Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2017, et un mémoire complémentaire, enregistré le 19 octobre 2018, M. A...B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 14 mars 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 13 avril 2015 par laquelle la ministre de la justice a refusé de reconnaître la situation de harcèlement moral dont il estime avoir été victime ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas rempli son office en ne prenant pas en compte l'ensemble des pièces qu'il avait produites ;
- il a fait l'objet d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral dès son arrivée à la maison d'arrêt de Reims, consistant en des demandes d'explications répétées et injustifiées et des propos dégradants ;
- il est en congé de maladie depuis novembre 2014 pour un état anxio-dépressif réactionnel ; le médecin du travail a préconisé une reprise du travail à mi-temps thérapeutique sous réserve de ne pas être affecté à Reims ;
- il a eu des difficultés à consulter l'intégralité de son dossier administratif ;
- l'administration a reconnu que sa pathologie était imputable au service.
Par un mémoire enregistré le 22 mars 2019, la ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- et les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., surveillant de l'administration pénitentiaire, exerce ses fonctions à la maison d'arrêt de Reims depuis 2010. Estimant avoir été victime d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral de la part du directeur de cet établissement, il a saisi, le 3 décembre 2014, la ministre de la justice d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à cette situation. La ministre a rejeté cette demande par une décision du 13 avril 2015. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la demande tendant à l'annulation de cette décision par un jugement du 14 mars 2017, dont M. B...fait appel.
Sur la régularité du jugement :
2. M. B...soutient que le tribunal a méconnu son office en ne prenant pas connaissance des pièces jointes à son mémoire du 14 février 2017. Toutefois, le jugement attaqué a visé et analysé les écritures de M.B..., dont le mémoire en réplique enregistré le 14 février 2017 auquel étaient jointes des pièces complémentaires et qui a été communiqué à l'administration. Il ne résulte pas des pièces du dossier que le tribunal n'aurait pas examiné l'ensemble des pièces qu'il avait produites à l'appui de sa demande. Par suite, les moyens tirés de ce que les premiers juges auraient méconnu leur office et le principe du contradictoire doivent être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) / La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...)".
4. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. M. B...a été muté à la maison d'arrêt de Reims par un arrêté de la ministre de la justice du 2 novembre 2010. Selon l'intéressé, dès son arrivée dans cet établissement, le chef de service l'a menacé en lui rappelant les difficultés relationnelles qu'il avait eues lors d'un stage en qualité de chef de service pénitentiaire. Il a également surveillé à l'excès son travail en lui demandant de fournir des explications pour le moindre incident et en formulant à son encontre des remarques désobligeantes et agressives qui ont eu pour conséquence de dégrader son état de santé jusqu'à son placement en congé de maladie le 10 novembre 2014. La ministre de la justice a d'ailleurs reconnu que son état anxio-dépressif était imputable au service.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les demandes d'explications adressées à M.B..., au nombre de huit seulement au cours d'une période de quatre ans, étaient justifiées par des incidents survenus pendant son service, dont l'intéressé ne conteste pas sérieusement la matérialité. Elles ne révèlent ainsi aucun fait de harcèlement moral.
7. En deuxième lieu, en l'absence de tout élément circonstancié permettant d'apprécier la teneur des critiques, l'attestation d'un surveillant, selon lequel la direction critiquerait souvent M. B...en réunion, ne suffit pas à établir, comme il l'allègue, que sa hiérarchie le dénigre régulièrement. Quant au témoignage d'un autre collègue, produit en appel, il ne fait que reprendre les déclarations de M. B...et ne suffit donc pas à établir l'existence d'un harcèlement moral.
8. En troisième lieu, le refus de la direction d'avoir autorisé M.B..., après une chute dans un escalier, à quitter le service au motif que le médecin de l'établissement l'avait déjà pris en charge, ne révèle pas un fait de harcèlement moral. Il ressort en outre des pièces du dossier, notamment d'un certificat médical, qu'il souffrait seulement d'une entorse bénigne.
9. En quatrième lieu, s'il ressort des pièces du dossier et notamment du témoignage d'un surveillant et de mentions manuscrites sur une note interne et une enveloppe à l'entête du ministère de la justice, dont l'auteur est inconnu, que le requérant était désigné par le sobriquet de " SISI 1er ", signifiant, selon l'intéressé, qu'il était le premier surveillant à toujours dire " oui ", cette formulation, pour regrettable qu'elle soit, ne suffit pas à elle seule à établir l'existence de propos humiliants ou vexatoires imputables au directeur de la maison d'arrêt ou à sa secrétaire. D'ailleurs, dans son courrier adressé à la ministre de la justice le 3 décembre 2014, l'intéressé ne mentionnait pas un tel sobriquet alors qu'il indiquait le surnom qui lui avait été attribué lorsqu'il était affecté à la maison d'arrêt de Nanterre. Enfin, la teneur du message qui figure sur le seul document qui comporte une mention manuscrite après le sobriquet, et qui n'émane pas du directeur, est bienveillante.
10. En cinquième et dernier lieu, s'il ressort des pièces du dossier que la pathologie de M.B..., placé en congé de maladie à compter du 10 novembre 2014 et suivi par un psychiatre depuis cette date, a été reconnue comme imputable au service par un arrêté du ministre de la justice du 19 juin 2018, et que le médecin de prévention a préconisé, notamment le 22 mai 2015, une reprise du service à mi-temps thérapeutique sous réserve d'une affectation dans un autre établissement que celui de Reims, ces circonstances ne sont pas de nature à établir un lien entre cet état et des agissements constitutifs d'un harcèlement moral. Il ressort au contraire des pièces du dossier, et notamment de tracts et messages syndicaux, que les conditions de travail au sein de la maison d'arrêt de Reims étaient fortement dégradées. M. B...avait d'ailleurs à plusieurs reprises alerté la direction de l'établissement sur ces dysfonctionnements.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les agissements dénoncés par M. B...ne sauraient, pris ensemble ou isolément, être regardés comme faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans ces conditions, la ministre de la justice n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les agissements dénoncés par l'intéressé ne révélaient pas un harcèlement moral.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 13 avril 2015.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B...demande au titre des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et à la ministre de la justice.
N° 17NC01029 2