Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 mai 2014 et 27 janvier 2016, la SELARL Charles Brucelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Deville, représentée par Me B...et MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 mars 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à verser à la SA Deville une somme de 2 071 442 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête en première instance, en réparation des préjudices subis par la société du fait de son inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante par l'arrêté interministériel du 3 juillet 2000 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de retirer la société Deville de la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 n'était pas applicable faute d'adoption d'un décret d'application précisant les activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante ;
- l'arrêté du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante est insuffisamment motivé ;
- son adoption n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ; les dispositions de la loi du 12 avril 2000 ont été méconnues, ainsi que les dispositions de la circulaire DRT/CT2 n° 2004/03 du 6 février 2004 relative à la procédure applicable en matière de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; la nécessité du respect d'une procédure contradictoire ressort des débats parlementaires sur la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 modifiant l'article 41 de la loi du 23 décembre 1999 ;
- l'inscription de la SA Deville sur la liste n'a pas été précédée d'une enquête préalable ;
- la SA Deville n'a pas été informée préalablement à son inscription sur la liste ;
- elle ne s'est pas vu notifier la décision d'inscription sur la liste ;
- l'arrêté du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ne précise pas le lieu de l'établissement concerné ;
- les opérations de calorifugeage à l'amiante ne représentaient pas une part significative de l'activité de l'établissement de la société Deville situé 76 rue Forest à Charleville-Mézières de 1950 à 1992 ; son inscription sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante n'était pas justifiée ; le tribunal s'est appuyé sur des éléments non probants et a inversé la charge de la preuve.
Par un mémoire enregistré le 24 décembre 2014, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la SELARL Charles Brucelle ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, notamment l'article 41 ;
- la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000, notamment l'article 36 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;
- la loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005, notamment son article 48 ;
- la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, notamment son article 119 ;
- le décret n° 99-247 du 29 mars 1999 relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité prévue à l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ;
- l'arrêté du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tréand, président,
- les conclusions de M. Laubriat, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la SELARL Charles Brucelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Deville.
Une note en délibéré, enregistrée le 8 février 2016, a été présentée pour la SELARL Charles Brucelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Deville.
1. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 41 de la loi susvisée du 23 décembre 1998, dans sa rédaction issue de l'article 36 de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 : " I. - Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; 2° Avoir atteint un âge déterminé, qui pourra varier en fonction de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1° sans pouvoir être inférieur à cinquante ans ; 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. (...) VII. - Un décret fixe les conditions d'application du présent article. " ;
2. Considérant que les dispositions rappelées ci-dessus du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 étaient assorties de précisions suffisantes pour permettre leur application immédiate ; que leur entrée en vigueur n'était pas subordonnée à l'intervention d'un décret d'application définissant les critères d'inscription sur la liste mentionnée au 1° du I de l'article 41 des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ; que si l'appelante souligne que l'article 119 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 en a précisé les termes, elle ne peut en déduire leur inapplicabilité antérieurement à cette date ; qu'ainsi, en se fondant sur les dispositions de l'article 41 dans leur rédaction issue de la loi susvisée du 23 décembre 1998 en vigueur à la date à laquelle a été adopté l'arrêté interministériel du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne n'a pas méconnu le champ d'application de la loi dans le temps, ni commis une erreur de droit ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté par lequel les ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget inscrivent un établissement sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante ou des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante visée à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée, s'il n'est pas un acte réglementaire, ne constitue pas non plus, contrairement à ce que soutient l'appelante et même si il a des incidences pour les sociétés concernées, une décision individuelle dès lors qu'il correspond au classement d'établissements sur une liste pour déterminer le champ d'application de la loi quant au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire et notamment pas celles de la loi du 11 juillet 1979 n'impose qu'il soit motivé ;
4. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 24 de la loi susvisée du 12 avril 2000 : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (...) " ; qu'aux termes de l'article 48 de la loi du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 : " Après le V de l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 précitée, il est inséré un V bis ainsi rédigé : " V bis. - L'inscription des établissements ou des ports visés au I sur la liste donnant droit aux salariés à bénéficier d'une cessation anticipée d'activité et de l'allocation correspondante ou la modification d'une telle inscription ne peut intervenir qu'après information de l'employeur concerné. La décision d'inscription d'un établissement ou de modification doit être notifiée à l'employeur. Elle fait l'objet d'un affichage sur le lieu de travail concerné. " ;
5. Considérant que l'arrêté par lequel les ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget inscrivent un établissement sur la liste des établissements, visée à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée, n'ayant pas le caractère d'une décision individuelle et n'ayant pas à être motivé en application des articles 1er et 2 de la loi du 11 juillet 1979, son adoption pouvait intervenir sans que la SA Deville ait été à même de présenter des observations et donc sans méconnaître les dispositions précitées de l'article 24 de loi susvisée du 12 avril 2000 ; qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire n'impose que l'adoption de cet arrêté soit précédée d'une procédure contradictoire ou d'une enquête préalable ; que, par ailleurs, la société appelante ne peut reprocher à l'Etat ni de ne pas avoir été informée préalablement à l'inscription de son établissement situé 76, rue Forest à Charleville-Mézières sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante fixée par l'arrêté interministériel du 3 juillet 2000, ni que ledit arrêté ne lui ait pas été notifié, les dispositions précitées du V bis de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, introduites par l'article 48 de la loi du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005, n'étant, en tout état de cause, pas encore applicables ; qu'enfin, la SELARL Charles Brucelle ne peut utilement soutenir de manière générale que les vices de procédure qu'elle invoque méconnaitraient les dispositions de la circulaire DRT/CT2 n° 2004/03 du 6 février 2004 relative à la procédure applicable en matière de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante émanant du directeur des relations du travail, qui est postérieure à l'arrêté du 3 juillet 2000 et dont les préconisations sont dénuées de caractère impératif ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que l'arrêté du 3 juillet 2000 modifiant la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a cité dans son annexe II " Deville - 76 rue Forest, 08000 Charleville-Mézières : de 1950 à 1992 " ; qu'il ressort de cette inscription que la SA Deville ne comptant qu'un établissement situé à cette adresse, seuls les salariés ou anciens salariés ayant travaillé dans cet établissement exerçant une activité de calorifugeage à l'amiante, à l'exclusion de ceux travaillant au siège social situé à la même adresse, pourront éventuellement bénéficier de la cessation anticipée d'activité prévue par l'article 41 de la loi susvisée du 23 décembre 1998 ; qu'ainsi l'arrêté litigieux, qui ne comporte aucune imprécision, n'est entaché d'aucune erreur de droit ;
7. Considérant, en cinquième et dernier lieu, qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés (...) des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante (...), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que peuvent seuls être légalement inscrits sur la liste qu'elles prévoient les établissements dans lesquels les opérations de calorifugeage ou de flocage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence et de la proportion de salariés qui y ont été affectés, représenté sur la période en cause une part significative de l'activité de ces établissements ; qu'il en va ainsi alors même que ces opérations ne constituaient pas l'activité principale des établissements en question ; qu'est en revanche sans incidence sur l'inscription d'un établissement l'intensité de l'exposition personnelle des salariés affectés aux opérations en question ;
8. Considérant que l'établissement de la SA Deville situé 76 rue Forest à Charleville-Mézières exerçait entre 1950 et 1992 une activité de fabrication d'appareils de chauffage (poêles, inserts et foyers de cheminée) et de cuisson domestiques ainsi qu'une activité de fonderie ;
9. Considérant, d'une part, qu'il ressort du rapport d'enquête de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Champagne-Ardenne réalisée dans le cadre de l'instruction de la réclamation indemnitaire formée par la SA Deville le 24 décembre 2010 que l'amiante était utilisée dans l'entreprise sous forme de tresses destinées à former les joints d'étanchéité et la protection thermique des portes de poêles, inserts et cuisinières ainsi que les joints entre les parties supérieures (tampons) des cuisinières ; que, dans ce cadre, la fréquence d'utilisation de l'amiante était quotidienne ; qu'en effet, si les tresses livrées sous forme de bobines étaient découpées manuellement aux dimensions requises par un seul salarié, elles étaient ensuite manutentionnées vers les lignes de montage des équipements et posées manuellement par des salariés qui devaient régulièrement procéder à une découpe plus précise ; que, par ailleurs, existait aussi une exposition à l'amiante dans le cadre du service après-vente au sein duquel une dizaine de salariés étaient conduits à réparer les équipements produits et, à cette occasion, à remplacer des joints d'étanchéité ; qu'enfin, des éléments amiantés étaient aussi utilisés dans le laboratoire d'études et dans l'atelier de polissage ;
10. Considérant, d'autre part, qu'il ressort d'un courrier de la caisse régionale d'assurance maladie du Nord-Est adressé à la direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de Champagne-Ardenne daté du 29 février 2000 que la SA Deville a utilisé l'amiante dans les conditions sus-décrites de 1950 à 1992, ce qu'a corroboré ladite société en répondant à un questionnaire que lui avait adressé la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement de Champagne-Ardenne le 5 octobre 2006 ;
11. Considérant, enfin, que la caisse régionale d'assurance maladie du Nord-Est a considéré que les effectifs concernés par les opérations de calorifugeage à l'amiante représentaient 80 salariés pour un effectif moyen sur la période concernée d'environ 450 personnes, soit presque 18 % des effectifs ; que si l'appelante soutient que l'effectif moyen se situait entre 515 et 650 salariés au cours de la période en cause, elle ne le démontre pas en se bornant à produire en première instance un document sans aucun justificatif, qui recense les effectifs présents au 31 décembre des années 1961 à 1967 puis 1975 à 1992 ;
12. Considérant que, les opérations de calorifugeage à l'amiante ont, compte tenu notamment de leur fréquence élevée et de la proportion significative de salariés qui y étaient affectés, représenté au cours de la période 1950-1992 une part significative de l'activité de l'établissement de la SA Deville situé 76 rue Forest à Charleville-Mézières ; que, par suite, comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges qui n'ont pas inversé la charge de la preuve, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et la ministre de l'emploi et de la solidarité n'ont pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 en inscrivant ledit établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité pour la période de 1950 à 1992, établie par arrêté du 3 juillet 2000, comme l'a d'ailleurs admis le président du directoire de la SA Deville, M.C..., lors de la réunion extraordinaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 23 novembre 2006 ; que la circonstance que l'établissement ne figure plus sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité au-delà de 1992, ses conditions d'exploitation ayant évolué, l'amiante ayant été remplacée au moins à compter de 1995 par des fibres céramiques puis par des fibres de verre, est sans influence sur la légalité de l'arrêté litigieux ; que, par suite, dès lors qu'aucune faute de l'Etat n'est démontrée, la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SELARL Charles Brucelle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction et celles formées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SELARL Charles Brucelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Deville, est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SELARL Charles Brucelle, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SA Deville, et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
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N° 14NC00977