Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2019, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 novembre 2018 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ;
2°) d'annuler la décision du 14 décembre 2016 du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 7 800 euros en réparation des préjudices qu'il a subis ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la compétence du signataire de la décision du 14 décembre 2016 rejetant sa demande indemnitaire préalable n'est pas établie ;
- le tribunal n'a pas répondu au moyen d'incompétence du signataire de la décision du 14 décembre 2016 ;
- il n'a pas relevé qu'il était à même de bénéficier du dispositif de dispense de la condition de diplôme en faveur des parents ayant élevé au moins trois enfants ;
- l'Etat a diffusé des informations erronées sur la condition de dispense de diplômes, qui ne lui permettaient pas de savoir qu'il était à même d'en bénéficier, ce qui est de nature à engager sa responsabilité pour faute ;
- il a subi une perte de chance sérieuse de réussir le concours d'ingénieur d'études ;
- il a subi un préjudice moral en raison de la faute commise par l'Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2019, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- le moyen d'incompétence du signataire de la décision du 14 décembre 2016 est inopérant ;
- le jugement attaqué, qui n'a pas répondu à ce moyen inopérant, n'est pas irrégulier ;
- M. B... disposait de toutes les informations nécessaires pour demander à bénéficier de la condition de dispense de diplôme, sans qu'aucune faute ne puisse être reprochée à l'Etat ;
- la réalité des préjudices qu'il invoque n'est pas établie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 80-490 du 1er juillet 1980 portant diverses dispositions en faveur de certaines catégories de femmes et de personnes chargées de famille ;
- le décret n° 81-317 du 7 avril 1981 fixant les conditions dans lesquelles certains pères ou mères de famille bénéficient d'une dispense de diplôme pour se présenter à divers concours ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., présidente assesseur,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., assistant ingénieur en informatique à l'université de Reims Champagne-Ardenne, s'est inscrit à plusieurs concours externes d'ingénieur d'études. N'ayant pas les diplômes universitaires requis pour ces concours, il a déposé une demande d'équivalence de qualification professionnelle. Le 22 juin 2015, la commission d'équivalence pour l'accès aux concours externes d'ingénieurs et de personnels techniques de recherche et de formation a estimé que l'expérience professionnelle de M. B... ne lui permettait pas d'accéder aux concours externes d'ingénieur d'études. Sur recours gracieux de M. B..., le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a confirmé cette décision le 28 août 2015. M. B... s'est cependant rendu compte qu'ayant élevé au moins trois enfants, il était dispensé de la condition de diplôme et que ses candidatures étaient, en conséquence, recevables. Par une décision du 14 décembre 2016, qui lui a été notifiée le 16 décembre suivant, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche a rejeté la demande indemnitaire préalable qui lui a adressée M. B... tendant à l'indemnisation des préjudices subis en l'absence d'information sur la dispense de la condition de diplôme pour les personnes ayant élevé au moins trois enfants et en particulier de la perte de chance d'avoir été admis au concours d'ingénieur d'études. Par un jugement du 20 novembre 2018, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La décision du 14 décembre 2016 rejetant le recours gracieux de M. B... a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de M. B..., qui, en demandant la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de la requête indemnitaire présentée par M. B..., qui conduit le juge à ne se prononcer que sur le droit de l'intéressé à percevoir la somme qu'il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Les premiers juges n'étaient ainsi pas tenus de répondre au moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision du 14 décembre 2016 qui est inopérant. Il suit de là que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a pas entaché son jugement d'irrégularité.
Sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B... :
3. Saisie de conclusions mettant en cause la responsabilité pour faute de l'Etat, il appartient à la cour de ne se prononcer que sur la réparation des préjudices subis par M. B... et non sur la légalité de la décision du 14 décembre 2016 rejetant sa réclamation préalable, qui a pour seul effet de lier le contentieux, alors même qu'il en demande également l'annulation.
4. Aux termes de l'article 2 de la loi du 1er juillet 1980 portant diverses dispositions en faveur de certaines catégories de femmes et de personnes chargées de famille : " Un décret en Conseil d'Etat, édicté dans les six mois de la promulgation de la présente loi, fixera les conditions dans lesquelles les mères et pères d'au moins trois enfants pourront se présenter à tout concours de l'Etat, des départements, des villes et communes, des établissements publics nationaux, départementaux et communaux, de toute collectivité publique et de tout établissement en dépendant, de toute société nationale ou d'économie mixte, sans condition de diplôme ". Aux termes de l'article 1er du 7 avril 1981 fixant les conditions dans lesquelles certains pères ou mères de famille bénéficient d'une dispense de diplôme pour se présenter à divers concours : " Peuvent faire acte de candidature aux concours de l'Etat, des départements, des communes, des établissements publics nationaux, départementaux et communaux, de toute collectivité publique et de tout établissement en dépendant, de toute société nationale ou d'économie mixte, sans remplir les conditions de diplôme exigées des candidats, les mères ou pères de famille élevant ou ayant élevé effectivement trois enfants. / Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables aux concours d'accès aux emplois impliquant la possession d'un diplôme légalement exigé pour l'exercice de la profession ".
5. Il résulte de l'instruction que l'extrait du site internet du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche du 8 septembre 2015 et le document relatif à la demande d'équivalence au titre de la qualification professionnelle pour la session 2015 énoncent que les " pères ou mères d'au moins trois enfants " sont dispensés de la condition de diplôme. Cette information est ainsi erronée en ce qu'elle plus restrictive que la condition réglementaire qui vise les pères ou mères de famille " élevant ou ayant élevé effectivement trois enfants ". De même, la fiche d'état-civil jointe au dossier de candidature pour le concours externe d'ingénieur d'études mentionnait, à la rubrique " situation de famille ", le nombre d'enfants " dont " celui à charge, sans autre précision. Par suite, le caractère erroné des informations transmises aux candidats, dont M. B..., quant au champ d'application de la condition de dispense de diplôme est fautive et de nature à engager la responsabilité pour faute de l'Etat.
6. En l'espèce, M. B..., dont il est constant qu'il a élevé trois enfants, fait valoir que cette information erronée quant au bénéfice de la dispense de diplôme lui a fait perdre une chance sérieuse de réussir les concours auxquels il s'était inscrit. Il n'a eu confirmation que le 8 septembre 2015 de ce qu'il bénéficiait du régime de dispense de la condition de diplôme. Admissible à six concours externes d'ingénieur d'études, il s'est désisté des deux oraux d'admission des universités de Paris VIII et de Reims Champagne-Ardenne, le 31 août 2015. Il a cependant finalement pu se présenter à ce dernier, le 18 septembre 2015. En revanche, il ne s'est pas présenté à l'oral de l'université de Paris VIII qui avait lieu le 8 septembre 2015, jour où le bénéfice de la dispense de diplôme lui a été confirmé. Toutefois, la seule admissibilité aux épreuves orales ne saurait établir, en toute hypothèse, la réalité de la perte de chance sérieuse d'obtenir le bénéfice du concours. M. B... n'a d'ailleurs produit aucun élément quant à ses notes aux épreuves d'admissibilité. En outre, il résulte de l'instruction, que le taux de réussite aux concours externes des ingénieurs d'études dans la filière " F " - information, documentation, culture, communication, édition, TICE - en 2015 a été de 2,2 %, soit 44 candidats admis sur 2001 candidats ayant passé le concours. Par suite, M. B... n'établit pas avoir perdu une chance sérieuse d'être admis aux concours d'ingénieurs d'études en raison de la faute de l'Etat à avoir diffusé des informations erronées quant à la condition de dispense de diplôme. Il suit de là que sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 4 800 euros au titre de ce chef de préjudice doit être rejetée.
7. Par ailleurs, le préjudice moral résultant, selon M. B..., de la " mauvaise foi " du ministre qui n'a pas admis le caractère erroné des informations diffusées aux candidats quant à la condition de dispense de diplôme tout en les modifiant en 2016, ainsi que son sentiment d'être dévalorisé et laissé pour compte, est dépourvu de tout lien de causalité avec la faute de l'Etat à avoir diffusé des informations erronées sur les conditions de dispense de diplôme. La demande de M. B... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de ce chef de préjudice doit, en conséquence, être rejetée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. B... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
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N° 19NC00227