Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 janvier 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes litigieux d'état-civil de M. E... dès lors que, d'une part, le jugement supplétif du 11 juillet 2016 est irrégulier dans sa forme et, d'autre part, celui-ci et l'acte de naissance qui a été dressé en exécution n'ont pas été légalisés par le consul de Guinée en France ou le consul de France en Guinée, conformément à la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, mais par le sous-directeur des affaires juridiques du ministère guinéen des affaires étrangères.
Par un mémoire, enregistré le 20 mars 2020, M. D... E..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête, à ce que le préfet de la Loire-Atlantique lui délivre un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, réexamine sa situation dans le même délai et, dans l'attente, lui délivre une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ainsi qu'à la mise à la charge de l'Etat du versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les observations de Me F..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant guinéen, se disant né le 14 septembre 2000, a été placé par ordonnance du juge des tutelles du tribunal de grande instance de Nantes du 9 septembre 2016 auprès des services de l'aide sociale à l'enfance de la Loire-Atlantique en qualité de mineur isolé. Il a demandé le 23 juillet 2018 au préfet de ce département un titre de séjour sur le fondement des dispositions des 2° bis et 7 ° de l'article L.313-11 et des articles L. 313-14 et L.313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté qui n'est pas daté mais qui a été adressé à M. E... par une lettre de notification du 29 mars 2019, le préfet a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 21 janvier 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté (article 1er), enjoint au préfet de délivrer à M. E... une carte de séjour temporaire " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler (article 2), et mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre des frais liés au litige (article 3). Le préfet relève appel de ce jugement.
2. Le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. E... un titre de séjour au motif, notamment, que l'intéressé, qui a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 11 juillet 2016 par le tribunal de première instance de Conakry II mentionnant le 14 septembre 2000 comme date de naissance de l'intéressé et l'acte de naissance issu de la transcription de ce jugement dans les registres de l'état civil de la ville de Conakry (commune de Dixinn), ne justifiait pas de son identité et de sa date de naissance en raison du caractère frauduleux de ces actes.
3. Aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. ".
4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Ce dernier article dispose que: " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Pour annuler l'arrêté contesté, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'impossibilité pour le préfet de la Loire-Atlantique d'opposer à M. E... le motif tiré de ce que ni son identité ni sa date de naissance n'étaient établies dès lors qu'il s'est borné à invoquer le défaut d'authenticité du jugement supplétif et de sa transcription sur les registres d'état civil, produits à l'appui de la demande, et à affirmer qu'il ne serait pas conforme au code civil guinéen dans la mesure où la requête pour obtenir le jugement supplétif a été présentée à l'initiative d'un tiers et la naissance retranscrite dans les registres de l'année 2000, alors que le service spécialisé de la police aux frontières, en charge de l'analyse documentaire, n'a relevé, pour ces documents, ni contrefaçon ni falsification et a émis un avis favorable. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce jugement supplétif, rendu le jour même de l'introduction de la requête tendant à son établissement, ne comporte pas les dates de naissance du père et de la mère de l'intéressé. En outre, les actes établis par une autorité étrangère et destinés à être produits devant les juridictions françaises doivent au préalable, selon la coutume internationale et sauf convention internationale contraire, être légalisés pour y produire effet. Cette légalisation peut être effectuée, en France, par le consul du pays où l'acte a été établi ou par le consul de France dans le pays d'origine de l'étranger, mais la légalisation de la signature des auteurs de l'acte à Paris par le conseiller chargé des affaires consulaires de cet Etat ne peut être regardée comme conforme à la coutume internationale et, par suite, les documents produits par l'étranger dans ces conditions sont privés d'effet en France. Or, en l'espèce, le jugement supplétif et le nouvel acte de naissance, qui ne sont revêtus d'aucune formule de légalisation signée par le consul de Guinée en France ou le consul de France en Guinée, mais seulement signés par le sous-directeur des affaires juridiques du ministère guinéen des affaires étrangères, ne peuvent être regardés comme valablement légalisés et se trouvent ainsi dépourvus d'effet. Enfin, compte tenu de ce que la date du passeport de M. E... est le 27 août 2017, soit postérieurement à ces actes sans validité, ce document n'est pas de nature à établir l'âge de l'intéressé. Dès lors, c'est à bon droit que le préfet de la Loire-Atlantique a estimé que M. E... ne pouvait pas légalement attester de son identité dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et notamment de sa situation de mineur lors de son entrée en France. Par suite, il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard de ces dispositions.
6. Il suit de là que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes litigieux d'état civil de M. E....
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
8. En premier lieu, la décision contestée, qui vise notamment l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le 7° de l'article L. 313-11, les articles L. 313-14 et L.313-15 et le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est fondée non seulement sur le motif rappelé au point 2 mais également sur la faible moyenne de notes que M. E... a obtenue au cours du premier trimestre de l'année scolaire 218-2019 et sur l'absence de liens personnels et familiaux en France et de motifs exceptionnels et considérations humanitaires. Dès lors, elle est suffisamment motivée en fait et en droit.
9. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. E....
10. En troisième lieu, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas commis une erreur de droit en examinant la demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au lieu de celles du 2° de l'article L. 313-11 du même code dès lors que l'association L'Etape a présenté le 23 juillet 2018 pour le compte de M. E... une demande sur plusieurs fondements dont celui de l'article L. 313-15 à titre subsidiaire.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 2° bis A l'étranger dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l'article L. 311-3, qui a été confié, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. E..., bien qu'ayant eu une moyenne générale de 11,71 sur 20 au premier semestre de l'année scolaire 2017-2018, qui ne comprend pas l'évaluation en français, a obtenu une moyenne de 9,46 sur 20 au cours du semestre suivant, incluant des notes de 8 en français, 5,71 en sciences et 6,20 en technologie et une moyenne de 8,57 sur 20 au cours du semestre de l'année 2018-2019 sans aucune évaluation en français, et a fait l'objet d'appréciations laissant apparaître des difficultés sérieuses de compréhension et un manque d'investissement dans le travail scolaire. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 2° bis de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit en tout état de cause être écarté.
14. En cinquième lieu, M. E..., qui est récemment entré en France en mai 2016, qui est célibataire et sans charge de famille, ne démontre pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où, selon le préfet de la Loire-Atlantique, qui n'est pas contredit, réside sa soeur même si l'intéressé affirme ne plus avoir de relations avec elle. Ainsi, il ne remplissait pas l'une des conditions prévues par les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui tient notamment à la nature des liens d'un étranger avec sa famille restée dans le pays d'origine. M. E... n'est en conséquence et en tout état de cause pas fondé à soutenir que le préfet, en refusant de lui délivrer le titre de séjour, a méconnu les dispositions de cet article.
15. En sixième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14 et compte tenu de ce que M. E... n'établit pas avoir tissé des liens personnels et amicaux intenses en France, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
16. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Loire-Atlantique ait commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour sur la situation personnelle de M. E....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
17. La décision de refus de délivrance d'un titre de séjour n'étant pas annulée, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
18. Par arrêté du 11 janvier 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet a donné à Mme B... A..., directrice des migrations et de l'intégration à la préfecture de la Loire-Atlantique, délégation à l'effet de signer " tous arrêtés et décisions individuelles relevant des attributions de la direction des migrations et de l'intégration (...) ", au nombre desquels figurent les décisions portant refus de titre de séjour assorties d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté manque en fait.
19. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 15, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
20. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision portant obligation de quitter le territoire français soit entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur la situation personnelle de M. E....
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
21. La décision de refus de délivrance d'un titre de séjour et celle portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulées, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
22. La décision fixant le pays de destination précise la nationalité de M. E..., vise l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne que l'intéressé n'établit pas que sa vie ou sa liberté soient menacées ni qu'il soit exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne en cas de retour dans le pays de renvoi dans la mesure où depuis son entrée en France il n'a pas sollicité le statut de réfugié. Dès lors, elle est suffisamment motivée.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté litigieux. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. E... à fin d'injonction et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., au ministre de l'intérieur et à Me F..., avocat de M. E....
Une copie sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. C..., président assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 septembre 2020.
Le rapporteur,
J.-E. C...Le président,
F. Bataille
La greffière,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00322