Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 juillet 2018, Mme B..., représentée par Me Gabon, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 29 mars 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de la Marne du 19 décembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne de lui délivrer une carte de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande pour tardiveté ;
- l'arrêté a été signé par une autorité incompétente ;
- il n'est pas motivé ;
- la procédure contradictoire a été méconnue ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'erreur d'appréciation ;
- le préfet n'établit pas qu'elle serait admissible dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2018, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention franco-ivoirienne relative à la circulation et au séjour des personnes du 21 septembre 1992 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Wallerich, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 25 février 1993 de nationalité ivoirienne, est entrée régulièrement en France en 2013 munie d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant " valable du 18 août 2013 jusqu'au 18 août 2014. L'intéressée a ensuite bénéficié d'un titre de séjour " étudiant " plusieurs fois renouvelé jusqu'au 18 août 2017 et, le 26 juin 2017, elle en a demandé le renouvellement. Par arrêté du 19 décembre 2017, le préfet de la Marne le lui a refusé, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel de l'ordonnance du 29 mars 2018 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 19 décembre 2017.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 de ce code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) " . Aux termes de l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation est adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près cette juridiction avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, ce délai est interrompu. (...) Les délais de recours sont interrompus dans les mêmes conditions lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou une juridiction administrative statuant à charge de recours devant le Conseil d'Etat ".
3. Alors que l'arrêté préfectoral du 19 décembre 2017 a été notifié à Mme B...le 21 décembre 2017, la demande d'aide juridictionnelle de l'intéressée a été présentée le lundi 22 janvier 2018, soit le dernier jour du délai de recours contentieux dès lors que le 20 janvier 2018 était un samedi et le 21 janvier 2018 un dimanche. Ce délai avait donc été interrompu en application des dispositions précitées et dans ces conditions, Mme B...est fondée à soutenir que c'est irrégulièrement que sa demande d'annulation de l'arrêté du 19 décembre 2017, enregistrée au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2018 et qui n'était donc pas tardive, a été rejetée comme irrecevable. Par suite, l'ordonnance n° 1800170 du 29 mars 2018 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne doit être annulée.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par
Mme B...devant le tribunal administratif.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes des stipulations de l'article 9 de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Côte-d'Ivoire du 21 septembre 1992 : " Les ressortissants de chacun des États contractants désireux de poursuivre des études supérieures ou d'effectuer un stage de formation de niveau supérieur sur le territoire de l'autre État doivent, outre le visa de long séjour prévu à l'article 4, justifier d'une attestation d'inscription ou de préinscription dans l'établissement d'enseignement choisi, ou d'une attestation d'accueil de l'établissement où s'effectue le stage, ainsi que, dans tous les cas, de moyens d'existence suffisants. / Les intéressés reçoivent un titre de séjour temporaire portant la mention " étudiant ". Ce titre de séjour est renouvelé annuellement sur justification de la poursuite effective des études ou du stage et de la possession de moyens d'existence suffisants. / Ces dispositions ne font pas obstacle à la possibilité d'effectuer dans l'autre État d'autres types d'études ou de stages de formation dans les conditions prévues par la législation applicable ". En outre, l'article 14 de la même convention stipule que : " Les points non traités par la convention en matière d'entrée et de séjour des étrangers sont régis par les législations respectives des deux États ". Pour l'application de ces stipulations, il appartient à l'administration saisie d'une demande de renouvellement d'une carte de séjour présentée en qualité d'étudiant de rechercher, à partir de l'ensemble du dossier, si l'intéressé peut être raisonnablement regardé comme poursuivant effectivement des études.
6. Pour refuser de renouveler le titre de séjour de Mme B..., le préfet de la Marne s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée n'avait validé aucune année d'études. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette étudiante a obtenu une licence de droit en 2014, a validé la première année de master de droit privé " droit des affaires " en 2015 avec la mention " assez bien " et le premier semestre de la deuxième année de ce master, échouant en 2016 au second semestre à un dixième de point de la moyenne. Si l'intéressée a raté l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats en 2017, elle a été admise, au titre de l'année universitaire 2017/2018, en classe de deuxième année de master " droit des affaires " spécialité " contrat d'affaires et du crédit ". Par voie de conséquence, le préfet de la Marne a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant, pour lui refuser le renouvellement de son titre de séjour, que cette étudiante ne justifiait pas poursuivre sérieusement et effectivement des études. Par suite, Mme B...est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 19 décembre 2017 lui refusant un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans les trente jours.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, sauf changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, la délivrance à Mme B...d'une carte de séjour temporaire mention " étudiant ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Marne, ou toute autre autorité préfectorale territorialement compétente, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de délivrer ce titre de séjour à Mme B...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Gabon, avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gabon la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 1800170 du 29 mars 2018 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et l'arrêté du 19 décembre 2017 du préfet de la Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Marne, ou à toute autre autorité préfectorale territorialement compétente, de délivrer à Mme B...une carte de séjour temporaire mention " étudiant " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Gabon, avocat de Mme B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Gabon renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Marne.
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N° 18NC02083