Procédures devant la cour :
I - Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n°18NC03516, les 24 décembre 2018 et 16 juillet 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour d'annuler le jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- sa requête n'est pas tardive ;
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- le tribunal a méconnu le champ d'application de la loi, dès lors qu'il devait appliquer l'article 48 de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, après avoir vérifié qu'aucune disposition du code rural, dans sa rédaction applicable avant le 1er janvier 2006, n'y faisait obstacle ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article L. 133-2 du code rural et de la pêche maritime relatives à l'union entre associations foncières faisaient obstacle à leur fusion ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. A... doivent être écartés par les même motifs que ceux développés en défense par le préfet de la Marne devant le tribunal administratif.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 avril 2019 et 2 septembre 2020, M. A..., représenté par la Selas Devarenne associés Grand-Est, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, au rejet pour irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'agriculture de produire, le cas échéant sous astreinte, les pouvoirs des propriétaires des associations foncières de remembrement LGV de Lagery et de Lagery lors des assemblées générales extraordinaires des 13 décembre 2013 et enfin, à qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est tardive ;
- l'union et non la fusion est seule possible pour les associations foncières d'aménagement foncier agricole et forestier constituées avant 2006 ;
- l'arrêté du 11 avril 2017 est entaché d'une incompétence de l'auteur de l'acte, dès lors qu'il est signé par le sous-préfet d'Epernay, alors que la commune de Lagery se situe dans l'arrondissement de Reims ;
- il est entaché d'un vice de procédure, les conditions de majorité requises n'ayant pas été satisfaites, dès lors que le projet n'a pas été soumis à enquête publique ;
- les dispositions de l'article 8 des statuts des deux associations ne sont pas applicables, dès lors qu'une assemblée générale extraordinaire a été convoquée ;
- l'absence de délibérations distinctes entache la procédure d'irrégularité ;
- aucune information préalable n'a été transmise aux propriétaires, qui n'ont pas été consultés sur le projet de fusion ;
- les procès-verbaux des assemblées générales extraordinaires ne permettent pas de connaître le nombre de propriétaires présents et le nombre de propriétaires représentés et ainsi de vérifier la régularité des pouvoirs et du vote.
La procédure a été communiquée à l'association foncière de remembrement de Lagery 2 qui n'a pas produit de mémoire.
II - Par une requête, enregistrée sous le n° 18NC03517, le 24 décembre 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour de surseoir à l'exécution des articles 1er et 2 du jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la fusion entre les associations foncières de Lagery et de Lagery LGV est en pratique impossible, dès lors que l'association foncière LGV de Lagery n'a plus d'existence ;
- les moyens soulevés sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions accueillies par le tribunal administratif.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 avril et 14 mai 2019, M. A..., représenté par la Selas Devarenne associés Grand-Est, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il n'y a pas lieu de surseoir à l'exécution du jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Par un mémoire, enregistré le 14 mai 2019, l'association foncière de Lagery 2 a présenté ses observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ;
- la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ;
- le décret n° 2006-504 du 3 mai 2006 portant application de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., présidente assesseur,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 30 avril 1971, l'association foncière de Lagery a été constituée. A l'occasion du projet de ligne à grande vitesse Est, l'association foncière Lagery LGV a été créée par un arrêté du 28 avril 2003. Par un arrêté du 11 avril 2017, le préfet de la Marne a fusionné les associations foncières de remembrement de Lagery et de Lagery LGV sous le nom d'association foncière de remembrement de Lagery 2. Son périmètre comprend la totalité de celui des deux associations foncières préexistantes, auxquelles elle s'est substituée de plein droit. Leur patrimoine, leur actif et leur passif lui ont également été transférés. M. C... A..., exploitant agricole sur le territoire de la commune de Lagery, a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Par un jugement du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à sa demande. Par deux requêtes enregistrées sous les n°s 18NC03516 et 18NC03517, qu'il y a lieu de joindre, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel de ce jugement, dont il demande également le sursis à exécution.
Sur la requête n°18NC03516 :
En ce qui concerne la recevabilité :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. ". Dans les cas où ce délai expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
3. Le jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a été notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le 22 octobre 2018. Le 23 décembre 2018 étant un dimanche, le délai d'appel a été prorogé jusqu'au lundi suivant. Par suite, la requête du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, enregistrée le lundi 24 décembre 2018 au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy, n'est pas tardive. La fin de non-recevoir opposée en défense par M. A... doit, en conséquence, être écartée.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :
4. Aux termes, d'une part, du 2° du I de l'article 95 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les procédures d'aménagement foncier pour lesquelles l'arrêté préfectoral ordonnant les opérations et fixant le périmètre correspondant sera intervenu à la date d'entrée en vigueur du présent chapitre restent régies par les dispositions antérieures à cette date, y compris les procédures résultant des arrêtés modificatifs de cet arrêté. Toutefois, les associations foncières de réorganisation foncière et les associations foncières de remembrement visées aux articles L. 132-1 et L. 133-1 du code rural constituées pour des opérations d'aménagement foncier ordonnées avant le 1er janvier 2006 sont régies, sous réserve des dispositions particulières du code rural antérieures à cette date, par les dispositions de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires et de ses textes d'application ". Aux termes de l'article 48 de cette ordonnance : " Deux ou plusieurs associations syndicales autorisées ou constituées d'office peuvent être autorisées, à leur demande ou à la demande de toute personne ayant capacité à la création d'une association syndicale autorisée, à fusionner en une association syndicale autorisée. / La demande est adressée à l'autorité administrative compétente dans le département où la future association a prévu d'avoir son siège. / La fusion peut être autorisée par acte de l'autorité administrative lorsque l'assemblée des propriétaires de chaque association appelée à fusionner s'est prononcée favorablement dans les conditions de majorité prévues à l'article 14. ".
5. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 133-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006 : " A l'intérieur d'un périmètre de remembrement, il est constitué entre les propriétaires des parcelles à remembrer une association foncière chargée de la réalisation, de l'entretien et de la gestion des travaux ou ouvrages mentionnés aux articles L. 123-8, L. 123-23 et L. 133-3 à L. 133-5 (...) ". L'article L. 133-2 du même code, dans sa rédaction vigueur avant le 1er janvier 2006, énonce que : " A la demande de la commission communale d'aménagement foncier, le conseil municipal peut s'engager à réaliser tout ou partie des travaux définis à l'article L. 123-8. La constitution de l'association foncière est obligatoire dès lors que le conseil municipal ne s'engage pas à réaliser l'ensemble des travaux. / En ce qui concerne les travaux définis au 6° de l'article L. 123-8, la délibération du conseil municipal sur un éventuel engagement au titre du précédent alinéa doit être préalable à la décision de la commission communale d'aménagement foncier. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent alinéa. / Lorsque ces travaux ou ouvrages présentent un intérêt commun pour plusieurs associations foncières, celles-ci peuvent se constituer, pour les missions mentionnées à l'article L. 133-1, en unions d'associations foncières, autorisées par décision préfectorale. La décision d'adhésion à une union est valablement prise par les bureaux des associations foncières. Les unions d'associations foncières sont soumises au même régime que les associations foncières (...) ". Aux termes de l'article R. 133-9 de ce code, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2006 : " Une association foncière de remembrement peut, à tout moment, être transformée en association syndicale autorisée, sous réserve que les conditions légales soient remplies (...) ".
6. Il résulte des dispositions mentionnées au point 4 du présent arrêt que les associations foncières constituées dans le cadre d'opérations d'aménagement foncier ordonnées avant le 1er janvier 2006 sont régies par les dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004, sous réserve des dispositions particulières du code rural dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2006.
7. Ainsi, d'une part, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004 s'appliquent aux associations foncières de remembrement constituées avant le 1er janvier 2006 dans les conditions précisées au point précédent, indépendamment de leur transformation préalable en associations syndicales autorisées prévue par l'article R. 133-9 du code rural et de la pêche maritime, qui ne peut être regardé comme une disposition particulière dérogatoire à l'application de l'ordonnance du 1er juillet 2004 tel que prévue par le 2° du I de l'article 95 de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux dans sa rédaction alors applicable.
8. D'autre part, l'article L. 133-2 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006, qui autorise les unions d'associations foncières, alors même qu'il doit être regardé comme une disposition particulière de ce code, ne saurait, par lui-même, faire obstacle à l'application, à ces mêmes associations, des dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relatif à la fusion à laquelle aucune disposition du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006 ne fait obstacle. Ainsi, en l'absence de dispositions particulières du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2006 relatives aux fusions des associations foncières ou y faisant obstacle, les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires leur sont applicables.
9. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 11 avril 2017 par lequel le préfet de la Marne a autorisé la fusion des associations foncières de remembrement de Lagery et de Lagery LGV au motif que les dispositions de l'article 48 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 ne leur étaient pas applicables.
10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne :
11. L'article 48 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires, cité au point 4 du présent arrêt, renvoie aux dispositions de l'article 14 de la même ordonnance s'agissant des conditions de majorité requises pour autoriser la fusion d'associations foncières. Aux termes de l'article 14 de cette ordonnance : " La création de l'association syndicale peut être autorisée par l'autorité administrative lorsque la majorité des propriétaires représentant au moins les deux tiers de la superficie des propriétés ou les deux tiers des propriétaires représentant plus de la moitié de la superficie des propriétés se sont prononcés favorablement. ".
12. Il ne résulte pas des dispositions de l'article 14 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 que, pour apprécier la condition de majorité prévue en un tel cas, un propriétaire qui n'a pas manifesté expressément son opposition au projet est cependant réputé s'être prononcé favorablement à celui-ci, à condition d'avoir été dûment averti des conséquences de son abstention. Cette règle résulte en effet de l'article 13 de la même ordonnance, auquel l'article 14 ne renvoie pas, applicable en cas d'enquête publique préalable à la création d'une association syndicale. Elle est également prévue par l'article 76 du décret du 3 mai 2006 portant application de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires relatif aux unions d'associations, mais non par l'article 82 de ce décret relatif aux fusions d'associations. Aucune autre disposition législative ou réglementaire relative aux fusions d'associations syndicales de propriétaires n'édicte une telle règle.
13. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que les votes des propriétaires non présents et non représentés ne devaient pas être comptabilisés comme des votes favorables à la fusion des associations foncières de remembrement de Lagery et de Lagery LGV. Or, il ressort des procès-verbaux des deux assemblées de propriétaires que, pour l'association foncière de remembrement de Lagery LGV, seulement 55,77 % des propriétaires représentant 56,65 % des surfaces étaient présents ou représentés et que 48 d'entre eux représentant une surface de moins de 310 hectares se sont prononcés favorablement au projet. S'agissant de l'association foncière de remembrement de Lagery, 56,49 % des propriétaires représentant 61,44 % des surfaces étaient présents ou représentés et ont voté, pour 73 d'entre eux, favorablement au projet pour une superficie de moins de 413 hectares. Ainsi, les conditions de majorité prévues par l'article 14 de l'ordonnance du 1er juillet 2004, auquel renvoie l'article 48 de la même ordonnance, n'étaient satisfaites pour aucune des deux associations.
14. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin, ni d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel, ni d'ordonner la production des pouvoirs des propriétaires des associations foncières de remembrement LGV de Lagery et de Lagery lors des assemblées générales extraordinaires des 13 décembre 2013, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 11 avril 2017 par lequel le préfet de la Marne a fusionné les associations foncières de remembrement de Lagery et de Lagery LGV sous le nom d'association foncière de remembrement de Lagery 2.
Sur la requête n°18NC03517:
15. Le présent arrêt statue sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Il n'y a, par suite, plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête du ministre de l'agriculture et de l'alimentation tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur les frais liés aux instances :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NC03517 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation à fins de sursis à exécution du jugement du 16 octobre 2018.
Article 2 : La requête n°18NC03516 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation est rejetée.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à M. C... A... et à l'association foncière de remembrement de Lagery 2.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Marne.
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N°s 18NC03516-18NC03517