Procédure devant la cour :
Par un recours, enregistré le 26 juillet 2016, et des mémoires complémentaires, enregistrés le 14 septembre 2016 et le 30 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 juin 2016 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société tendant au remboursement du crédit d'impôt recherche relatif aux dépenses exposées dans les projets autres que les projets " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase ".
3°) de réformer le jugement en ce sens.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas tenu compte de son dernier mémoire et du second rapport d'expertise qui y était joint ;
- le jugement n'est pas suffisamment motivé, dès lors que le tribunal ne s'est pas prononcé sur l'éligibilité des projets au regard du second rapport d'expertise ;
- ce second rapport portait sur l'intégralité des projets présentés par la société ; au vu de ce rapport, aucun de ces projets n'était éligible au crédit d'impôt recherche.
Par des mémoires, enregistrés les 31 août 2016, 10 mars 2017 et 13 avril 2017, la société ER Ingénierie, représentée par MeA..., :
- conclut au rejet de la requête
- demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 3 de ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de remboursement du crédit d'impôt recherche dont elle dispose au titre de l'année 2012 à raison des dépenses exposées dans les trois projets analysés par le premier expert et de prononcer le remboursement du crédit d'impôt recherche dont elle dispose au titre de l'année 2012 à raison des dépenses exposées dans ces projets ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- aucun des moyens invoqués par l'administration n'est fondé ;
- les erreurs de dates contenues dans le premier rapport d'expertise attestent du manque de rigueur de l'expert ;
- les allégations du premier expert ne sont pas fondées ;
- les opérations de recherche qu'elle a menées constituent de véritables opérations de recherche scientifique ou technique au regard des dispositions de l'article 49 septies F de l'annexe III du code général des impôts ; elle justifie de l'éligibilité du projet " Gymnotox " ; la plupart de ces projets ont eu des retombées commerciales et ont permis la vente de produits issus de ces recherches ;
- la proposition de rectification n'est pas suffisamment motivée ; les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ont été méconnues ; les droits de la défense et les articles L. 10 et L. 45 B ont également été méconnus ; le contribuable qui impute le crédit d'impôt recherche sur un impôt dû doit être traité de manière équivalente à celui qui, ne supportant pas d'impôt, en demande un remboursement immédiat ; le principe général du respect des droits de la défense et le principe d'égalité devant l'impôt prévu à l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen imposent que l'administration informe préalablement un contribuable des conséquences financières résultant de la remise en cause du bénéfice du crédit d'impôt recherche.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre de procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Haudier,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour la société ER Ingénierie.
1. Considérant que la société ER Ingénierie, qui a pour activité l'étude, la conception et la mise en oeuvre de machines spéciales, d'installations industrielles et environnementales, a déclaré un crédit d'impôt en faveur de la recherche d'un montant de 66 459 euros au titre de l'année 2012 ; qu'elle a imputé une somme de 20 435 euros sur l'impôt sur les sociétés qu'elle devait au titre de l'exercice ouvert le 1er avril 2012 et clos le 31 mars 2013 ; qu'elle a, par ailleurs, demandé le remboursement de sa créance non imputée sur l'impôt sur les sociétés de l'année 2012 pour un montant total de 46 024 euros ; que l'administration fiscale a estimé que les projets développés par la société requérante n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt en faveur de la recherche et a, en conséquence, d'une part, par une décision du 22 mai 2015, rejeté la demande de remboursement de la créance non imputée sur l'impôt sur les sociétés et, d'autre part, par une proposition de rectification du 18 mai 2015, remis en cause le crédit imputé sur l'impôt sur les sociétés ; que, par un jugement du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Nancy a rejeté comme irrecevables les conclusions tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés auxquelles la société a été assujettie au titre de l'année 2012, au motif que cette imposition n'avait pas fait l'objet d'une mise en recouvrement à la date de la requête ; que le tribunal a, par ailleurs, fait partiellement droit à la demande de la société tendant au remboursement du crédit d'impôt recherche dont elle se prévalait au titre de l'année 2012 ; qu'il a ainsi accordé à la société le remboursement de ce crédit d'impôt recherche à raison des dépenses exposées dans les projets autres que " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " ; que le ministre des finances et des comptes publics relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait partiellement droit à la demande de la société ; que, par la voie de l'appel incident, la société demande d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de remboursement du crédit d'impôt recherche sollicité au titre de l'année 2012 à raison des dépenses exposées dans les projets " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " ;
Sur le pourvoi du ministre :
2. Considérant que la demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement du II de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation préalable au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que la décision par laquelle l'administration fiscale rejette tout ou partie d'une telle réclamation n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de redressement ; qu'ainsi, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction d'une telle réclamation sont sans incidence sur le bien-fondé de la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche ; qu'il appartient au juge de déterminer directement l'étendue du droit à remboursement indépendamment des irrégularités qui pourraient entacher la procédure à l'issue de laquelle l'administration a fixé sa propre position ;
3. Considérant que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, fait droit à la demande de la société en retenant le moyen tiré de ce que la procédure avait été irrégulière, dès lors que la première expertise, sur laquelle s'était fondée l'administration fiscale, ne portait que sur trois des projets présentés par la société et que l'administration n'avait pas tenu compte de l'ensemble du dossier présenté par la société pour rejeter sa demande ; que les premiers juges n'ont pas examiné le bien-fondé de la demande de la société au vu de la nouvelle expertise produite par l'administration fiscale en cours d'instance et réalisée par un second expert mandaté par la délégation régionale à la recherche et à la technologie de la région Lorraine ; que le ministre est, par suite, fondé à soutenir que le tribunal n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de ce que la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche était fondée au vu des conclusions de la nouvelle expertise qu'il avait produite ; que, dès lors, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a fait droit à une partie des demandes de la société ER Ingénierie ;
4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société ER Ingénierie devant le tribunal administratif de Nancy tendant au remboursement du crédit d'impôt recherche à raison des dépenses exposées dans les projets autres que " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " ;
5. Considérant, en premier lieu, que si la société fait valoir que la décision de refus qui a été opposée à sa demande de remboursement n'est pas motivée, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction d'une telle demande sont, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sans incidence sur le bien-fondé de la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche ; qu'au surplus, une décision de rejet d'une demande de remboursement ou de restitution ne peut être regardée comme constituant une proposition de rectification au sens des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ; que la société ne saurait sérieusement invoquer à cet égard une méconnaissance des droits de la défense ou les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que le contribuable qui fait l'objet d'une procédure de redressement en raison de la remise en cause de l'imputation d'un crédit d'impôt recherche dont il s'est prévalu ne peut, en tout état de cause, être regardé comme étant dans une situation identique à celle du contribuable qui demande le remboursement d'un crédit d'impôt ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que les moyens tirés de ce que les dispositions des articles L. 10 et L. 45 B ont été méconnues ne sont, en tout état de cause, pas assortis des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
7. Considérant, en troisième lieu, que la société ne peut pas davantage utilement se prévaloir d'irrégularités dont serait entachée la procédure de redressement initiée par l'administration fiscale à la suite de la remise en cause de l'imputation de la somme de 20 435 euros sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice ouvert le 1er avril 2012 et clos le 31 mars 2013 ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que la circonstance que l'administration fiscale se soit fondée, pour justifier son refus, sur une première expertise qui ne portait que sur trois projets est sans incidence sur le bien-fondé de la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche ;
9. Considérant, en cinquième lieu, que la société ne peut pas davantage utilement se prévaloir, pour justifier du bien-fondé de sa demande, de ce que le rapport déposé par le premier expert mandaté par la délégation régionale à la recherche et à la technologie de la région Lorraine n'a porté que sur trois des projets, de ce qu'il comporterait des inexactitudes de dates ou de ce que l'expert aurait manqué de rigueur ; qu'il ne résulte, en outre, pas de l'instruction que l'expert aurait manqué de neutralité ou n'aurait pas eu l'impartialité requise pour se prononcer utilement sur l'éligibilité des projets au crédit d'impôt recherche ; qu'en tout état de cause, l'administration fiscale a produit un second rapport qui a porté sur l'ensemble des projets présentés par la société ; que le premier rapport d'expertise n'est ainsi pas utile pour la solution du litige ;
10. Considérant, en sixième lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article 49 septies F de l'annexe 3 du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique et technique, pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du même code relatives au crédit d'impôt pour dépenses de recherche, " b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. / Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; /c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté. " ;
11. Considérant que l'expert qui a rédigé le second rapport d'expertise sollicité par l'administration fiscale indique qu'aucun des projets qui lui ont été soumis ne relève d'une activité de recherche ; qu'il résulte notamment de ce second rapport d'expertise que les verrous technologiques évoqués par la société " sont toujours associés à un problème d'adaptation de procédés existants ou de solutions techniques préexistantes à un contexte spécifique " et qu'ils constituent ainsi " des contraintes de conception routinière pour lesquelles la mise en oeuvre des connaissances accessibles du domaine est suffisante " ; que l'expert indique également qu'" aucun projet ne fait état d'un développement même succinct de connaissances génériques applicables à diverses problématiques identiques " et qu'" aucune production de connaissances nouvelles n'est exposée " ; que la société n'apporte pas d'élément probant de nature à remettre en cause ces conclusions ; que, notamment, la circonstance que la plupart de ces projets auraient eu des retombées commerciales et auraient permis la vente de produits issus de ces recherches ne permet pas de considérer que ces projets ont constitué des opérations de recherche scientifique et technique ouvrant droit au bénéfice du crédit d'impôt recherche ; qu'il ne résulte ainsi pas de l'instruction que les projet litigieux peuvent être regardés comme apportant des améliorations substantielles présentant un caractère de nouveauté au sens des dispositions législatives précitées ou comme ayant consisté en des travaux de recherche appliquée ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société ER Ingénierie n'est pas fondée à obtenir le remboursement du crédit d'impôt recherche qu'elle a sollicité à raison des dépenses exposées, au titre de l'année 2012, dans les projets autres que " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " ;
Sur l'appel incident de la société :
13. Considérant, en premier lieu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus et notamment aux points 2, 5, 6, 7, 8 et 9, que les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction d'une demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement du II de l'article 199 ter B du code général des impôts sont sans incidence sur le bien-fondé de la décision de refus de rembourser un crédit d'impôt recherche ; que, par suite, les moyens invoqués par la société en appel et relatifs à la régularité de cette procédure d'instruction sont inopérants ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'expert qui a rédigé le second rapport d'expertise sollicité par l'administration fiscale et qui a examiné l'ensemble des projets présentés par la société, y compris les trois projets examinés par le premier expert, indique qu'aucun des projets qui lui ont été soumis ne relève d'une activité de recherche ; que la société ER Ingénierie n'apporte pas d'élément probant de nature à remettre en cause ces conclusions ; que s'agissant en particulier du projet " Gymnotox " relatif à des bio-détecteurs de pollution hormonale, la société n'apporte aucun élément sur les recherches qui auraient été effectuées en 2012, les travaux réalisés en collaboration avec la faculté de pharmacie, dont elle se prévaut, l'ayant été en 2011 ; que, par ailleurs, le second expert relève à propos de ce projet que " ce dossier concerne un domaine de recherche dans lequel des avancées sont réalisées actuellement, des bio-indicateurs sont utilisés par exemple en aval de station d'épuration " mais que " pour évaluer la véritable contribution de ER Ingénierie au progrès des connaissances du domaine, il aurait fallu davantage de données " ; qu'il ne résulte ainsi pas de l'instruction que les trois projet litigieux pouvaient être regardés comme apportant des améliorations substantielles présentant un caractère de nouveauté au sens des dispositions législatives précitées ou comme ayant consisté en des travaux de recherche appliquée ;
15. Considérant, en troisième lieu, que si le premier expert a considéré que les heures effectuées par le dirigeant de la société ne pouvaient pas être prises en compte au titre des dépenses de personnel pour le calcul du crédit d'impôt recherche dû à la société, le second expert les a, quant à lui, retenues ; qu'en tout état de cause, dès lors que les projets litigieux ne peuvent pas être regardés comme étant éligibles au bénéfice du crédit d'impôt recherche, la société ne peut utilement soutenir que les dépenses de personnel afférentes aux heures réalisées par son gérant devaient être comptabilisées pour le calcul de ce crédit d'impôt ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société ER Ingénierie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande relative aux projets " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société ER Ingénierie au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 juin 2016 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société ER Ingénierie tendant au remboursement du crédit d'impôt recherche sollicité au titre de l'année 2012 à raison des dépenses exposées dans les projets autres que " Gymnotox ", " Laminatore Durapore " et " Viskase " est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société ER Ingénierie présentées par la voie de l'appel incident et ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS ER Ingénierie et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 16NC01619