'administration a fait application doivent être écartées comme incompatibles avec la directive du 28 novembre 2006 ;
- le 7° de l'article 257 du code général des impôts est également incompatible avec le droit communautaire ;
- l'administration fiscale n'apporte pas la preuve de l'intention de la SARL Golf de Sarreguemines d'éluder l'impôt.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 février 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les dispositions du 6° de l'article 257 du code général des impôts et celles de l'article 268 du même code sont compatibles avec l'article 392 de la directive 2006/112 du 28 novembre 2006 ;
- la société ne peut légalement prétendre à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l'ensemble des frais exposés en vue de la réalisation de son opération de lotissement, dès lors qu'elle a déjà déduit la taxe ayant grevé les travaux d'aménagement et de viabilisation des parcelles lors du règlement des factures correspondantes ;
- le requérant ne peut utilement invoquer des instructions se rapportant aux dispositions applicables postérieurement à la période d'imposition ;
- la société ne peut utilement se prévaloir de la transmission universelle du patrimoine de la SARL Domaine du Golf de Welferding qu'elle a absorbée, dès lors que la taxe litigieuse a été déduite par cette société avant l'opération de fusion-absorption ;
- l'administration établit que la SARL Golf de Sarreguemines présente la qualité de marchand de biens ;
- elle établit l'intention de la redevable d'éluder l'impôt, justifiant ainsi l'application de pénalités pour manquement délibéré.
Par une ordonnance du 3 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 ;
- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me C...pour MeA....
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Domaine du Golf de Welferding a acquis auprès de la commune de Sarreguemines, le 22 juin 1998, un terrain situé au lieu-dit Heidenhaeusser en vue d'y réaliser une opération de lotissement et d'aménagement. Elle a bénéficié à cet effet d'une autorisation délivrée par le maire de cette commune le 7 novembre 2002. Cette autorisation de lotir a été transférée le 28 décembre 2004 à la SARL Golf de Sarreguemines, après que celle-ci a absorbé la SARL Domaine du Golf de Welferding. Entre le 1er janvier 2005 et le 30 novembre 2008, la SARL Golf de Sarreguemines a cédé à des particuliers les terrains à bâtir issus de l'opération de lotissement sans les soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée. Cependant, estimant que ces opérations ne pouvaient en être exonérées, l'administration fiscale a mis à la charge de la SARL Golf de Sarreguemines des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des ventes réalisées au cours de la période du 1er janvier 2006 au 30 novembre 2008, calculés selon le régime de la marge prévu au 6° de l'article 257 et à l'article 268 du code général des impôts. Par un jugement du 7 mai 2015, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de ces rappels. Par un arrêt du 23 juin 2016, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé contre ce jugement par Me A..., liquidateur judiciaire de la SARL Golf de Sarreguemines. Par une décision du 25 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article 392 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, applicable à compter du 1er janvier 2007, qui reprend le f du 3 de l'article 28 la sixième directive du 17 mai 1977 : " Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n'a pas eu droit à déduction à l'occasion de l'acquisition, la base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d'achat ". Aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur avant sa modification par l'article 16 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 6° Sous réserve du 7° : / a) les opérations qui portent sur des immeubles (...) et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux (...) ; / 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles. / Ces opérations sont imposables même lorsqu'elles revêtent un caractère civil. / 1. Sont notamment visés : / a) Les ventes (...) de terrains à bâtir (...) / Sont notamment visés par le premier alinéa, les terrains pour lesquels, dans un délai de quatre ans à compter de la date de l'acte qui constate l'opération, l'acquéreur (...) obtient le permis de construire ou le permis d'aménager ou commence les travaux nécessaires pour édifier un immeuble (...). / Ces dispositions ne sont pas applicables aux terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation (...) ". Aux termes de l'article 261 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) / 5. (Opérations immobilières) : / 1° Lorsqu'elles n'entrent pas dans le champ d'application du 7° de l'article 257 ; / a. Les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant (...) ". Aux termes de l'article 268 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " En ce qui concerne les opérations visées au 6° de l'article 257, la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part (...) les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien (...). ".
3. Il résulte des dispositions des articles 257 et 268 précités que les opérations qui portent sur des terrains à bâtir et sont réalisées par des marchands de biens ou des lotisseurs ne sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 6° de l'article 257 que pour autant qu'elles ne relèvent pas du 7° du même article. Ces opérations entrent dans le champ d'application du 7° de cet article si elles ont eu lieu, à la date de la cession, en vue de la production ou de la livraison d'immeubles, à l'exception des cessions, à des personnes physiques, de terrains en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation. Dans l'hypothèse où l'acquisition d'un terrain à bâtir a été régulièrement placée sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière dont le champ d'application est défini au 7° de l'article 257, cet assujettissement fait obstacle à la taxation de sa revente selon le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge défini au 6° du même article.
4. D'autre part, aux termes de l'article 257 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Les livraisons de biens, les prestations de services et les opérations mentionnées aux 6° et 7° de l'article 257, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens. (...) / Le bénéficiaire est réputé continuer la personne du cédant, notamment à raison des régularisations de la taxe déduite par ce dernier, ainsi que, s'il y a lieu, pour l'application des dispositions du e du 1 de l'article 266, de l'article 268 ou de l'article 297 A ".
5. Il résulte des dispositions combinées des articles 257, 257 bis et 268 précités du code général des impôts que, pour l'appréciation de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée immobilière de l'acquisition d'un terrain à bâtir et des conditions d'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, le bénéficiaire d'une transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens est réputé continuer la personne du cédant.
6. Il n'est pas contesté par l'administration que l'acquisition du terrain situé au lieu-dit Heidenhaeusser par la SARL Domaine du Golf de Welferding a été régulièrement placée sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière dont le champ d'application est défini au 7° de l'article 257 du code général des impôts, et que cette société se trouvait en conséquence titulaire d'un droit à déduction. Au demeurant, l'administration a reconnu que la SARL Domaine du Golf de Welferding avait effectivement exercé ce droit à déduction avant d'être absorbée par la SARL Golf de Sarreguemines. Cette société absorbante, bénéficiaire d'une transmission universelle du patrimoine de la SARL Domaine du Golf de Welferding dont elle est réputée continuer la personne, pouvait donc utilement se prévaloir de ce que l'acquisition du terrain auprès de la commune de Sarreguemines a été placée sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière. Cet assujettissement fait obstacle à la taxation de la revente selon le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge défini au 6° de l'article 257 du code général des impôts. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Me A...est fondé à soutenir qu'aucun rappel de taxe ne pouvait être assigné à la SARL Golf de Sarreguemines selon le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
7. Il résulte de tout ce qui précède que MeA..., liquidateur de la SARL Golf de Sarreguemines, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de décharge présentée par cette société.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Me A...et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n°1100799 du 7 mai 2015 est annulé.
Article 2 : La SARL Golf de Sarreguemines est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier 2006 au 30 novembre 2008 ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 3 : L'Etat versera à MeA..., liquidateur de la SARL Golf de Sarreguemines, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me B...A..., liquidateur de la SARL Golf de Sarreguemines, et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 18NC01601