Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a estimé que la décision de refus de titre de séjour ne pouvait être prise sans saisine préalable de la commission du titre de séjour mentionnée à l'article L. 312-1 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation qu'il a refusé de délivrer à Mme B... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il s'en rapporte, pour le surplus, à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 mai 2020, Mme E... G... B..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler, par la voie de l'appel incident, ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande d'injonction présentée à titre principal par Mme B... et enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête du préfet de la Loire-Atlantique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- les moyens invoqués par le préfet par référence à ses écritures de première instance sont irrecevables :
- les moyens invoqués par le préfet ne sont pas fondés ;
- elle est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande d'injonction invoquée à titre principal ;
- le préfet était tenu d'examiner si sa situation professionnelle justifiait la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " salarié " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen sérieux ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen sérieux ; elle doit être annulée par voie de conséquence ; elle est entachée d'erreur de fait ; elle est entachée d'un défaut d'examen au regard de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle méconnaît le 1 de l'article 3 de convention relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par une décision du 15 juin 2020, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- et les observations de Me A... F..., substituant Me D..., représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité nigériane, a sollicité du préfet de la Loire-Atlantique la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que son admission exceptionnelle sur le fondement de l'article L. 313-14 du même code. Par un arrêté du 19 juillet 2018, le préfet de la Loire-Atlantique a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 1907407 du 4 mars 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté (article 1er), a enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de soumettre la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par Mme B... à la commission du titre de séjour et de procéder au réexamen de cette demande dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement (article 2) et a condamné l'Etat à verser à Me D..., avocate de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel de ce jugement. Mme B... sollicite pour sa part, par la voie de l'appel incident, la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'injonction invoquée à titre principal.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Dans sa requête, le préfet de la Loire-Atlantique a développé une argumentation visant à contester le moyen sur lequel le tribunal administratif de Nantes s'est fondé pour annuler son arrêté. Si le préfet de la Loire-Atlantique a indiqué qu'il s'en remettait à ses écritures de première instance en ce qui concerne les moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de la requête dès lors qu'il ne s'agit pas des moyens sur lesquels le préfet entend fonder son appel, mais d'une argumentation relative aux moyens que la cour serait susceptible d'examiner dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, cette fin de non-recevoir ne peut qu'être écartée.
Sur l'appel principal :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nantes :
3. Aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". Aux termes de l'article L. 313-14 du même code : " (...) L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
4. Pour justifier de sa présence en France en 2008, Mme B..., qui avait pourtant indiqué devant les services de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides être revenue en France seulement en 2009, a produit un contrat de travail de la société Masae Salon de coiffure, à Paris, des bulletins de paie établis en février et mars 2008 par la même société, ainsi que trois ordonnances d'un médecin généraliste datées du 28 février 2008, 11 juin 2008 et 26 novembre 2008. Toutefois, ainsi que l'ont relevé les services de l'URSSAF saisis à la demande du préfet, le contrat de travail et les bulletins de paie présentent plusieurs incohérences qui permettent de douter du caractère authentique de ces documents. Les services de l'URSSAF ont notamment relevé le fait que ces bulletins mentionnent comme valeur du plafond mensuel de sécurité sociale le montant de 3 377 euros, soit le montant en vigueur en 2019. En outre, Mme B..., dans sa demande de titre de séjour, a indiqué n'avoir eu de véritable contrat qu'à partir de 2016. De plus, la société Masae n'a été immatriculée qu'en 2012. Enfin, les trois ordonnances du Dr Bohbot produites et l'attestation du médecin du 20 avril 2020 de ce médecin ne sont pas suffisantes pour permettre d'attester de la résidence habituelle en France de Mme B... en 2008. S'agissant de l'année 2009, Mme B... produit un bulletin de paie entaché des mêmes incohérences ainsi que deux ordonnances du 28 juillet 2009 du Dr Bohbot. S'agissant de l'année 2010, Mme B... a produit une carte de l'aide médicale d'Etat qui mentionne une ouverture des droits au 9 août 2010. Ces éléments ne permettent pas davantage d'attester de la résidence habituelle en France de Mme B... en 2009 et 2010. Enfin, contrairement à ce qu'ont mentionné les premiers juges, le préfet de la Loire-Atlantique a bien remis en cause la présence en France de Mme B... au cours de ces années, l'arrêté contesté mentionnant que la présence en France de Mme B... est avérée depuis l'année 2011. Par conséquent, Mme B... ne justifie pas d'une résidence habituelle en France de plus de dix ans à la date de la décision contestée. Dès lors, le préfet de la Loire-Atlantique pouvait rejeter sa demande d'admission exceptionnelle au séjour sans avoir à saisir au préalable la commission du titre de séjour mentionnée à l'article L. 312-1 du code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté en se fondant sur le défaut de saisine de la commission du titre de séjour.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués par Mme B... :
S'agissant des moyens communs aux décisions contestées :
7. En premier lieu, il ressort de la lecture de l'arrêté contesté que celui-ci comporte les considérations de droit et de fait sur lesquels il se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
8. En second lieu, si Mme B... soutient que l'arrêté contesté a été pris sans examen particulier des circonstances de l'espèce, et notamment sans examen de sa situation professionnelle au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de sa situation au regard de l'article L. 513-2 du même code, ce moyen manque en fait.
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
9. En premier lieu, Mme B... fait valoir qu'elle a quitté le Nigéria en 2002, qu'elle est insérée dans la société française, qu'elle a tissé des liens en France et que sa fille est née en France. Elle fait également état du caractère ancien de sa présence en France, du fait que sa soeur jumelle est en situation régulière et du fait que son frère a obtenu le statut de réfugié. Elle soutient en outre qu'elle a travaillé en 2008, 2009 et 2016. Outre le fait que la présence de Mme B... en France n'est avérée qu'à partir de l'année 2011, ces éléments sont en tout état de cause insuffisants pour établir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14, le préfet de la Loire-Atlantique aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En deuxième lieu, les éléments mentionnés au point 9 ne permettent pas non plus d'établir qu'un retour au Nigeria porterait au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, pour les mêmes motifs, être écarté.
11. En troisième lieu, si la fille de Mme B..., née en 2016, a toujours vécu en France et y est scolarisée, cette circonstance ne permet pas d'établir que la décision portant refus de séjour méconnaîtrait le 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.
12. En quatrième lieu, les éléments mentionnés au point 9 ne permettent pas d'établir que la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de Mme B....
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, la décision de refus de séjour n'étant pas illégale, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
14. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 9 à 12, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
15. En premier lieu, si le préfet a indiqué, dans son arrêté, que Mme B... n'avait pas sollicité l'asile, il s'agit une simple erreur de plume sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué. Au demeurant, l'arrêté mentionne bien, dans son premier paragraphe, que Mme B... a été déboutée de sa demande d'asile.
16. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
17. En troisième lieu, si Mme B... se prévaut de divers documents relatifs aux réseaux de prostitution nigérians, elle n'apporte aucun élément permettent d'établir qu'elle aurait été victime de tels réseaux. La Cour nationale du droit d'asile a d'ailleurs estimé que les déclarations de Mme B... ne permettaient pas de tenir pour établie son appartenance à un réseau de prostitution. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
18. En quatrième lieu, Mme B... se prévaut des risques qu'elle encourt en cas de retour au Nigeria pour soutenir que la décision a été prise en méconnaissance du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Compte tenu des motifs exposés au point 17, ce moyen ne peut qu'être écarté.
19. En cinquième lieu, compte tenu des motifs exposés aux points 9, 12 et 17, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation personnelle.
20. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 19 juillet 2018, lui a enjoint de procéder au réexamen de cette demande dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement et a condamné l'Etat à verser à Me D..., avocate de Mme B..., la somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur l'appel incident :
21. L'arrêté du 19 juillet 2018 n'étant pas illégal, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes n'a pas fait droit à sa demande d'injonction tendant à la délivrance d'un titre de séjour.
Sur les frais liés au litige :
22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907407 du 4 mars 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et d'astreinte présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et celles présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme B... et à Me D....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 4 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe de la juridiction le 14 janvier 2021.
Le rapporteur,
H. C...Le président,
F. Bataille
La greffière,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01146