Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 janvier 2015 et 11 décembre 2015, l'EURL Redo, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 novembre 2014 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités contestées ;
3°) de prononcer le remboursement des frais exposés pour la constitution de garanties ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa comptabilité n'était pas irrégulière ;
- l'administration ne pouvait pas admettre l'existence des ventes de marchandises apparaissant en informatique comme non consignées tout en remettant en cause les charges correspondant à l'achat de marchandises cassées qui apparaissaient en informatique comme non consignées ; le fait que des marchandises effectivement livrées apparaissent comme non consignées résulte d'erreurs de saisie ; les factures de la SAS Futura Finances relatives à des marchandises cassées sont appuyées par des bordereaux de casse ; l'ampleur des détériorations de marchandises n'est pas incohérente compte tenu du mode de fonctionnement de l'entreprise ;
- les charges de démarque inconnue répondaient aux conditions de déductibilité posées par la doctrine administrative, tenant à la fiabilité des enregistrements de recettes et de la " comptabilité marchandise " ainsi qu'à l'existence de mesures de lutte contre la démarque inconnue et de contrôles internes de l'efficacité de ces mesures ; si certaines anomalies ont entaché les fichiers informatiques transmis à l'administration, elles sont liées à des erreurs de saisie informatique, inévitables compte tenu du nombre de marchandises stockées ; il n'y a pas à justifier de la cause des disparitions de marchandises ;
- en l'absence d'intention d'éluder l'impôt, et compte tenu, d'une part, du faible montant des rectifications, d'autre part, de l'absence de communauté d'intérêts ou de liens de dépendance entre l'EURL et la SAS Futura Finances, et enfin des similarités entre le cas d'espèce et celui d'autres magasins pour lesquels les pénalités pour manquement délibéré ont été dégrevées par l'administration ou déchargées par un tribunal administratif, ces pénalités sont infondées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juillet 2015 et 21 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de remboursement de frais de constitution de garanties en l'absence de litige né et actuel entre le comptable et la requérante concernant un tel remboursement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jouno,
- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public.
1. Considérant que l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Redo exerce une activité de commerce de détail sous l'enseigne " Noz " ; qu'elle est liée, à ce titre, par un contrat de fourniture daté du 1er mars 2004 à la société par actions simplifiée (SAS) Futura Finances ; qu'en vertu de ce contrat, l'approvisionnement en marchandises de l'EURL Redo est laissé à la discrétion de la SAS Futura Finances ; que ces marchandises ne sont payables par l'EURL Redo à la SAS Futura Finances qu'à compter de leur vente au consommateur final et restent, antérieurement à ce paiement, la propriété de la SAS Futura Finances ; que les marchandises ainsi mises en dépôt-vente, dénommées " consignations ", font, lorsqu'elles sont effectivement vendues, l'objet d'une facturation par la SAS Futura Finances au moins une fois par mois ; que les marchandises qui ont été mises en dépôt-vente auprès de l'EURL Redo mais qui, bien qu'étant commercialisables, n'ont pas été vendues au terme d'une période contractuellement fixée sont retournées à la SAS Futura Finances et ne sont pas facturées par celle-ci ; qu'il est constant que les marchandises identifiées par l'EURL Redo comme cassées font l'objet d'une facturation mensuelle de la part de la SAS Futura Finances ; qu'enfin, les marchandises n'ayant été ni vendues, ni retournées, ni cassées, sont considérées comme étant constitutives de la " démarque inconnue " et sont à la charge de l'EURL Redo ; qu'en vertu du contrat précité, la SAS Futura Finances est en droit de facturer mensuellement, à titre d'acompte de la " démarque inconnue ", une somme correspondant à 2 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé par l'EURL Redo au cours du mois écoulé, des régularisations étant réalisées après inventaire ; que les sommes ainsi facturées sont comptabilisées en tant que charges par l'EURL Redo ;
2. Considérant que l'EURL Redo a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007 ; qu'à l'issue de cette vérification, l'administration a, par une proposition de rectification du 3 décembre 2009 remis en cause la déductibilité, au titre des exercices vérifiés, des charges résultant, d'une part, de l'achat des marchandises identifiées comme cassées mais n'apparaissant pas, dans les fichiers informatiques remis au vérificateur, comme ayant été consignés et, d'autre part, de l'achat des marchandises relevant de la " démarque inconnue " ; qu'elle a par ailleurs remis en cause la déductibilité, au titre de la période vérifiée, de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces achats et a, enfin, appliqué la majoration pour manquement délibéré ; que le litige a été soumis à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires d'Ille-et-Vilaine ; que celle-ci a, par un avis du 17 septembre 2010, estimé, d'une part, que l'EURL Redo ne justifiait pas que les charges correspondant aux marchandises cassées étaient supérieures à celles retenues par l'administration, et d'autre part, qu'il convenait de retenir un taux de " démarque inconnue " correspondant à 2 % du chiffre d'affaires hors taxes de l'EURL Redo ; que les suppléments d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de l'EURL Redo ont été établis conformément à l'avis de la commission ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande en décharge présentée par l'EURL Redo ; que celle-ci relève appel du jugement du tribunal administratif ;
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
Quant aux suppléments d'impôt sur les sociétés :
3. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) " ; qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; qu'en ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;
4. Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;
5. Considérant qu'au titre des exercices litigieux, l'EURL Redo a déduit en charges les dépenses engendrées par la " démarque inconnue " ainsi que celles correspondant à l'achat à la SAS Futura Finances des marchandises cassées dans son établissement ; qu'il n'est pas contesté que ces dépenses étaient appuyées par des factures établies par la SAS Futura Finances en vertu du contrat mentionné au point 1 ; que ni la régularité ni la réalité de ces factures n'a été mise en cause par l'administration ; que celle-ci doit être regardée comme ayant contesté la déductibilité d'une partie des dépenses supportées par l'EURL Redo conformément à ces factures au motif qu'elles étaient excessives eu égard à l'ampleur effective de la " démarque inconnue " et de la casse de marchandises, c'est-à-dire partiellement dépourvues de contrepartie ;
S'agissant des charges correspondant à la " démarque inconnue " :
6. Considérant que l'administration a admis, en définitive, la déductibilité des dépenses engendrées par la " démarque inconnue " à concurrence d'un montant correspondant à 2 % du chiffre d'affaires hors taxes de l'EURL Redo ; que, pour contester la déductibilité du surplus de ces dépenses, l'administration expose que des recoupements entre des fichiers informatiques relatifs aux ventes, aux achats et aux marchandises cassées ont notamment révélé l'importance des sommes facturées au titre de la " démarque inconnue " comparées au total des achats ainsi que le nombre élevé d'articles relevant, selon l'EURL Redo, de la " démarque inconnue " ; que l'administration souligne également que, pour un grand nombre de références, le nombre d'articles achetés, à quelque titre que ce soit, additionné au nombre d'articles regardés par l'EURL Redo comme " cassés " et donc impropres à la vente était, en raison de l'importance de la " démarque inconnue ", supérieur au nombre d'articles consignés ;
7. Considérant que l'EURL Redo fait valoir que la " démarque inconnue " est inhérente à son activité et ajoute que si certaines anomalies ont entaché les fichiers informatiques transmis à l'administration, elles sont liées à des erreurs de saisie informatique, inévitables compte tenu du nombre de marchandises stockées, et qui portent sur un nombre réduit d'articles ; qu'enfin, elle souligne qu'elle ne peut ni ne doit justifier de la cause des disparitions des marchandises qui, selon sa comptabilité, relèvent de la " démarque inconnue " ;
8. Considérant que l'EURL Redo a admis que les fichiers informatiques remis à l'administration étaient susceptibles de comporter des " anomalies " ; qu'aucun élément n'indique que ces anomalies étaient limitées à un nombre restreint de marchandises et n'avaient aucune incidence sur la détermination des charges supportées par l'EURL Redo au titre de la " démarque inconnue " ; qu'en outre, cette EURL n'invoque aucun élément de nature à justifier l'ampleur de la " démarque inconnue " ; que, par suite, les dépenses supportées par elle au titre de la " démarque inconnue " doivent être regardées comme dépourvues de contrepartie en tant qu'elles excèdent les montants admis, en définitive, par l'administration ;
S'agissant des charges résultant de l'achat de marchandises cassées :
9. Considérant qu'après avoir effectué les recoupements décrits au point 6, l'administration a constaté que, pour certaines références, des marchandises avaient été regardées par l'EURL Redo comme " cassées " en magasin alors qu'elles n'apparaissaient pas comme étant consignées ; que cette incohérence n'ayant été expliquée ni lors du contrôle ni par les observations du contribuable sur la proposition de rectification, l'administration a remis en cause la déductibilité des sommes facturées par la SAS Futura Finances au titre de la " casse " de ces marchandises ;
10. Considérant que l'EURL Redo soutient que l'administration ne pouvait pas admettre l'existence des ventes de marchandises apparaissant dans son système de gestion informatique comme non consignées tout en remettant en cause les charges correspondant à l'achat de marchandises cassées qui apparaissaient dans ce même système de gestion comme non consignées ; qu'elle ajoute que le fait que des marchandises effectivement livrées apparaissent comme non consignées résulte d'erreurs de saisie ; qu'elle précise enfin que les factures de la SAS Futura Finances relatives à des marchandises " cassées " sont appuyées par des bordereaux de casse et que l'ampleur des détériorations de marchandises n'est pas incohérente compte tenu du mode de fonctionnement de l'entreprise ;
11. Considérant, toutefois, que l'EURL Redo, qui admet elle-même que les données figurant dans son système informatique de gestion comportent des erreurs, ne fournit aucune explication de nature à justifier, autrement que par la présence de ces erreurs, les incohérences substantielles relevées par l'administration ; que, par suite, les achats de marchandises " cassées " mais non consignées ne peuvent être regardés déductibles en charges ;
Quant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
12. Considérant que l'administration a, sur le fondement de l'article 271 du code général des impôts et de l'article 221 de l'annexe II à ce code, alors applicable, remis partiellement en cause la déductibilité, au titre de la période vérifiée, de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé, d'une part, les marchandises cassées et, d'autre part, les marchandises constituant la " démarque inconnue " ; que l'EURL Redo ne soulève aucun moyen spécifique à l'appui des conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe résultant de cette remise en cause partielle, lesquelles ne peuvent qu'être rejetées ;
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
13. Considérant que l'EURL Redo invoque, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs dont il résulterait que les charges exposées au titre de la " démarque inconnue " seraient déductibles en charges pourvu que les enregistrements de recettes et la " comptabilité marchandise " soient fiables et que soient mises en oeuvre des mesures de lutte contre la " démarque inconnue " ; que, toutefois, ce moyen n'est pas assorti des précisions nécessaires pour que la cour en apprécie le bien-fondé ;
Sur les pénalités :
14. Considérant que l'EURL Redo, qui disposait, ainsi qu'elle le souligne, d'outils informatiques lui permettant de contrôler les flux de marchandises, ne pouvait ignorer qu'une partie des sommes facturées par la SAS Futura Finances durant la période vérifiée pour les marchandises détériorées en magasin et la " démarque inconnue " était dépourvue de contrepartie et ne correspondait à aucune opération réelle ; qu'en faisant état de cette seule circonstance, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention de l'EURL Redo d'éluder l'impôt ; que, par suite, c'est à bon droit qu'elle a appliqué aux suppléments d'impôt sur les sociétés et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant des redressements litigieux la pénalité de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts en cas de manquement délibéré ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Redo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;
Sur la demande de remboursement des frais de constitution de garanties :
16. Considérant que le remboursement des frais qu'un contribuable a exposés pour constituer des garanties doit, en vertu des dispositions de l'article R. 208-3 du livre des procédures fiscales, être demandé à l'administration dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de dégrèvement qui le justifie ; qu'il n'existe, en l'espèce, aucun litige né et actuel entre le comptable et l'EURL Redo concernant un tel remboursement ; que, dès lors, ces conclusions ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EURL Redo demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EURL Redo est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Redo et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 4 février 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- M. Jouno, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 février 2016.
Le rapporteur,
T. JounoLe président,
F. Bataille
Le greffier,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15NT00174