Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 avril 2020 sous le n°20NT01429, M. A..., agissant en qualité de représentant légal de Ibrahima et Amadou Sy, M. D... I... A... et Mme H... F..., représentés par Me E..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 septembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas d'entrée et de long séjour sollicités ou subsidiairement de réexaminer les demandes de visas dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont fait droit aux nouveaux motifs exposés dans les écritures en défense du ministre de l'intérieur sans rechercher si l'administration aurait pris la même décision si elle s'était initialement fondée sur ce motif ou si les requérants ont été privés d'une garantie ;
- le tribunal a omis de statuer sur le rejet de la demande de visa de long séjour de Mme F... ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation du lien de filiation entre M. A... et les demandeurs de visas ;
- la demande de réunification partielle est justifiée dès lors que Demba Bocar Sy poursuit des études au Sénégal ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
L'aide juridictionnelle partielle (55 %) a été accordée à M. A... par une décision du 2 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... C... A..., ressortissant mauritanien, né le 1er janvier 1961, est entré en France le 15 décembre 1994. Il s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié le 2 janvier 1996. Le 9 avril 2018, des visas de long séjour ont été demandés pour Mme H... F..., Moussa Bocar Sy, Ibrahima Sy et Amadou Sy, qui se présentent comme son épouse et leurs enfants, en qualité de membres de famille d'un réfugié. M. I... C... A... et Mme H... F..., agissant en leur nom propre et pour le compte des jeunes Ibrahima et Amadou Sy, ainsi que M. D... I... A... relèvent appel du jugement du 25 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Dakar du 28 janvier 2019 refusant de délivrer les visas de long séjour en France sollicités.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La délivrance des visas de long séjour a été refusée par l'autorité consulaire à Dakar au motif que le lien familial des demandeurs avec le réfugié ne correspondait pas à l'un des cas permettant d'obtenir un visa dans le cadre d'une procédure de réunification familiale. Le recours administratif préalable obligatoire formé contre cette décision ayant été implicitement rejeté et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par l'autorité consulaire.
3. En premier lieu, il ressort toutefois des pièces de première instance que, pour justifier de la légalité de la décision de refus de visa, le ministre de l'intérieur a invoqué des motifs tirés, d'une part, de la circonstance que la délivrance des visas demandés conduirait à une réunification familiale partielle et, d'autre part, s'agissant des enfants, de l'absence de preuve de leurs liens de filiation avec le réunifiant. Les nouveaux motifs ainsi invoqués par le ministre par un mémoire en défense ont été communiqués par le tribunal administratif aux requérants le 1er juillet 2019, lesquels y ont répondu par un mémoire enregistré 19 juillet 2019, la clôture d'instruction étant intervenue le 25 juillet 2019. Les requérants n'ont ainsi pas été privés d'une garantie procédurale. S'ils soutiennent également que le tribunal a accueilli une demande de substitution de motifs sans rechercher si la commission de recours aurait pris la même décision en se fondant sur ces nouveaux motifs, un tel moyen, qui se rattache au bien-fondé du jugement attaqué est sans incidence sur sa régularité.
4. En second lieu, les requérants soutiennent que les premiers juges ont omis de statuer sur le rejet de la demande de visa de long séjour présentée par Mme F.... Toutefois, le tribunal a, d'une part, rejeté l'ensemble de la requête présentée par M. A... et, d'autre part, précisé, aux points 10 et 11 du jugement attaqué, les raisons pour lesquelles le refus de réunification partielle, qui concernait nécessairement la demande de visa de Mme F..., était justifié. Ce jugement n'est ainsi pas entaché d'une omission à statuer.
5. Les requérants ne sont pas, par suite, fondés à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'irrégularité.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
6. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ;/ 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. (...) Les membres de la famille d'un réfugié (...) produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Enfin, aux termes de l'article L 411-4 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'enfant pouvant bénéficier du regroupement familial est celui qui répond à la définition donnée au dernier alinéa de l'article L. 314-11. / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ".
7. D'une part, il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
8. D'autre part, le principe d'unité de la famille, principe général du droit applicable aux réfugiés résultant notamment des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951, impose, en vue d'assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, que la même qualité soit reconnue aux enfants mineurs de ce réfugié. La réunification familiale doit concerner l'ensemble de la famille du réfugié qui demande à en bénéficier. Il ne peut en aller autrement s'agissant des enfants du réfugié que si la demande de réunification partielle est justifiée par des motifs tenant à l'intérêt des enfants, comme le prévoient les dispositions précitées de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En premier lieu, les requérants soutiennent que la présomption de paternité prévue à l'article 191 du code de la famille sénégalais qui dispose que " tout enfant né 180 jours au moins après la célébration du mariage de sa mère (...) est présumé avoir le mari pour père (...) " suffit à établir le lien de filiation de M. I... C... A... avec M. D... A... et les jeunes Ibrahim et Amadou Sy. Toutefois, la présomption de paternité ne fait pas obstacle à ce que l'administration remette en cause la force probante des actes d'état civil produits. En l'espèce, s'agissant de M. D... I... A..., il ressort des pièces du dossier que la copie littérale de son acte de naissance indique que l'acte a été dressé au Sénégal le 10 août 1999, soit plus d'un an après l'évènement survenu le 6 août 1998, en violation de l'article 51 du code de la famille sénégalais qui prévoit que, " toute naissance doit être déclarée à l'officier d'état civil dans le délai franc d'un mois ", et que passé le délai d'un an après la naissance, l'officier de l'état civil ne peut dresser l'acte de naissance que s'il y est autorisé par une décision du juge de paix. S'agissant de M. G... A..., né le 15 octobre 2003, il ressort de l'acte produit que sa naissance a été déclarée au Sénégal le 18 novembre 2003, soit au-delà du délai d'un mois franc prévu par l'article 51 du code de la famille sénégalais, sans aucune mention de déclaration tardive. De plus, cet acte de naissance ne mentionne ni la profession du père, ni la profession et le domicile de la mère, en violation de l'article 52 du code de la famille sénégalais qui énonce les mentions que doivent comporter les actes de naissance. S'agissant de M. C... A..., né le 11 février 2006, il ressort des pièces du dossier que les extraits d'un acte de naissance établi au Sénégal ne mentionnent pas l'âge et la profession du père et le domicile de la mère, en méconnaissance du même article 52 du code de la famille sénégalais. Ils ne portent pas le sceau du centre d'état civil, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 47 de ce code. De plus, les actes produits pour établir l'identité et la filiation d'Ibrahim et Amadou Sy indiquent que leur mère est née le 5 août 1978 alors que Mme H... F... est née le 31 décembre 1978 ainsi qu'il ressort du passeport de cette dernière. Au vu de l'ensemble de ces omissions et incohérences, la commission a pu écarter les documents d'état civil produits comme étant dépourvus de valeur probante. Enfin la production par M. A..., pour la première fois en appel, de billets d'avion attestant de voyages vers le Sénégal et la circonstance qu'il ait déclaré ses enfants à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ne sauraient suffire à établir le lien de filiation avec M. D... I... A... et les jeunes Ibrahima et Amadou Sy par possession d'état. Dès lors, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France, en estimant qu'un tel lien n'était pas établi, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.
10. En deuxième lieu, les requérants expliquent d'une part que le jeune J... I... A..., né le 15 octobre 2001, n'a pas fait l'objet d'une demande de visa car il poursuit des études au Sénégal et soutiennent d'autre part que le ministre ne conteste pas que leur fille aînée née en 1994 était âgée de plus de 19 ans à la date de l'introduction de la demande de réunification familiale. Outre qu'aucune pièce du dossier n'établit l'âge de la fille déclarée de M. A..., les circonstances invoquées ne suffisent pas à considérer que l'intérêt supérieur de Demba Bocar Sy, âgé de 16 ans à la date de la décision attaquée, justifierait qu'il soit fait droit à la demande de réunification familiale partielle au seul bénéfice des trois autres fils et de l'épouse de M. A....
11. En dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que MM. Sy et Mme F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
13. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la requête à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées en ce sens par les requérants doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. A... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de MM. Sy et Mme F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... C... A..., à Mme H... F..., à M. D... I... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 27 avril 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme B..., présidente assesseur,
- M. Lhirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2021.
Le rapporteur,
H. B...
Le président,
A. PÉREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01429