Procédure devant la cour :
I.- Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 avril 2018 et le 12 mars 2019, sous le n°18NC01180, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. B...C....
Il soutient que :
- il entend se référer au mémoire produit en première instance ;
- le tribunal a méconnu le principe de l'égalité de traitement des fonctionnaires en estimant qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en nommant un autre fonctionnaire sur le poste convoité par M.C... ;
- l'article 59 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 prévoit une dérogation à l'article 58 de cette même loi au profit des fonctionnaires qui bénéficient d'une décharge totale de service ; le candidat retenu et M. C...n'était pas dans une situation identique, ce qui justifiait une différence de traitement ;
- les fonctionnaires n'ont aucun droit à obtenir l'affectation de leur choix ;
- la réglementation prévoit de tenir compte des compétences acquises dans l'exercice d'un mandat syndical ; M.D..., dans l'exercice de ses mandats syndicaux, a acquis les qualités requises pour justifier sa nomination dans l'emploi fonctionnel de commandant de police.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 mai 2018 et le 19 mars 2019, M. B... C..., représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête et demande à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'en application de l'article 16 du décret du 29 juin 2005, la nomination à un emploi fonctionnel est effectuée à l'issue d'un examen de la valeur professionnelle de chacun des fonctionnaires et des responsabilités qu'ils ont assumées ;
- l'examen respectif de la carrière et des mérites de M. C...et de ceux du fonctionnaire nommé démontre l'erreur manifeste d'appréciation commise par le ministre ;
- l'article 59 de la loi du 11 janvier 1986 ne prévoit pas une priorité du fonctionnaire bénéficiant d'une décharge totale de service ;
- l'administration a reclassé M. D...sans procéder à un examen respectif des mérites des candidats ;
- M. D...n'a jamais été lésé dans l'évolution de sa carrière ;
- les représentants syndicaux ne bénéficient d'aucune automaticité à l'avancement ; une telle interprétation conduirait à une rupture d'égalité ;
- la nomination doit s'appuyer sur les critères prévus par les instructions du ministère ; abstraction faite des mérites respectifs, il justifie d'une plus grande ancienneté dans le grade de commandant ; ses mérites sont supérieurs à ceux de M.D... ; les notations de ce dernier postérieures à la décision en litige ne peuvent être prises en considération.
II.- Par un courrier, enregistré le 19 juillet 2018, M.B... C..., représenté par Me F..., demande à la cour :
1°) à titre principal d'enjoindre au ministre de l'intérieur de prononcer sa nomination sur l'emploi fonctionnel de commandant de police de la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines au 1er semestre 2015, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
2°) à titre subsidiaire d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen des candidatures non retenues à l'emploi fonctionnel de commandant de police à la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines au 1er semestre 2015, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'administration n'a pas exécuté le jugement du 14 février 2018 dès lors qu'elle a réexaminé l'ensemble des candidatures et non pas les seules candidatures non retenues à l'emploi fonctionnel de commandant de police et qu'elle a nommé à nouveau M. D....
Par une ordonnance du 10 octobre 2018, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle, enregistrée sous le n° 18NC02748, en vue de statuer sur la demande de M. C...tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg no 1505564 du 14 février 2018.
Par des mémoires, enregistrés le 19 octobre 2018 et le 19 mars 2019, M. B... C... maintient sa demande d'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2018.
Il soutient que :
- l'administration en nommant à nouveau M. D...a méconnu le jugement rendu par le tribunal administratif de Strasbourg et n'a donc pas procédé à son exécution ;
- l'ancienneté de M. D...n'est pas identique à la sienne dès lors qu'elle repose sur le bénéfice indu de l'avantage spécifique d'ancienneté ;
- les pratiques des syndicats en matière de gestion du personnel ont été dénoncées notamment par le médiateur de la police et un rapport sénatorial.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2019, le ministre de l'intérieur demande à la cour de constater l'entière exécution du jugement.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n°2005-716 du 29 juin 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Mme E...pour le ministre de l'intérieur et de Me F... pour M.C....
Une note en délibéré, présentée pour M.C..., a été enregistrée le 26 mars 2019 dans le dossier n°18NC01180 et dans le dossier 18NC02748.
Considérant ce qui suit :
1. En 2015, M.C..., commandant de police, a déposé sa candidature au poste vacant de commandant de police à la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines. Par un arrêté du 12 juin 2015, le ministre de l'intérieur a nommé à cet emploi fonctionnel, au titre du second semestre de l'année 2015, M. A...D.... Par un jugement du 14 février 2018, dont le ministre de l'intérieur fait appel, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté en tant qu'il nomme M. A...D...à la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines.
2. Parallèlement, M.C..., qui estime que le ministre de l'intérieur n'a pas pris les mesures ordonnées par le tribunal, a saisi la cour d'une demande tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2018.
3. Les requêtes nos 18NC01180 et 18NC02748, présentées respectivement par le ministre de l'intérieur et par M. C...concernent le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par le même arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. D'une part, aux termes de l'article 16 du décret du 29 juin 2005 portant statut particulier du corps de commandement de la police nationale dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Les commandants de police comptant au moins un an d'ancienneté dans le 3e échelon de leur grade peuvent être nommés, après avis de la commission administrative paritaire, sur un des emplois fonctionnels de commandant de police comportant l'exercice effectif de responsabilités particulièrement importantes ; la liste de ces emplois est fixée par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget (...) ". Il résulte de ces dispositions que la nomination à l'emploi fonctionnel de commandant de police, soumise à l'appréciation de l'administration en fonction des états de service des candidats, ne saurait constituer un droit pour les intéressés. De telles nominations ne peuvent être prononcées qu'à l'issue d'un examen de la valeur professionnelle de chacun des fonctionnaires remplissant les conditions pour être nommé et des responsabilités assumées par chacun d'eux.
5. D'autre part, aux termes de l'article 4 du décret n°2005-716 du 29 juin 2005 dans sa version alors applicable : " Le grade de commandant de police comporte cinq échelons et un emploi fonctionnel à deux échelons ".
6. Si M.C..., commandant de police depuis 2008, a occupé des postes à responsabilités, notamment de chef de brigade de sûreté urbaine, de chef d'unité de sécurité publique et de proximité, d'adjoint au chef de circonscription puis, à compter de 2010, de chef du service de la police aux frontières de Forbach, justifiant ainsi de son aptitude à l'encadrement et à l'exercice de poste à responsabilités élevées, a reçu la note maximale de 7 au cours des six dernières années et, selon ses évaluations, était apte à diriger un service, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait des mérites professionnels supérieurs à ceux de M. D.... Ce dernier, commandant de police depuis 2010, a obtenu, lors de sa dernière évaluation de 2005, précédant son détachement syndical, la note de 6 sur 7, le classant parmi les très bons éléments. A compter de 2006 jusqu'à 2015, l'intéressé a exercé des fonctions syndicales, notamment en qualité de délégué zonal. A ce titre, il a été en lien direct avec les directeurs départementaux, régionaux, interrégionaux ou zonaux des services de police et représentait le syndicat auprès du préfet de la zone de défense et des préfets de régions. Il a également été l'interlocuteur des parlementaires, des élus locaux et des médias pour défendre les positions syndicales concernant les questions statutaires et sociales. L'intéressé a enfin animé le réseau des délégués syndicaux départementaux et de service. Si M. C...se prévaut de son ancienneté dans le grade supérieur à celle de M.D..., un tel critère ne constitue que l'un des éléments d'appréciation des candidatures. Ainsi, même s'il est vrai qu'antérieurement à son détachement syndical, M. D...n'avait pas occupé des postes à responsabilité aussi importants que ceux de M.C..., il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en nommant M. D...sur l'emploi fonctionnel de commandant de police de la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines, le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites respectifs de ces deux candidats. Il s'ensuit que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé, pour ce motif, l'arrêté contesté.
7. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...en première instance et en appel.
8. M. C...soutient que le ministre de l'intérieur n'a, en réalité, pas procédé à un examen comparé des mérites respectifs des candidats.
9. Pour justifier son choix, le ministre de l'intérieur indique que si M. C...et M. D...remplissent tous les deux les conditions statutaires pour accéder à l'emploi fonctionnel de commandant de police, ils ne sont pas dans une situation identique. Il fait valoir qu'en raison de sa décharge totale d'activité de service de 2006 à 2015, M. D...ne pouvait pas être évalué et qu'en conséquence, pour assurer son droit à un déroulement de carrière, il a fait application, par dérogation au principe énoncé à l'article 58 de loi du 11 janvier 1984 selon lequel l'avancement des fonctionnaires a lieu après appréciation de leur valeur professionnelle et des acquis de leur expérience professionnelle, des dispositions de l'article 59 alors en vigueur de la même loi, qui prévoient un avancement sur la base de l'avancement moyen des fonctionnaires du corps d'appartenance.
10. Toutefois, d'une part, les dispositions de l'article 59 alors en vigueur de la loi du 11 janvier 1984, ont pour objet de définir les modalités particulières d'avancement pour les fonctionnaires exerçant un mandat syndical afin de les prémunir contre des appréciations défavorables qui pourraient être liées à l'exercice de leur mandat. En revanche, elles ne permettent pas aux fonctionnaires concernés d'accéder automatiquement au grade supérieur, quelle que soit leur situation ou leur manière de servir et ne sont, en outre, applicables qu'aux avancements de grade. Or, il résulte des dispositions précitées que la nomination à un emploi fonctionnel de commandant de police ne confère pas à son bénéficiaire un grade ou un des échelons de son grade mais lui attribue seulement un emploi comportant l'exercice effectif de responsabilités particulièrement importantes. D'autre part, ainsi qu'il a été indiqué au point 4, la nomination sur un tel emploi ne peut être prononcée qu'à l'issue d'un examen des mérites comparés de chacun des fonctionnaires remplissant les conditions pour être nommé sur cet emploi. La circonstance que le fonctionnaire déchargé totalement d'activité de service ne peut justifier d'aucune évaluation ne s'oppose pas à la prise en compte de l'expérience qu'il a pu acquérir dans le cadre de l'exercice de son mandat syndical pour apprécier son aptitude à exercer l'emploi fonctionnel de commandant de police.
11. En l'espèce, si, dans le dernier état de ses écritures, le ministre se prévaut de l'expérience acquise par M.D..., notamment en qualité de délégué zonal pour justifier sa nomination à l'emploi fonctionnel de commandant de police, il n'est établi par aucune pièce du dossier que ses mérites ont été effectivement comparés à ceux des autres candidats dont ceux de M.C.... A cet égard, le ministre de l'intérieur a soutenu, tant en première instance que dans sa requête d'appel, que M.D..., déchargé totalement de services en raison de son activité syndicale, entrait dans le champ d'application des dispositions de l'article 59 de la loi du 11 janvier 1984 et a justifié sa nomination à l'emploi fonctionnel de commandant de police par le fait que les commandants de police accèdent à ce type d'emploi en moyenne six ans après leur promotion à ce grade et que M.D..., promu au grade de commandant en 2010, avait vocation à être nommé dans l'emploi fonctionnel de commandant de police. Dans ces conditions, en retenant, sans avoir procédé à un examen comparé des mérites des candidats, la candidature de M.D..., le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'une erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 12 juin 2015 portant nomination à l'emploi fonctionnel de commandant de police au titre du premier semestre 2015 en tant qu'il nomme M. A...D...à la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines.
Sur la demande d'exécution :
13. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution (...) / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'annulation, par le jugement du 14 février 2018, de l'arrêté du 12 juin 2015 nommant M. D...à l'emploi fonctionnel de commandant de police dans la circonscription de sécurité publique de Sarreguemines au titre du second semestre de l'année 2015, le ministre de l'intérieur a procédé au réexamen de l'ensemble des candidatures et a nommé, à nouveau, M. D...sur ce même emploi fonctionnel par arrêté du 15 juin 2018.
15. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt et compte tenu de l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation des mérites comparés des candidats ainsi qu'il a été indiqué au point 6, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme ayant entièrement exécuté le jugement.
16. Dans ces conditions, la demande d'exécution présentée par M. C...doit être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros que demande M. C...sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur enregistrée sous le n°18NC01180 est rejetée.
Article 2 : La demande de M. C...tendant à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 14 février 2018 présentée dans l'instance n° 18NC02748 est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. C...la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...C..., au ministre de l'intérieur et à M. A...D....
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