Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 janvier 2017 et le 19 octobre 2017, la société Pierrette TBA, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 1407057 du 24 novembre 2016 du tribunal administratif de Strasbourg en ce qu'il ne lui a pas donné totale satisfaction ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Obernai à lui verser une somme de 26 332 euros, assortie des intérêts légaux, et le cas échéant, de la capitalisation des intérêts échus, en réparation du préjudice subi par son éviction irrégulière du marché de prestations de traitement du linge ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Obernai la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal aurait dû retenir le moyen tiré de la méconnaissance du principe de spécialité posé par l'article L. 6141-1 du code de la santé publique en constatant que les prestations de service n'étaient pas réalisées à moyens constants ;
- le moyen tiré de la violation du principe de la liberté du commerce et de l'industrie n'était pas inopérant dès lors que la légalité de l'intervention de la personne publique dans une sphère économique étrangère à sa mission de service public n'était en l'espèce justifiée ni par un intérêt public ni par une carence de l'initiative privée ;
- le principe de libre concurrence a été méconnu dès lors que, quel qu'en ait été le niveau par rapport à ses concurrents, le prix proposé par le centre hospitalier de Sélestat ne comprenait pas l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation de traitement de linge ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la méthode de notation du critère du prix n'était pas irrégulière alors qu'il n'a même pas pu procéder à son examen faute d'avoir obtenu communication des éléments nécessaires ;
- cette méthode méconnaît les principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le marché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2017, le centre hospitalier d'Obernai, désormais groupe hospitalier de Sélestat-Obernai, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Pierrette TBA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'activité de blanchisserie relève des missions d'un établissement public de santé ;
- en application de l'article L. 6145-7 du code de la santé publique, il peut assurer des prestations de service ;
- aucun texte ne lui impose de présenter un prix de revient individualisé par origine de prestation ;
- il a formulé son offre à moyens constants ;
- c'est en application de la jurisprudence que le tribunal a écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
- le prix proposé a été calculé en intégrant l'ensemble des coûts directs et indirects ;
- aucun principe ni texte n'impose au pouvoir adjudicateur d'informer les candidats de la méthode de notation envisagée pour évaluer leurs offres au regard des critères de sélection ;
- le préjudice doit être évalué sur la base du taux de marge net moyen.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président-assesseur,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me Gagey, avocat de la société Pierrette TBA et de Me Mezempte, avocat du centre hospitalier d'Obernai.
1. Considérant que le centre hospitalier d'Obernai, devenu le groupe hospitalier de Sélestat-Obernai à la suite de sa fusion avec le centre hospitalier de Sélestat, a conclu avec le centre hospitalier de Sélestat, selon la procédure adaptée définie par l'article 28 du code des marchés publics, un marché portant sur les prestations de traitement de son linge ; que la société Pierrette TBA, candidate à l'attribution du marché, a été informée par un courrier du 29 novembre 2013 du rejet de son offre ; qu'en sa qualité de candidate évincée, la société Pierrette TBA a demandé au tribunal de l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière ; que cette société relève appel du jugement du 24 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
2. Considérant que tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation ; qu'en vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat ; qu'il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 6141-1 du code de la santé publique : " Les établissements publics de santé sont des personnes morales de droit public dotées de l'autonomie administrative et financière. Ils sont soumis au contrôle de l'État dans les conditions prévues par le présent titre. Leur objet principal n'est ni industriel ni commercial " ; qu'aux termes de l'article L. 6145-7 du même code : " Sans porter préjudice à l'exercice de leurs missions, les établissements publics de santé peuvent : 1° A titre subsidiaire, assurer des prestations de service, valoriser les activités de recherche et leurs résultats, exploiter des brevets et des licences dans le cadre de services industriels et commerciaux (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 6145-48 de ce code : " Les prestations de services que les établissements publics de santé peuvent assurer à titre subsidiaire, ainsi que le prévoit l'article L. 6145-7, sont développées dans la limite des moyens matériels et humains indispensables à l'exécution des missions définies aux articles L. 6111-1 et L. 6112-1. Dans le cas où la tarification des prestations de services est fixée par l'établissement, les "prix" opposables aux tiers, à l'exception de ceux afférents aux services exploités dans l'intérêt des personnels, ne peuvent en aucun cas être inférieurs aux coûts de revient des prestations, calculés à partir de la comptabilité analytique mise en oeuvre conformément à l'article R. 6145-7. " ;
4. Considérant que si les prestations de traitement du linge d'un autre établissement hospitalier sont au nombre des prestations de service que les établissements publics de santé peuvent assurer en vertu de l'article L. 6141-1 du code de santé publique dès lors qu'elles constituent le complément normal de leur mission et sont directement utiles pour l'amélioration des conditions d'exercice de celle-ci, c'est à condition qu'elles conservent un caractère subsidiaire par rapport à l'exercice de leur activité et qu'en particulier elles s'exercent à moyens constants ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du compte financier de l'exercice 2013 de la blanchisserie du centre hospitalier de Sélestat que le coût de transport de l'activité blanchisserie est exclusivement lié à la réalisation de cette prestation pour le compte de clients extérieurs ; que cette activité nécessite ainsi des moyens supplémentaires dont il n'est pas justifié que l'établissement hospitalier disposait déjà pour l'exécution de ses missions principales ; qu'ainsi le centre hospitalier de Sélestat ne démontre pas que les prestations de traitement de linge pour lesquelles il a présenté sa candidature, seraient exécutées à moyens matériels constants, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 6145-48 du code de la santé publique ; que cette candidature, présentée en méconnaissance du principe de spécialité des établissements publics de santé, ne pouvait donc régulièrement être accueillie par le pouvoir adjudicateur ;
6. Considérant que la société Pierrette TBA qui a obtenu une note de 81/100 et a été classée en deuxième position, à un point seulement du centre hospitalier de Sélestat et à onze points du candidat arrivé en troisième position, est fondée à soutenir qu'en raison de l'irrégularité commise par le centre hospitalier d'Obernai, elle a perdu une chance sérieuse de se voir attribuer le marché de prestations de traitement du linge ; qu'elle a, par suite, droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges ; que ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge nette sur les coûts variables mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ; qu'il en résulte que, ce taux de marge nette s'élevant à 4,1 %, le manque à gagner subi par la société s'établit à 2 925,76 euros ; qu'elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 28 août 2014, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation ; que la société ayant demandé la capitalisation des intérêts le 18 décembre 2014 puis le 24 novembre 2015, cette mesure doit prendre effet au 28 août 2015, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Pierrette TBA est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation du groupe hospitalier de Sélestat-Obernai, venant aux droits du centre hospitalier d'Obernai, à indemniser le préjudice subi du fait de son éviction irrégulière du marché de traitement du linge de cet établissement ;
8. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du groupe hospitalier de Sélestat-Obernai, partie perdante, le versement à la société Pierrette TBA de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que le groupe hospitalier de Sélestat-Obernai a présentées au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1407057 du 24 novembre 2016 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : Le groupe hospitalier de Sélestat-Obernai est condamné à payer la somme de 2 925,76 euros à la société Pierrette TBA. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 28 août 2014. Les intérêts échus le 28 août 2015 seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 3 : Le groupe hospitalier de Sélestat-Obernai versera à la société Pierrette TBA une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du groupe hospitalier de Sélestat-Obernai présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pierrette TBA et au groupe hospitalier de Sélestat-Obernai.
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N° 17NC00165