Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 mai 2020, Mme D..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 13 février 2020 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 14 octobre 2019 du préfet du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
s'agissant de la décision portant refus de séjour :
- elle méconnaît l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne pourra pas bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Serbie et qu'elle ne peut pas voyager sans risque vers son pays d'origine ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle est illégale pour les mêmes moyens qui justifient l'annulation du refus de séjour ;
s'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale en raison de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée au préfet du Bas-Rhin, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... D... née A..., ressortissante serbe née le 17 mars 1956, serait entrée irrégulièrement en France le 25 décembre 2014, selon ses déclarations. Le 12 décembre 2016, elle a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) par une décision du 24 janvier 2018. Le 23 janvier 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° des dispositions de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 octobre 2019, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... fait appel du jugement du 13 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision de refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tout élément permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Par un avis rendu le 3 juin 2019, le collège de médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme D... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, la Serbie, elle pouvait bénéficier d'un traitement approprié et voyager sans risque vers son pays d'origine.
6. Si Mme D..., hébergée dans une structure en charge de lits d'accueil médicalisés, est atteinte d'une hémiparésie droite consécutive à un accident vasculaire cérébral et souffre d'une insuffisance chronique respiratoire très sévère, d'une hypertension artérielle, d'une schizophrénie paranoïde et d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel, nécessitant des traitements médicamenteux, une oxygénothérapie 24h/24h, ainsi qu'un suivi pluridisciplinaire régulier, les pièces médicales produites, qui décrivent de manière circonstanciée la gravité de son état et les soins qu'il nécessite, ne remettent toutefois pas en cause l'appréciation portée tant par le collège des médecins de l'OFII que par le préfet du Bas-Rhin concernant la disponibilité, en Serbie, des soins que requiert son état de santé. En outre, les certificats médicaux produits, notamment celui émis par le psychiatre qui la suit, qui se borne à reproduire les allégations de Mme D..., ne permet pas davantage d'estimer, en l'absence de lien suffisamment établi entre ses troubles psychologiques et les évènements qu'elle a vécus dans son pays d'origine, qu'elle ne pourrait pas y bénéficier d'un traitement approprié. Enfin, le certificat établi le 21 décembre 2019 par le médecin traitant de la requérante, qui se borne à indiquer que " son état très précaire ne lui permet pas de voyager et demande une surveillance médicale constante " n'indique pas les raisons pour lesquelles elle ne pourrait pas voyager à destination de son pays d'origine, notamment avec l'assistance d'une équipe médicale. Par suite, le préfet a pu refuser la délivrance d'un titre de séjour à Mme D... sans méconnaître les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme D..., âgée de soixante-trois ans à la date de la décision litigieuse, se prévaut de l'impossibilité de mener une vie familiale normale en Serbie où elle a été victime de violences conjugales et de l'absence du soutien nécessaire pour l'aider à échapper à ses difficultés, compte tenu de son état de santé psychologique[GV1][AS2]. Il ressort cependant des pièces du dossier que Mme D... ne résidait à la date de la décision attaquée que depuis trois ans en France, où elle ne dispose d'aucune attache personnelle, ni ne justifie d'une insertion sociale particulière. Par suite, eu égard à la durée et aux conditions de séjour de l'intéressée en France, la décision attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il s'ensuit que le préfet n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de Mme D....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ne peut qu'être écarté.
10. En deuxième lieu, dès lors que Mme D... ne remplit pas les conditions pour se voir délivrer de plein droit un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour les motifs énoncés au point n°6, le préfet a pu légalement l'obliger à quitter le territoire français.
11. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 8, le préfet du Bas-Rhin n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation personnelle de la requérante et n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui a été a été dit précédemment que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
13. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
14. En dépit de la vulnérabilité de Mme D... consécutive aux multiples pathologies dont elle est atteinte, il lui appartient d'apporter des éléments de nature à établir la réalité des violences conjugales qu'elle allègue avoir subies en Serbie, et de l'impossibilité des autorités de ce pays de la protéger. Toutefois, son seul récit et une note générale établie par l'OFPRA en novembre 2016 relative à la violence faites aux femmes en Serbie ne suffisent pas à démontrer la réalité des risques personnels encourus par l'intéressée en cas de retour dans son pays d'origine. Ainsi le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés doit être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Mme C... A..., épouse D..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
[GV1]Je l'enlève car tu renvoie à ce considérant la réponse sur l'oqtf qui implique l'éloignement
[AS2R1]Oui tu as raison
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N° 20NC01059