Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 septembre 2018, M.D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg du 13 juin 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet du Bas-Rhin du 4 mai 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans le délai de huit jours à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il n'a pas bénéficié de l'entretien individuel prévu à l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le préfet a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en décidant de le remettre aux autorités tchèques, dès lors qu'il n'est pas certain que sa demande sera effectivement examinée en République Tchèque ;
- il encourt des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Géorgie ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale dès lors qu'il n'a pas reçu l'information prévue à l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant assignation à résidence n'est pas suffisamment motivée ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale du fait de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités tchèques ;
- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; le préfet n'établit pas qu'elle est justifiée et proportionnée.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision de transfert compte tenu de l'expiration du délai de 6 mois courant à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, interrompu jusqu'à la date à laquelle le tribunal administratif a statué au principal, rendant la France responsable de la demande de protection internationale de M. C...(A..., 24 septembre 2018, n° 420708).
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2004-374 du 29 juin 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Haudier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant géorgien né en 1994, est entré irrégulièrement en France au mois de mars 2018. Il a présenté une demande d'admission au séjour au titre de l'asile le 29 mars 2018. Après avoir constaté que l'intéressé était entré en France sous couvert d'un visa délivré par les autorités tchèques, le préfet du Bas-Rhin a considéré que la République Tchèque était responsable de l'examen de la demande d'asile de M.C.... Par deux arrêtés du 4 mai 2018, le préfet du Bas-Rhin a décidé la remise de ce dernier aux autorités tchèques en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. C...relève appel du jugement du 13 juin 2018, par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur les conclusions dirigées contre la décision portant remise aux autorités tchèques :
2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 de ce code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / La présidente ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
5. Il est constant que l'arrêté du 4 mai 2018, par lequel le préfet du Bas-Rhin a ordonné la remise de M. C...aux autorités tchèques est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle la République Tchèque a donné son accord pour sa reprise en charge, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a été interrompu par l'introduction, par M.C..., d'un recours contre cet arrêté, présenté sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile devant le tribunal administratif de Strasbourg. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 juin 2018 qui, statuant au principal sur ce recours, l'a rejeté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013, au motif d'un emprisonnement de l'intéressé ou au motif que celui-ci aurait pris la fuite. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la décision de transfert en litige aurait été exécutée au cours de ce délai de six mois, qui expirait le 13 décembre 2018, date à laquelle, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M.C.... Il s'ensuit qu'au 14 décembre 2018, la décision de transfert en litige est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel, les conclusions de la requête de M. C...tendant à l'annulation du jugement du 13 juin 2018 rejetant sa demande dirigée contre l'arrêté du 4 mai 2018 décidant son transfert vers l'Italie sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la décision portant transfert vers la République Tchèque :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque (...) b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
7. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a bénéficié le 29 mars 2018, avec l'assistance d'un interprète en langue arménienne, d'un entretien individuel aux fins de faciliter la détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des informations contenues dans le compte-rendu de l'entretien individuel, que cet entretien n'aurait pas été réalisé selon les formes et les conditions prévues par les dispositions précitées. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté.
8. En deuxième lieu, le requérant n'apporte aucun élément de nature à établir que sa demande d'asile ne sera pas examinée de manière effective en République Tchèque, qui est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. C...n'est par suite pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en décidant de le remettre aux autorités tchèques.
9. En troisième lieu, si le requérant soutient qu'il encourt des risques de traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Géorgie, le moyen est inopérant, dès lors que la décision litigieuse ne prévoit pas l'éloignement de l'intéressé vers la Géorgie.
10. M. C...n'est ainsi pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant transfert vers la République Tchèque à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 4 mai 2018, par laquelle le préfet du Bas-Rhin l'a assigné à résidence.
En ce qui concerne les autres moyens :
11. En premier lieu, la décision litigieuse comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers assignés à résidence sur le fondement des articles L. 552-4 et L.561-2 se voient remettre une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, sur les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, sur la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ". Aux termes de l'article R. 561-5 du même code : " L'étranger auquel est notifiée une assignation à résidence en application de l'article L. 552-4 ou de l'article L.561-2 est informé de ses droits et obligations par la remise d'un formulaire à l'occasion de la notification de la décision par l'autorité administrative ou, au plus tard, lors de sa première présentation aux services de police ou de gendarmerie. / Ce formulaire, dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre de l'intérieur, rappelle les droits et obligations des étrangers assignés à résidence pour la préparation de leur départ. Il mentionne notamment les coordonnées locales de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le droit de l'étranger de communiquer avec son consulat et les coordonnées de ce dernier, ainsi que le droit de l'étranger d'informer l'autorité administrative de tout élément nouveau dans sa situation personnelle susceptible d'intéresser sa situation administrative. Il rappelle les obligations résultant de l'obligation de quitter le territoire français et de l'assignation à résidence ainsi que les sanctions encourues par l'étranger en cas de manquement aux obligations de cette dernière. / Ce formulaire est traduit dans les langues les plus couramment utilisées désignées par un arrêté du ministre chargé de l'immigration ".
13. Il résulte de ces dispositions que la remise du formulaire relatif aux droits et obligations des étrangers assignés à résidence doit s'effectuer au moment de la notification de la décision d'assignation à résidence ou, au plus tard, lors de la première présentation de l'étranger aux services de police ou de gendarmerie. Elle constitue ainsi une formalité postérieure à l'édiction de la décision d'assignation à résidence dont les éventuelles irrégularités sont, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de cette décision. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 561-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant et ne peut être qu'écarté.
14. En troisième lieu, les autorités tchèques ont accepté la demande de reprise en charge de M.C.... Il n'est ainsi pas établi qu'il n'existerait pas une perspective raisonnable à l'éloignement de l'intéressé vers la République Tchèque. Le requérant n'apporte, en outre, aucun élément de nature à démontrer que la mesure prise ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée aux finalités qu'elle poursuit.
15. Il résulte de tout ce qui précède, que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 4 mai 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin l'a assigné à résidence pour une durée de 45 jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent ainsi être que rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. C...présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de M. C...tendant à l'annulation du jugement du 13 juin 2018 rejetant sa demande dirigée contre l'arrêté du 4 mai 2018 décidant son transfert vers la République Tchèque.
Article 2 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 18NC02575