Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 3 juin 2019, 10 juillet 2019 et 4 novembre 2019, Mme D..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Mayenne de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer dans l'attente un récépissé valant autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 34 et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- sa mère a fait l'objet d'une mesure d'éloignement qui a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 21 mai 2019 ;
- elle craint pour sa sécurité en cas de retour en Algérie puisque, mineure dans son pays, elle se retrouvera sous le joug de son père ;
- elle a déposé, le 30 janvier 2019, une demande de titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2019, le préfet de la Mayenne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'il s'en remet à ses écritures de première instance et que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Par une décision du 29 juillet 2019, Mme D... été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante algérienne née le 30 avril 2000, est entrée en France le 24 août 2017. Sa demande d'admission au statut de réfugié a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, confirmée par un arrêt du 30 novembre 2018 de la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 30 janvier 2019, le préfet de la Mayenne lui a alors fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai, en application du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un jugement du 2 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Mme D... relève appel de ce jugement.
Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance... ".
3. Par un jugement n°1901765 du 21 mai 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du préfet de la Mayenne du 30 janvier 2019 obligeant la mère de la requérante, Mme A... B..., à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le préfet n'ayant pas fait appel de ce jugement, cet arrêté est réputé n'être jamais intervenu. Or il ressort des pièces du dossier que Mme E... D... est entrée en France, à l'âge de 17 ans, en compagnie de sa mère et de ses deux jeunes frères. A la date de la décision contestée, elle était âgée de 18 ans seulement. Compte tenu de son jeune âge, de la présence en France de sa mère et de ses deux frères mineurs, et de l'annulation de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de sa mère, le centre de ses intérêts personnels et familiaux était, à cette date, situé en France. Le préfet ne saurait à ce titre opposer le fait qu'à la date de la décision contestée, Mme E... D... était interne au lycée Victor Hugo de Château Gontier et ne résidait donc pas avec sa mère à Nantes, le choix de suivre une scolarité en internat étant uniquement destiné à assurer le suivi de ses études. Dans ces conditions, Mme E... D... est fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et doit être annulée. La décision fixant le pays de destination doit aussi être annulée par voie de conséquence.
4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme E... D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Mayenne, sous réserve d'un changement des circonstances de droit ou de fait, de délivrer à Mme E... D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me F..., avocate de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F... de la somme de 800 euros.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 mai 2019 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Mayenne en date du 30 janvier 2019 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Mayenne, sous réserve d'un changement des circonstances de droit ou de fait, de délivrer à Mme E... D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me F..., avocat de Mme D..., la somme de 800 (huit cents) euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 décembre 2019.
Le rapporteur,
H. C...Le président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT02103