Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 décembre 2019, 15 juillet 2020 et 7 janvier 2021, M. E..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer cette décharge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en tant que travailleur indépendant, le droit européen lui reconnaît le droit de s'affilier à un autre régime de protection sociale que le régime social des indépendants ;
- le régime social français des indépendants ne répond pas à la définition donnée par le droit de l'Union européenne du régime légal de sécurité sociale et ne respecte pas le principe de solidarité émanant de l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale et il peut donc s'affilier au régime de protection sociale de son choix, ce qui exclut qu'il soit contraint de cotiser ou d'être assujetti à des prélèvements ayant pour objet de financer la sécurité sociale française ;
- au cours des années en litige, il était affilié à un régime de sécurité sociale en Espagne pour l'activité professionnelle qu'il y exerçait, il n'est pas affilié en France à la sécurité sociale et il a adhéré depuis le 1er janvier 2014 à des contrats d'assurance privés proposés par les sociétés Health Globality et Allianz Worldwide Care Limited.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er juillet 2020 et 26 janvier 2021, et un mémoire enregistré le 28 décembre 2020 qui n'a pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour de rejeter la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 ;
- le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique,
- et les observations de Me B..., substituant Me C..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., qui est gérant non salarié de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Armor Maintenance, a contesté devant le tribunal administratif de Rennes le bien-fondé des contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014 et 2015 à raison de ses revenus fonciers. Par un jugement du 6 novembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. Il fait appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 1600-0 D du code général des impôts : " La contribution sociale généralisée sur les produits de placements est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale ". Aux termes du I bis de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale : " Sont également soumises à la contribution les plus-values imposées au prélèvement mentionné à l'article 244 bis A du code général des impôts lorsqu'elles sont réalisées, directement ou indirectement, par des personnes physiques ". Aux termes de l'article 1600-0 H du code général des impôts : " La contribution pour le remboursement de la dette sociale prélevée sur les produits de placement est établie, contrôlée et recouvrée conformément à l'article 16 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ". Aux termes de l'article 16 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale : " Il est institué, à compter du 1er février 1996, une contribution prélevée sur les produits de placement désignés aux I et I bis de l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale (...) ". Aux termes du II de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts : " Le prélèvement social sur les produits de placements est établi conformément aux dispositions de l'article L. 245-15 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article L. 245-15 du code de la sécurité sociale : " Les produits de placement assujettis à la contribution prévue aux I à II de l'article L. 136-7 sont assujettis à un prélèvement social (...) ". Aux termes de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles : " Les produits affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont constitués par : (...) 2° (...) une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-15 du code de la sécurité sociale (...). Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux (...) ". Aux termes de l'article 1600-0 S du code général des impôts : " I. - Il est institué : / (...) 2° Un prélèvement de solidarité sur les produits de placement mentionnés à l'article L. 136-7 du même code. (...) Le prélèvement de solidarité mentionné au 2° du même I est assis, contrôlé et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-7 du code de la sécurité sociale ".
3. L'obligation faite par la loi d'acquitter les contributions mentionnées au point 2 est dépourvue de tout lien avec l'ouverture d'un droit à une prestation ou un avantage servi par un régime de sécurité sociale. Ces prélèvements ont ainsi le caractère d'impositions de toute nature et non celui de cotisations de sécurité sociale au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales.
4. Aux termes de l'article 11 du règlement (CE) n° 883 / 2004 : " Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre (...). ". Aux termes de l'article 13 de ce règlement : " (...) 2. La personne qui exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise: a) à la législation de l'Etat membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat membre, ou b) à la législation de l'Etat membre dans lequel se situe le centre d'intérêt de ses activités, si la personne ne réside pas dans l'un des Etats membres où elle exerce une partie substantielle de son activité. (...) ".
5. Il est constant que M. E... était résident fiscal en France au sens des dispositions de l'article 4 B du code général des impôts. M. E... était gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) Armoricaine Maintenance à Quessoy (Côtes d'Armor) jusqu'au 20 février 2018, date de sa dissolution. Il indique, par ailleurs, être dirigeant associé d'une société située en Espagne et être affilié au régime obligatoire de sécurité sociale espagnol. Toutefois, il n'apporte aucun élément établissant la réalité de son emploi en Espagne et s'il produit un document d'affiliation à la sécurité sociale espagnole, ce document date de 2013 alors que les impositions en litige portent sur les années 2014 et 2015. En outre, l'administration fait valoir sans être contredite que M. E... a perçu 60 500 euros en 2014 et 61 000 euros en 2015 pour son activité professionnelle en France. Dès lors, il doit être regardé comme exerçant une partie substantielle de son activité en France et était donc, en application de l'article 13 du règlement n° 883/2004, soumis à la législation française.
6. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale : " L'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. (...) ". Aux termes de l'article L. 111-2-2 du même code : " Sous réserve des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés, sont affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale dans le cadre du présent code, quel que soit leur âge, leur sexe, leur nationalité ou leur lieu de résidence, toutes les personnes exerçant sur le territoire français, à titre temporaire ou permanent, à temps plein ou à temps partiel : / - une activité pour le compte d'un ou de plusieurs employeurs, ayant ou non un établissement en France, et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ; / - une activité professionnelle non salariée (...) ". Selon l'article L. 613-1 du même code dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " Sont obligatoirement affiliés au régime d'assurance maladie et d'assurance maternité des travailleurs indépendants des professions non agricoles : / 1°) les travailleurs indépendants relevant des groupes de professions mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 621-3 et ceux qui relèvent de la caisse nationale des barreaux français, mentionnée à l'article L. 723-1, soit : / a. le groupe des professions artisanales ; / b. le groupe des professions industrielles et commerciales, y compris les débitants de tabacs ; / c. le groupe des professions libérales, y compris les avocats (...) ". Il résulte de ces dispositions que M. E... était tenu d'adhérer au régime social des travailleurs indépendants, en vigueur jusqu'au début de l'année 2020. Dès lors, il ne saurait utilement se prévaloir de son adhésion à compter du 1er janvier 2014 à des contrats d'assurances privés proposés par les sociétés Health Globality et Allianz Worldwide Care limited.
7. M. E... soutient qu'il n'est pas tenu d'être affilié au régime social des indépendants, dès lors que ce régime ne présente pas les caractéristiques d'un régime légal de sécurité sociale au sens du droit de l'Union européenne.
8. En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, rappelée dans son arrêt de grande chambre du 11 juin 2020, C-262/18 P et C-271/18 P, Commission européenne et République slovaque, le droit de l'Union européenne ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leur système de sécurité sociale. Il appartient ainsi, en l'absence d'une harmonisation au niveau européen, à la législation de chaque Etat membre de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale et le mode de financement de ce régime. Les Etats membres doivent cependant, dans l'exercice de cette compétence, respecter le droit de l'Union européenne, notamment, s'agissant des entreprises, les règles de concurrence résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Pour évaluer si une activité exercée dans le cadre d'un régime de sécurité sociale est dépourvue de caractère économique, il convient de procéder à une appréciation globale du régime en cause en prenant en considération les circonstances qu'il poursuit un objectif social, qu'il met en oeuvre le principe de solidarité, que l'activité exercée n'a aucun but lucratif et qu'elle est contrôlée par l'Etat, en examinant, en particulier, si et dans quelle mesure le régime en cause peut être considéré comme mettant en oeuvre le principe de solidarité et si l'activité des organismes d'assurance qui le gèrent est soumise à un contrôle de l'Etat.
9. Contrairement à ce que soutient le requérant, la Cour de justice de l'Union européenne, n'a pas jugé, dans son arrêt de grande chambre du 11 juin 2020, C-262/18 P et C-271/18 P, Commission européenne et République slovaque, et plus précisément dans ses points 30, 32 et 59, que le personnel des organismes en charge de la gestion des régimes d'assurances maladie, maternité, incapacité et vieillesse des commerçants, tel que l'ancien régime social des indépendants, devait être affilié à ce régime et non à un autre régime, tel le régime général des salariés du secteur privé.
10. Aux termes de l'article D. 613-21 du code de la sécurité sociale : " Le montant de l'indemnité journalière est égal à 1/730 du revenu professionnel annuel moyen des trois dernières années civiles pris en compte pour le calcul de la cotisation visée à l'article D. 612-9 émise et échue à la date de la constatation médicale de l'incapacité de travail, dans la limite du plafond annuel mentionné à l'article L. 241-3 en vigueur à la date du constat médical. / Le montant de l'indemnité journalière ne peut être supérieur à 1/730 du plafond mentionné à l'article L. 241-3 en vigueur à la date du constat médical. / Le montant de l'indemnité journalière ne peut être inférieur à 1/730 de 40 p. 100 du plafond mentionné à l'article L. 241-3. ". Aux termes de l'article D. 613-30 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable à compter du 4 février 2015 : " Lorsque le revenu d'activité annuel moyen pris en compte pour le calcul de la cotisation mentionnée à l'article D. 612-9 due au titre des trois années civiles d'activité précédant la date prévue du premier versement de l'indemnité journalière mentionnée à l'article D. 613-21 est inférieur à un montant équivalent à 10 % de la moyenne des valeurs annuelles du plafond mentionné à l'article L. 241-3 en vigueur au cours des trois années considérées, le montant de cette indemnité est nul. ". Aux termes de l'article D. 613-30 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2014 inclus : " Pour les assurés mentionnés à l'article L. 613-1, à l'exception de ceux mentionnés aux 2° et 3° de cet article, la cotisation annuelle ne peut être calculée sur une assiette inférieure à un montant égal à : 1° 19 % de la valeur du plafond de la sécurité sociale, au titre de la première année d'activité ; 2° 27 % de la valeur du plafond de la sécurité sociale, au titre de la deuxième année d'activité ; 3° 40 % de la valeur du plafond de la sécurité sociale, au titre des années d'activité suivantes. (...) ". Aux termes de l'article D. 613-30 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au 1er janvier 2015 : " Pour les assurés mentionnés à l'article L. 613-1, à l'exception de ceux mentionnés aux 2° et 3° de cet article, la cotisation annuelle ne peut être calculée sur une assiette inférieure à un montant égal à 10 % du plafond de la sécurité sociale. (...) ".
11. Il ne résulte pas, en tout état de cause, des dispositions citées au point 10 que le régime d'assurance maladie des travailleurs indépendants, dont les caractéristiques doivent être appréciées dans leur ensemble, ne mettrait pas en oeuvre le principe de solidarité mentionné aux points 6 et 8. Au demeurant, la mise en oeuvre de ce principe n'est pas une condition de la conformité d'un régime au droit de l'Union européenne mais seulement un critère destiné à apprécier sa soumission ou non aux règles de concurrence résultant du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
12. Enfin, la circonstance que le régime social des indépendants gérait à la fois la santé, la retraite et la prévoyance ne fait pas obstacle à ce qu'il soit regardé comme un régime légal de sécurité sociale au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au paiement des frais liés au litige doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2021.
La rapporteure,
P. D...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
1
2
N° 19NT05009
1