Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 janvier 2016, M. F..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 18 décembre 2015 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 27 juillet 2015 pris à son encontre par le préfet du Bas-Rhin ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient :
S'agissant de la décision de refus de titre de séjour, que :
- cette décision a été prise par une autorité incompétente ;
- elle méconnaît la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 adoptée par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- il justifie d'une admission exceptionnelle au séjour au regard de son activité professionnelle sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français, que :
- cette décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination, que :
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- elle sera annulée par voie de conséquence de l'annulation des décisions de refus de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2016, le préfet du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;
- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 adoptée par le conseil d'association institué par l'accord d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M. F..., ressortissant turc né le 17 avril 1994, est entré régulièrement en France le 7 mai 2013, sous couvert d'un visa long séjour portant la mention " vie privée et familiale ", valable du 19 avril 2013 au 19 avril 2014 ; que M F... s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint de français, valable du 20 avril 2014 au 19 avril 2015 ; que l'intéressé a sollicité le 6 mars 2015 le renouvellement de son titre de séjour ; que par un arrêté du 27 juillet 2015, le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé ; que M. F... relève appel du jugement du 18 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur la décision de refus de titre de séjour :
2. Considérant, en premier lieu, que la décision en litige du 27 juillet 2015 a été signée par M. Christian Riguet, secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, auquel M. D..., préfet du Bas-Rhin, avait délégué sa signature par un arrêté du 16 décembre 2014, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 18 décembre 2014, pour signer notamment tous arrêtés à l'exception d'actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions relatives à la police des étrangers ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. D..., bien qu'il ait été nommé préfet des Bouches-du-Rhône par un décret du 15 juillet 2015, ne soit pas demeuré en fonction dans le département du Bas-Rhin jusqu'au 3 août 2015, date à laquelle son successeur, M. E... a pris ses fonctions ; que, dans ces conditions, la délégation de signature consentie à M. C... par M. D... par l'arrêté précité du 16 décembre 2014 continuait de produire ses effets le 27 juillet 2015, date à laquelle a été prise la décision attaquée ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963, entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie : " 1. Sous réserve des dispositions de l'article 7 relatif au libre accès à l'emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l'emploi d'un État membre : / - a droit, dans cet État membre, après un an d'emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s'il dispose d'un emploi (...) / 2. Les congés annuels et les absences pour cause de maternité, d'accident de travail ou de maladie de courte durée sont assimilés aux périodes d'emploi régulier. Les périodes de chômage involontaire, dûment constatées par les autorités compétentes, et les absences pour cause de maladie de longue durée, sans être assimilées à des périodes d'emploi régulier, ne portent pas atteinte aux droits acquis en vertu de la période d'emploi antérieure. / 3. Les modalités d'application des paragraphes 1 et 2 sont fixées par les réglementations nationales " ;
4. Considérant qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes en date du 16 décembre 1992, C-237/91, que l'article 6 premier paragraphe, premier tiret, de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association, qui a un effet direct en droit interne, doit être interprété en ce sens que, d'une part, un ressortissant turc qui a obtenu un permis de séjour sur le territoire d'un Etat membre pour y épouser une ressortissante de cet Etat membre et y a travaillé depuis plus d'un an auprès du même employeur sous le couvert d'un permis de travail valide a droit au renouvellement de son permis de travail en vertu de cette disposition, même si, au moment où il est statué sur la demande de renouvellement, son mariage a été dissous et que, d'autre part, un travailleur turc qui remplit les conditions de l'article 6, premier paragraphe, premier tiret, de la décision susmentionnée peut obtenir, outre la prorogation du permis de travail, celle du permis de séjour, le droit de séjour étant indispensable à l'accès et à l'exercice d'une activité salariée ;
5. Considérant que si M. F... invoque la violation de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980, il ressort des pièces du dossier que c'est en qualité de conjoint de ressortissant français, et non de salarié, qu'il a sollicité le renouvellement de son titre de séjour ; qu'au surplus, il ressort des pièces du dossier que M. F... a été employé en qualité de manoeuvre par la société MLT Démolition du 23 mai 2013 au 31 octobre 2013 ; que si M. F... soutient qu'il a été mis un terme à son contrat en raison des difficultés économiques de la société, il n'en justifie par aucun document et ne produit par ailleurs aucune pièce quant à une recherche d'emploi à la suite de la rupture de son contrat de travail ; qu'il s'ensuit que M. F... ne peut se prévaloir au titre de cette première période de travail ni d'une année d'emploi régulier auprès du même employeur ni de droits acquis au titre de cette même période ; qu'il ressort ensuite des pièces du dossier que M. F... a été employé par la société Go Construction à compter du 6 janvier 2014 dans un emploi d'ouvrier du bâtiment ; que l'intéressé ne produit pour l'année 2014 que trois bulletins de paye correspondant aux mois de janvier à mars 2014 ; qu'il a été de nouveau employé par un contrat de mission en 2015 par la même société pour une durée de cinq mois d'avril 2015 à août 2015 ; qu'il s'ensuit que M. F..., qui n'apporte aucun élément quant à la période comprise entre le mois d'avril 2014 et le mois de mars 2015, ne peut se prévaloir au titre de cette période de travail ni d'une année d'emploi régulier auprès du même employeur ni de droits acquis au titre de cette même période ; que, dès lors, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Bas-Rhin aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 6 de la décision du 19 septembre 1980 du conseil d'association institué par l'accord d'association conclu le 12 septembre 1963 entre la Communauté économique européenne et la République de Turquie ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
7. Considérant M. F... soutient qu'il a résidé régulièrement en France où il a travaillé et que de nombreux membres de sa famille résident régulièrement sur le territoire français dont notamment trois oncles et ses cousins ; qu'il ressort des pièces du dossier et n'est plus contesté en appel que la communauté de vie avec son épouse, ressortissante française, avait cessé à la date de la décision contestée ; que si M. F... justifie de périodes d'emploi régulières et de la présence de membres de sa famille sur le territoire français, il est entré en France récemment, n'a pas d'enfant à charge et n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où résident notamment ses parents et ses deux soeurs ; que, par suite, dans les circonstances de l'espèce, la décision de refus de titre de séjour en litige n'a pas porté au droit de M. F... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, les moyens tirés de l'inexacte application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. F... ait sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que la décision par laquelle le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour a été prise en méconnaissance de ces dispositions ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français est privée de base légale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour doit être écarté ;
10. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Bas-Rhin n'aurait pas procédé à l'examen de la situation personnelle de M. F... avant de prendre la décision en litige ;
11. Considérant, enfin, que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, et en l'absence d'autre élément invoqué par le requérant, les moyens tirés de l'inexacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation personnelle de M. F... doivent être écartés ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. Considérant, en premier lieu, que la décision susmentionnée après avoir notamment visé l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionné la nationalité turque de l'intéressé, indique qu'il n'établit pas être exposé dans le pays de destination à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni que sa vie et sa liberté y sont menacées ; que la décision contestée comporte ainsi l'énoncé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivée ;
13. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination devrait être annulée en conséquence de l'annulation des décisions de refus de titre de séjour et portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
14. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
15. Considérant que si M. F... soutient qu'il encourt des risques en cas de retour en Turquie du fait de ses origines kurdes, il n'établit par aucun élément suffisamment probant le caractère réel, personnel et actuel des risques allégués ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 16NC00105