Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 juillet 2020, 17 décembre 2020, 18 décembre 2020 et 14 janvier 2021 M. I..., représenté par Me J..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à titre principal au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, un titre de séjour, dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de réexaminer sa situation et lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans l'attente, dans un délai de 15 jours, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'absence de prise en compte du mémoire communiqué le 17 février 2020 ;
- la décision portant refus de titre de séjour est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen ; c'est à tort que le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer le titre de séjour sollicité en raison du fait qu'il ne justifiait pas de sa minorité au moment de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance ; il remplit les conditions fixées par le 2 bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 25 novembre 2020 et 6 janvier 2021, préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et s'en rapporte, pour l'essentiel, à ses écritures de première instance.
M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. I..., ressortissant malien, est entré en France en juillet 2015 sans pouvoir justifier d'une entrée régulière. Sur ordonnance du juge des tutelles de tribunal de grande instance de Nantes du 4 août 2015, il a été admis dans le service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Loire-Atlantique. Il a, par la suite, sollicité du préfet de la Loire-Atlantique la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 2° bis et du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 juillet 2018, le préfet de la Loire-Atlantique a pris à son encontre un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré ou tout autre pays pour lequel il établit être admissible. M. I... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 1907080 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. M. I... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. I... a produit, en pièce jointe à son mémoire enregistré le 17 février 2020 au greffe du tribunal administratif de Nantes, un jugement supplétif ainsi qu'un acte de naissance établis en 2016 qui constituaient des éléments nouveaux justifiant la communication de ce mémoire. Il suit de là que M. I... est fondé à soutenir qu'en ne communiquant pas ce mémoire, le tribunal administratif de Nantes a entaché son jugement d'irrégularité.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. I... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour :
5. En premier lieu, cette décision a été signée par M. K... E..., chef du bureau du séjour de la préfecture de Loire-Atlantique. Par arrêté du 9 mai 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs le 11 mai suivant, le préfet de la Loire-Atlantique a donné délégation à M. A... H..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer notamment les décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, et, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, à M. K... E.... Par suite le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.
6. En deuxième lieu, cette décision énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, si M. I... soutient que cette décision aurait été prise sans examen particulier des circonstances de l'espèce, ce moyen manque en fait
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. ".
9. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
10. L'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger prévoit que : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. Dans le délai prévu à l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative informe par tout moyen l'intéressé de l'engagement de ces vérifications. ".
11. Pour justifier de son âge et de son identité, M. I... a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour un jugement supplétif du 23 juin 2011 ainsi qu'un acte de naissance établi pour transcription de ce jugement. Le préfet de la Loire-Atlantique fait valoir que ces documents présentent des irrégularités et verse au dossier un courrier en date du 8 janvier 2018, du greffier en chef du tribunal de grande instance de la commune II du district de Bamako, adressé aux services consulaires français au Mali indiquant que " nous n'avons pas retrouvé le jugement supplétif d'acte de naissance n° 2640 de l'année 2011 établi par le tribunal de Grande Instance de la commune II du district de Bamako " et que " le dernier numéro de notre registre tenu à cet effet au titre de l'année concernée est le 1221 ". Le préfet de la Loire-Atlantique justifie ainsi avoir procédé à une levée d'acte auprès des autorités maliennes et n'a donc pas méconnu les dispositions de l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger. Le préfet produit également un courriel d'un agent du consulat général de France à Bamako qui précise, d'une part, que le jugement a été signé par la greffière Mme G... B... et que la délégation de signature a été retirée à cette personne car elle avait délivré de faux jugement supplétifs. Dans ces conditions, le préfet de la Loire-Atlantique établit le caractère frauduleux des actes produits à l'appui de la demande de titre de séjour. Par ailleurs, si M. I... produit un nouveau jugement supplétif d'acte de naissance du 2 février 2016 ainsi que l'acte de naissance issu de sa transcription, M. I..., n'apporte aucune explication sur les raisons pour lesquelles il s'est vu remettre, en 2011, des documents frauduleux. En outre, le préfet de la Loire-Atlantique produit un courriel du service de l'analyse documentaire de la police aux frontières qui fait état du caractère frauduleux de ces nouveaux documents en raison du non-respect des articles 124 et 126 du code de la personne et de la famille malien, du fait que le numéro NINA n'y figure pas, en méconnaissance de la loi n° 06-040 du 11 août 2006, du fait que la qualité du signataire n'est pas conforme aux articles 93 et 94 de la loi 2011-087 du 30 décembre 2011 et enfin en raison du non-respect de l'article 554 du code de procédure civile malien. Il suit de là que le préfet de la Loire-Atlantique a pu légalement se fonder sur l'existence de manoeuvres frauduleuses en vue d'obtenir un droit au séjour pour refuser de délivrer à M. I... un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. En quatrième lieu, à la date de la décision attaquée, M. I... séjournait en France depuis trois ans. Il est dépourvu de toute attache familiale en France et n'y justifie d'aucun autre lien particulièrement significatif. Par ailleurs, s'il a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) " maintenance des véhicules particuliers ", ce seul élément ne suffit pas à établir qu'il aurait fixé en France le centre de ses intérêts. Dans ces conditions, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, malgré l'insertion de l'intéressé dans la société française, la réussite de ses études et les liens qu'il a tissés avec la famille de M. F... et Mme D....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. I... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
14. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, M. I... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12, M. I... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Il résulte de tout ce qui précède M. I... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2018. Par suite il n'y a pas lieu de faire droit à ses conclusions aux fins d'injonction et au titre des frais liés au litige.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907080 du 6 mars 2020 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. I... devant le tribunal administratif de Nantes et le surplus de ses conclusions sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. M'L... I... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 15 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2021.
Le rapporteur,
H. C...Le président,
F. BatailleLe rapporteur,
H. C...Le président,
F. BatailleLe greffier,
E. Haubois
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT01999