Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 décembre 2018 et 24 mars 2020, M. F..., représenté par Me B..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement du 24 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 avril 2017 du ministre de la défense rejetant le recours administratif préalable obligatoire qu'il a adressé à la commission des recours des militaires contre son bulletin de notation au titre de l'année 2016 ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de lui attribuer une nouvelle notation conforme à ses mérites au titre de l'année 2016 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la décision du 19 avril 2017 est entachée de détournement de pouvoir, dès lors qu'elle traduit l'animosité et le harcèlement moral dont il est victime de la part de son supérieur hiérarchique et constitue une sanction disciplinaire déguisée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2020, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., présidente-assesseur,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour M. F....
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., engagé dans l'armée de terre le 3 septembre 2002 et promu au grade de capitaine à compter du 1er août 2012, a été chargé des fonctions de commandant d'unité de la compagnie de commandement et de logistique au sein du 3ème régiment du génie à Charleville-Mézières à compter du 16 juin 2015. Il est affecté, depuis le 1er août 2017, à l'état-major de la 1ère division à Besançon. Par une décision du 24 novembre 2016, le chef d'état-major de l'armée de terre a rejeté le recours hiérarchique que lui a adressé M. F... pour contester son indice relatif interarmées (IRIs). M. F... a également formé un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commission des recours des militaires, enregistré le 15 septembre 2016, pour contester sa notation au titre de l'année 2016. Par une décision du 19 avril 2017, le ministre de la défense a rejeté ce recours. Par un jugement du 24 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les demandes de M. F... tendant à l'annulation des décisions des 24 novembre 2016 et 19 avril 2017. M. F... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 avril 2017.
2. L'institution d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice d'un tel recours a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité. Il suit de là que la décision du 19 avril 2017 du ministre de la défense, prise après avis de la commission des recours des militaires, se substitue entièrement à la notation de dernier ressort établie le 22 juin 2016 et notifiée à M. F... le 12 juillet suivant.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Contrairement à ce que soutient M. F..., les premiers juges ont suffisamment répondu, par le point 6 du jugement attaqué, au moyen tiré du détournement de pouvoir en énonçant qu'il n'était pas établi. Par suite, le moyen d'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 19 avril 2017 :
4. Aux termes de l'article L. 4135-1 du code de la défense : " Les militaires sont notés au moins une fois par an. / La notation est traduite par des notes et des appréciations qui sont obligatoirement communiquées chaque année aux militaires. / A l'occasion de la notation, le chef fait connaître à chacun de ses subordonnés directs son appréciation sur sa manière de servir (...) ". Selon l'article R. 4135-1 du même code : " La notation est une évaluation par l'autorité hiérarchique des qualités morales, intellectuelles et professionnelles du militaire, de son aptitude physique, de sa manière de servir pendant une période déterminée et de son aptitude à tenir dans l'immédiat et ultérieurement des emplois de niveau plus élevé. ". L'article R. 4135-2 de ce code, dans sa rédaction applicable en l'espèce, prévoit que : " La notation est traduite : / 1° Par des appréciations générales, qui doivent notamment comporter les appréciations littérales données par l'une au moins des autorités chargées de la notation ; / 2° Par des niveaux de valeur ou par des notes chiffrées respectivement déterminés selon une échelle ou selon une cotation définie, dans chaque armée ou formation rattachée, en fonction des corps qui la composent. / La notation est distincte des propositions pour l'avancement. ". En vertu de l'article R. 4135-3 du même code, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le militaire est noté à un ou plusieurs degrés par les autorités militaires ou civiles dont il relève. / Pour établir la notation du militaire, ces autorités doivent prendre en considération l'ensemble des activités liées au service exécutées par l'intéressé au cours de la période de notation, à l'exception de celles exercées en tant que représentant de militaires auprès de la hiérarchie ou au sein d'un organisme consultatif. / Le nombre de degrés de notation et la désignation des autorités correspondantes sont déterminés par le ministre de la défense, ou par le ministre de l'intérieur pour les militaires de la gendarmerie nationale, en considération du corps, du grade, de la fonction du militaire et de l'organisation propre à chaque armée ou formation rattachée. ". Il résulte de ces dispositions que la notation d'un militaire doit constituer une appréciation objective et complète par l'autorité hiérarchique des qualités et des aptitudes dont il a fait preuve pendant la période de notation.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'au titre de l'année 2016, le colonel Michel, premier notateur, supérieur hiérarchique direct de M. F... a évalué la " qualité des services rendus " à " très bon " ou B, sur une échelle allant d'" excellent " ou A à " insuffisant " ou E, dans le bulletin de notation du 21 avril 2016. Cette première notation a été révisée à la demande du requérant, le 9 mai suivant, sans modification sur ce point. Le général Richoux, qui a établi la notation de dernier ressort de M. F... pour l'année 2016, l'a, pour sa part, évalué à " bon " ou C. Il a motivé cette appréciation par les " grosses difficultés " de M. F... dans " l'exercice du commandement ", l'invitant à se " ressaisir rapidement ". Par sa décision du 19 avril 2017, le ministre de la défense a confirmé cette notation en relevant qu'elle n'était entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation.
6. En premier lieu, d'une part, le colonel Michel, premier notateur, tout en relevant le dynamisme, la disponibilité, le volontarisme, la capacité de travail et les qualités techniques du requérant, a estimé qu'il " gagnerait néanmoins à être plus attentif aux subordonnés les plus anciens qu'il doit commander en balançant habilement entre exigence et intelligence de situation " et qu'il devait s'efforcer d'obtenir " une meilleure cohésion et l'adhésion totale de ses subordonnés ". Dans son appréciation globale, le colonel Michel relève que s'il a " appris de ses erreurs " et progresse dans l'exercice du commandement, M. F... " gagnerait à faire preuve de plus d'attention selon les catégories auxquelles il s'adresse ". Le général Richoux, second notateur, qui n'était pas lié par la notation proposée par le premier notateur, pouvait baisser la notation initiale, à condition toutefois de motiver sa décision. La note de " bon " ou C attribuée en ce qui concerne " la qualité des services rendus " par M. F... est ainsi cohérente avec l'appréciation littérale globale portée par le général Richoux quant aux " grosses difficultés " du requérant dans l'exercice du commandement et à l'appréciation selon laquelle il n'est pas en mesure d'assurer " sans délai " des postes de commandement et de management ainsi qu'avec les autres appréciations portées à plusieurs reprises sur les difficultés relationnelles du requérant.
7. D'autre part, eu égard au caractère annuel de la notation, M. F... ne saurait utilement se fonder sur les notations plus favorables obtenues par lui au titre des années 2013 à 2015, au cours desquelles la notation de " très bon " ou B lui a été attribuée au titre de la " qualité des services rendus ". En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier et notamment des bulletins de notation de M. F... depuis 2011, que ses difficultés relationnelles avec les personnels placés sous ses ordres sont relevées chaque année, qu'il est invité à faire des efforts pour se montrer moins distant, plus chaleureux et plus souple dans son commandement et à davantage fédérer ses équipes.
8. Par suite, en observant que M. F... " présentait de grosses difficultés dans l'exercice du commandement " et " devait se ressaisir rapidement ", tout en estimant que " la prestation rendue (...) était globalement satisfaisante ", le ministre de la défense, qui ne s'est pas fondé sur des faits inexacts, n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation quant aux qualités et mérites du requérant en confirmant la note de " bon " ou C et ce alors même qu'il s'est vu confier deux missions en qualité de commandant d'unité et de commandement d'une compagnie.
9. En second lieu, d'une part, ainsi qu'il a été dit, tous les notateurs de M. F... depuis 2011 ont relevé les mêmes difficultés dans son commandement et ses relations avec ses subordonnés. Par ailleurs, les notateurs successifs de M. F..., y compris, en dernier lieu, le colonel Michel le 21 avril 2016, l'ont encouragé à améliorer son management, sans que le requérant n'y donne suite. Ainsi, M. F... n'établit pas que la diminution de sa notation de " très bon " ou B à " bon " ou C résulterait de l'animosité personnelle du colonel Michel à son égard ou encore de la circonstance qu'il a contesté la notation établie par ce dernier, le 21 avril 2016. Il n'établit pas davantage que la diminution de sa note, qui reflète sa manière de servir, serait constitutive d'un agissement de harcèlement moral à son encontre.
10. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier et en particulier du bulletin de notation de M. F... que les sanctions disciplinaires qui lui ont été infligées en juin 2016, qui sont sans lien avec l'appréciation sur sa manière de servir au titre de l'année 2015-2016, ont été prises en compte pour établir sa notation. M. F... ne saurait davantage utilement se prévaloir de la circonstance, dépourvue de lien avec l'abaissement de sa notation, qu'il a été invité à demander un changement d'affectation en raison des tensions avec ses subordonnés, relevées notamment par le responsable des ressources humaines dans une note du 19 avril 2016 alertant sa hiérarchie sur les capacités à commander de M. F... et le risque de " heurts " avec les sous-officiers, eu égard au climat de méfiance réciproque.
11. Ainsi, par sa décision du 19 avril 2017, le ministre de la défense, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait procédé à une instruction insuffisamment approfondie de l'environnement de travail du requérant et de l'animosité alléguée à son encontre, n'a fait que tirer les conséquences de ses difficultés à exercer le commandement au titre de la période de notation considérée en confirmant la note de " bon " ou C quant à la qualité des services rendus qui lui a été attribuée.
12. Par suite, M. F... n'est pas fondé à soutenir que sa notation constituerait, en réalité, une sanction déguisée et, étant sans lien avec sa manière de servir et son aptitude à exercer des fonctions de commandement, serait entachée d'un détournement de pouvoir.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 24 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 avril 2017 du ministre de la défense rejetant son recours préalable obligatoire dirigé contre sa notation au titre de l'année 2016. Ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... et à la ministre des armées.
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