Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 juin 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 1er février 2018, le Conseil national de l'ordre des médecins, représenté par la SCP Matuchansky-Poupot-Valdelièvre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...D...devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. D...le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la demande de M. D...a été rejetée après un examen de l'ensemble des griefs exprimés par ce dernier ;
- le conseil a été saisi par M. D...en application de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique qui réserve le droit de former plainte devant la chambre disciplinaire à certaines autorités, dont le conseil national de l'ordre des médecins ;
- il n'était pas tenu de transmettre la plainte de M. D...à la chambre disciplinaire dès lors que les dispositions de l'article L. 4123-2 du même code ne trouvent pas à s'appliquer lorsque le conseil national est saisi au titre de l'article L. 4124-2 ;
- M. D...a seulement reproché à son collègue des manquements aux règles de la confraternité, sans faire état d'une atteinte au principe selon lequel l'exercice de la médecine est personnel ;
- la décision contestée n'était pas soumise à l'obligation de motivation ;
- cette décision est en tout état de cause motivée de façon suffisante ;
- elle n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 17 novembre 2017 et le 30 janvier 2018, M. B... D..., représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- le conseil national de l'ordre des médecins était tenu de transmettre sa plainte en application de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique ;
- il a omis de procéder à un examen de l'ensemble des griefs exprimés à l'encontre du docteurC..., notamment en ce qui concerne l'atteinte portée au principe selon lequel l'exercice de la médecine est personnel.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., chirurgien orthopédiste, a été nommé praticien hospitalier au centre hospitalier intercommunal de Wissembourg en 2010. Il a exercé ses fonctions au sein du service de chirurgie jusqu'à sa mutation au service des urgences au début de l'année 2013. Le 7 juin 2013, il a saisi le conseil départemental de l'ordre des médecins du Bas-Rhin d'une plainte contre le docteur C..., avec lequel il a travaillé de 2010 à 2013 au service de chirurgie. A la suite du refus du conseil départemental de l'Ordre des médecins de saisir la chambre disciplinaire d'une plainte à l'encontre du docteurC..., M. D...a réitéré sa demande, le 30 juillet 2014, devant le Conseil national de l'ordre des médecins. Celui-ci relève appel du jugement du 13 avril 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 25 septembre 2014 rejetant la demande de M.D....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Après avoir relevé que, devant le Conseil national de l'ordre des médecins, M. D... reprochait au docteur C...non seulement un comportement non confraternel méconnaissant les dispositions de l'article R. 4127-56 du code de la santé publique, mais également une immixtion dans ses prescriptions médicales et le suivi de ses patients, alors que l'article R. 4127-69 du même code prévoit que " l'exercice de la médecine est personnel " et que " chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes ", le tribunal administratif a constaté que la demande de M. D...avait été rejetée au seul motif qu'il n'apportait pas la preuve de l'attitude non-confraternelle du docteur C...et en a déduit que le Conseil national avait omis de se prononcer sur l'ensemble de ses griefs.
3. Dans sa demande présentée le 30 juillet 2014 devant le Conseil national de l'ordre des médecins, M. D...soutenait que le docteur C...le traitait comme son assistant alors qu'il ne lui était pas hiérarchiquement subordonné, qu'il mettait en cause ses compétences professionnelles en le dénigrant en public, qu'il aurait cherché à obtenir son éviction du service et répandu une rumeur infondée à son sujet et qu'il s'ingérait dans les opérations de diagnostic et de suivi de ses patients. M. D... sollicitait ainsi l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre du docteur C..., justifiée selon lui par des manquements à la confraternité prévue par l'article R. 4127-56 du code de la santé publique et, plus généralement, aux règles déontologiques. En revanche, il ne ressort pas des termes de sa demande qu'il aurait entendu reprocher à son collègue un manquement, par ce dernier, aux principes d'indépendance et de responsabilité prévus par les dispositions de l'article R. 4127-69 du code de la santé publique. Si M. D...indiquait que le comportement du docteur C...le mettait dans l'impossibilité de répondre à ses propres obligations d'indépendance et de responsabilité, il se bornait sur ce point à faire état des conséquences de l'ingérence de son collègue dans sa propre pratique médicale et révélant, de la part de ce dernier, un comportement non confraternel. Il ressort en outre du procès-verbal de la délibération du 25 septembre 2014, rappelant expressément les ingérences reprochées au docteur C... dans les activités médicales de M. D..., que le Conseil national de l'ordre des médecins les a bien pris en compte dans l'examen de la demande de l'intéressé. Il résulte de ce même document que les témoignages produits par M. D... ont également été examinés par le Conseil national. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg s'est fondé sur un défaut du Conseil national dans l'examen de l'ensemble des griefs allégués par M. D... pour annuler la décision contestée.
4. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...devant le tribunal administratif de Strasbourg et devant la cour.
5. En premier lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique, dans sa version applicable : " Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d'au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs des membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. / Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant (...) / En cas de carence du conseil départemental, l'auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d'un mois ". Aux termes de l'article R. 4126-1 du même code : " L'action disciplinaire contre un médecin (...) ne peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l'une des personnes ou autorités suivantes : 1° Le conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes, formées notamment par les patients, les organismes locaux d'assurance maladie obligatoires, les médecins-conseils chefs ou responsables du service du contrôle médical placé auprès d'une caisse ou d'un organisme de sécurité sociale, les associations de défense des droits des patients, des usagers du système de santé ou des personnes en situation de précarité, qu'ils transmettent, le cas échéant en s'y associant, dans le cadre de la procédure prévue à l'article L. 4123-2 (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique : " Les médecins, les chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (...) ".
7. M. D... a saisi le Conseil national de l'ordre des médecins, le 30 juillet 2014, en sollicitant de cet organisme qu'il engage une action disciplinaire sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique, à raison de faits reprochés au docteur C..., dont il n'est pas soutenu qu'ils seraient détachables des actes de la fonction publique de ce médecin. Dans ces conditions, seules avaient vocation à s'appliquer les dispositions de l'article L. 4124-2 qui investissent certaines autorités seulement, dont le Conseil national de l'ordre des médecins, du pouvoir de décider, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, s'il y a lieu ou non de traduire un praticien hospitalier devant la chambre disciplinaire de première instance lorsqu'elles ont eu connaissance de faits pouvant faire l'objet de poursuites disciplinaires. M. D...ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique qui s'appliquent lorsque le conseil départemental de l'ordre des médecins puis, en cas de carence de celui-ci, le Conseil national, sont saisis d'une plainte dans les conditions prévues par l'article R. 4126-1 du même code. Par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins n'était pas tenu de donner une suite favorable à la demande de M. D...en formant plainte contre le docteur C..., au nom de l'ordre, devant la chambre disciplinaire de première instance. Les moyens tirés de ce que cet organisme aurait été incompétent pour rejeter cette demande ou aurait entaché sa décision d'une erreur de droit doivent donc être écartés.
8. En second lieu, le Conseil national de l'ordre des médecins, lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce qu'il engage une procédure disciplinaire contre un médecin du service public, dispose d'un large pouvoir d'appréciation et peut tenir compte notamment de la gravité des manquements allégués, du sérieux des éléments de preuve recueillis ainsi que de l'opportunité d'engager des poursuites compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. M. D...n'établit pas que le docteur C...aurait eu à son égard un comportement non confraternel en lui confiant des missions d'assistant dans les activités médicales du service, alors qu'il n'était pas placé sous son autorité hiérarchique. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que le docteur C...était responsable d'unité, quand bien même il n'avait pas la qualité de chef de pôle ou de chef de service. Ni le tableau des astreintes, ni le " tableau réel du service " ne sont de nature à justifier des rumeurs dont M. D...aurait été victime de la part de son confrère. M. D... se prévaut à l'instance de témoignages selon lesquels le médecin incriminé avait pour habitude de remettre en cause les diagnostics et prescriptions concernant les patients suivis par d'autres médecins. Il produit également un courrier du 18 février 2011 dans lequel le docteur C...lui reproche des insuffisances et demande au directeur de l'hôpital de rapporter sa nomination. Il ressort cependant d'un courrier du directeur du centre hospitalier du 9 juillet 2013 que M. D...présentait des difficultés professionnelles susceptibles de justifier les interventions du docteurC..., responsable d'unité, dans la gestion des dossiers qui lui étaient confiés. Dans ces conditions, eu égard en outre au conflit opposant les deux protagonistes au sein du service, le Conseil national de l'ordre des médecins a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, refuser de saisir la chambre disciplinaire de première instance d'une plainte contre le docteurC....
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 25 septembre 2014.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. D...demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D...la somme dont le Conseil national de l'ordre des médecins demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg n° 1502085 du 13 avril 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.
Article 3 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins et de M. D...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au Conseil national de l'ordre des médecins et à M. B... D....
2
N° 17NC01384