Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 juin 2018 et 24 juin 2019, Brest Métropole, représentée par Me Daucé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite rejetant sa demande d'indemnisation ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 204 268 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Brest Métropole soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges n'ont pas précisé la raison pour laquelle ils ont retenu la date du 30 juin 2011 et qu'ils ont estimé qu'elle avait l'obligation de se manifester sans exposer le fondement de cette obligation ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en refusant de reconnaître les erreurs commises par les services fiscaux et l'illégalité de la décision attaquée ;
- les premiers juges ont commis une erreur en retenant que la date butoir pour corriger les erreurs était le 30 juin 2011 au lieu du 30 juin 2012 comme le prévoit l'article 78 de la loi n° 2009-1673 ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en retenant que Brest Métropole avait l'obligation de se manifester alors que cette obligation ne résulte d'aucun texte ;
- si la date butoir du 30 juin 2011 est retenue, alors le délai restait suffisant pour que l'administration fiscale corrige ses erreurs, dès lors qu'elle l'a alertée par un courrier du 24 mai 2011, dans lequel elle lui fournissait des informations suffisamment claires et précises ; les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation sur ce point ;
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'elle n'avait pas fourni des informations claires et précises au regard du contenu du courrier du 24 mai 2011 ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée du fait des fautes commises dans la détermination de la taxe professionnelle due par la Compagnie de l'eau et de l'ozone, au titre de l'année 2009, à raison des stations d'épuration " Maison Blanche " et " Zone portuaire " et du défaut d'émission de rôles supplémentaires ; l'administration fiscale a commis une erreur lors de l'établissement des rôles de taxe professionnelle de la Compagnie de l'eau et de l'ozone et en s'abstenant d'émettre un rôle supplémentaire, alors que la valeur locative des stations d'épuration " Maison Blanche " et " Zone portuaire " justifiait un accroissement de la base théorique de taxe professionnelle au titre de l'année 2010 ;
- dès lors qu'elle s'est abstenue de traiter la demande qu'elle lui avait soumise, la responsabilité de l'Etat est engagée pour carence fautive ;
- elle établit la réalité de son préjudice, dès lors qu'elle produit le détail relatif aux différents postes de dépenses utiles au calcul de la taxe professionnelle correspondant au prix de revient ; elle subit un préjudice de perte de ressources fiscales de 1 204 268 euros à compter de l'année 2009.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête au motif que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Malingue,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public,
- et les observations de Me Daucé, représentant Brest Métropole.
Une note en délibéré présentée pour Brest Métropole a été enregistrée le 23 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. La communauté urbaine Brest Métropole Océane, établissement public de coopération intercommunale, devenue Brest Métropole à compter du 1er janvier 2015, a, par courrier du 24 mai 2011, attiré l'attention de l'administration fiscale sur l'insuffisance des bases d'imposition de taxe professionnelle de l'usine de valorisation énergétique des déchets du Spernot, gérée par la société Sotraval, et des stations d'épuration " Maison Blanche " et " Zone portuaire ", dont elle est propriétaire et qui sont gérées par la Compagnie de l'eau et de l'ozone. Par courrier du 24 décembre 2013, adressé à la directrice départementale des finances publiques du Finistère, Brest Métropole Océane a sollicité le versement de la somme de 1 204 269 euros, majorée des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait des fautes commises par l'administration fiscale dans la détermination des bases de taxe professionnelle, au titre de l'année 2009, des deux stations d'épuration gérées par la Compagnie de l'eau et de l'ozone. Après le rejet implicite de sa demande, elle a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser cette indemnisation. Elle relève appel du jugement du 26 avril 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si Brest Métropole soutient que ce jugement est entaché d'erreurs de droit, d'erreur d'appréciation et de dénaturation des pièces du dossier, ces moyens, présentés comme devant le juge de cassation, remettent en réalité en cause le bien-fondé du jugement, et non sa régularité.
3. En second lieu, il ressort du point 2 du jugement attaqué que le tribunal a rappelé les conditions d'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat, lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt, notamment la possibilité d'invoquer le fait du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de responsabilité, et du point 5 de ce jugement que, quand bien même ils n'ont pas, après avoir rappelé les textes dont ils ont fait application au point 4, mentionné explicitement les raisons pour lesquelles ils ont retenu la date du 30 juin 2011, les premiers juges ont exposé avec une motivation suffisante les raisons pour lesquelles ils ont estimé que l'administration fiscale n'avait pas commis de faute en n'effectuant pas de correction des bases d'imposition à la taxe professionnelle de la Compagnie de l'eau et de l'ozone avant le 30 juin 2011. Par suite, Brest Métropole n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier du fait d'une insuffisante motivation sur ces points.
Sur la fin de non-recevoir opposée par l'administration fiscale en première instance :
4. Il résulte de l'instruction que, par une délibération du 11 avril 2014, le conseil de la communauté de Brest Métropole Océane a donné délégation au président pour " intenter, au nom de Brest Métropole Océane, les actions en justice dans tous les domaines et devant toutes les juridictions que Brest Métropole Océane soit demanderesse ou défenderesse, ceci pour l'ensemble du contentieux, notamment pour la constitution de partie civile ". Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par l'administration fiscale, tirée du défaut de qualité pour agir du président de Brest Métropole Océane devant le tribunal administratif, doit être écartée.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir perçu des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité. S'il appartient, en principe, à la victime d'un dommage d'établir la réalité du préjudice qu'elle invoque, le juge ne saurait toutefois lui demander des éléments de preuve qu'elle ne peut apporter.
En ce qui concerne la responsabilité :
6. L'administration fiscale s'est abstenue d'engager une procédure de contrôle avant le 31 décembre 2012, date d'expiration du délai de reprise, portant sur les bases de la taxe professionnelle due par la Compagnie de l'eau et de l'ozone au titre de l'année 2009, alors que, par courrier du 24 mai 2011, Brest Métropole avait attiré son attention sur la reconstruction des stations d'épuration qui avait eu lieu en 2004 et en 2006, qui révélait une insuffisance dans les bases taxées au titre des équipements et biens mobiliers et qu'elle lui avait expressément demandé de procéder à la rectification de ces bases prises en compte pour la taxe professionnelle au titre des années 2008 et 2009, la compensation relais au titre de l'année 2010 et le prélèvement du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) au titre de l'année 2011. Elle a ainsi commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de Brest Métropole.
7. Compte tenu du délai restant à courir entre la date à laquelle a été reçu le courrier du 24 mai 2011 et le terme du délai de prescription prévu à l'article L. 174 du livre des procédures fiscales, soit le 31 décembre 2012, l'établissement public de coopération intercommunale doit être regardé comme s'étant manifesté en temps utile auprès de l'Etat. Par ailleurs, quand bien même le courrier du 24 mai 2011 ne comportait pas tous les éléments relatifs aux prix de revient des équipements tels qu'ils ont été produits au cours de l'instance contentieuse, ce courrier mentionnait que " selon notre analyse, les bases brutes d'imposition à la taxe professionnelle taxées au titre des EBM devraient être les suivantes : / STEP Zone Portuaire : 31 066 378 x 16% = 4 970 630 € / STEP Maison Blanche : 13 160 345 x 16% = 2 105 655 € " et précisait que la valeur locative des équipements et biens mobiliers de la station d'épuration " Zone portuaire " était de 4 970 620 euros pour une valeur déclarée de 0 euro et celle de la station d'épuration " Maison Blanche " était de 2 105 655 euros pour une valeur déclarée de 90 448 euros. Par suite, il comportait des éléments précis susceptibles de révéler une probable omission dans les bases d'imposition de la Compagnie de l'eau et de l'ozone. Dès lors, l'administration fiscale n'est pas fondée à invoquer le fait de Brest Métropole pour expliquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas déclenché de contrôle.
8. Dans la mesure où le présent litige ne porte que sur la perte de ressources fiscales de Brest Métropole au titre de l'année 2009 en raison d'une sous-imposition à la taxe professionnelle de la Compagnie de l'eau et de l'ozone, les délais dans lesquels il était possible de corriger ou d'actualiser la compensation relais mise en place à compter de l'année 2010 dans le cadre de la réforme incluant la suppression de la taxe professionnelle sont sans incidence sur l'appréciation de la faute.
En ce qui concerne le préjudice :
9. Contrairement à ce que soutient l'administration fiscale, il ressort des termes du courrier de la réclamation préalable que la demande de Brest Métropole ne portait pas sur l'indemnisation du préjudice portant sur le montant de la compensation relais issu de la faute résultant de l'absence d'émission d'un rôle supplémentaire de taxe professionnelle au titre de l'année 2009 mais sur l'indemnisation du préjudice résultant de la sous-imposition à la taxe professionnelle établie au titre de l'année 2009.
10. Brest Métropole demande réparation de son préjudice de perte de ressources fiscales à hauteur, en appel, de 1 204 268 euros et produit, à l'appui de sa demande, des éléments détaillés relatifs aux valeurs locatives des deux stations d'épuration de la Compagnie de l'eau et de l'ozone. L'administration fiscale ne conteste pas les éléments produits, à l'exception du taux d'abattement pratiqué du fait de la durée d'amortissement. Toutefois cette critique n'est pas circonstanciée au cas précis des deux stations d'épuration. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de procéder à une réfaction sur le montant sollicité.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
11. Brest Métropole a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 1 204 268 euros à compter du 31 décembre 2013, date de réception de sa réclamation préalable.
12. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant les juges du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 30 avril 2014. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 31 décembre 2014, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Brest Métropole est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Brest Métropole sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402248 du 26 avril 2018 du tribunal administratif de Rennes est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Brest Métropole la somme de 1 204 268 euros avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2013. Les intérêts échus à la date du 31 décembre 2014, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à Brest Métropole une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Brest Métropole et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme Malingue, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 novembre 2019.
Le rapporteur,
F. MalingueLe président,
F. Bataille
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02471
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