Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 novembre 2019 et 24 septembre 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le moyen tiré de ce qu'il n'établit pas le caractère frauduleux des actes d'état civil produits par M. A... ;
- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes ne sont pas fondés ; il s'en rapporte, s'agissant de ces moyens, à ses écritures de première instance.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 juillet et 8 juillet 2020, M. A..., représenté par Me E... D..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, au non-lieu à statuer sur la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 août 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel du jugement du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé son arrêté du 28 février 2019 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination et lui a enjoint de délivrer à M. A..., ressortissant guinéen, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Pour se conformer à l'injonction qui lui avait été faite par les premiers juges, le préfet de la Loire-Atlantique a délivré à M. A... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " valable du 23 décembre 2019 au 22 décembre 2020. Par suite, contrairement à ce que soutient M. A..., cette circonstance ne rend pas sans objet le présent litige.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
3. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ". L'article R. 311-2-2 de ce même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". L'article L. 111-6 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil précise que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. Pour justifier de son identité, M. A... a produit, à l'appui de sa demande de titre de séjour, un jugement supplétif ainsi que sa transcription dans les registres d'état civil. Le préfet de la Loire-Atlantique a cependant contesté la valeur probante de ces documents en se fondant sur des éléments d'analyse qui lui ont été communiqués par la section consulaire de l'ambassade de France en Guinée. Le préfet a ainsi relevé le fait que ces documents ne comportaient pas les dates et lieux de naissance des parents de l'intéressé, en violation de l'article 175 du code civil guinéen, que le jugement supplétif a été rendu le jour même de l'introduction de la requête, excluant toute possibilité d'enquête réelle sur les déclarations du requérant, qu'il a été a été rendu au vu d'une requête présentée par un tiers ne disposant pas de l'autorité parentale en violation des articles 168 et 170 du code civil guinéen, que ce jugement mentionne qu'il devra être transcrit sur le registre de l'année de naissance de l'enfant, et non sur celui de l'année en cours, en méconnaissance de l'article 180 du code civil guinéen et que le juriste du ministère des affaires étrangères guinéen ayant procédé à la légalisation du jugement supplétif et de l'extrait du registre d'état civil n'avait aucune compétence pour ce faire. De plus, le préfet produit un courriel d'un agent de la section consulaire de l'ambassade de France en Guinée qui confirme le fait que les actes produits par l'intéressé sont apocryphes. Enfin, le préfet produit un rapport de mission en Guinée de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile qui mentionne le fait qu'il est possible d'obtenir facilement un jugement supplétif mentionnant n'importe quelle date de naissance, et ce pour moins d'un euro. Dans ces conditions, le préfet de la Loire-Atlantique a pu légalement se fonder sur l'existence de manoeuvres frauduleuses en vue d'obtenir un droit au séjour pour refuser de délivrer à M. A... un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 28 février 2019 en se fondant sur le moyen mentionné ci-dessus.
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes et la cour.
Sur les autres moyens invoqués par M. A... :
8. En premier lieu, à la date de l'arrêté contesté, M. A... était présent en France depuis seulement deux ans. Il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Si M. A... fait valoir qu'il a manifesté de réels efforts d'intégration, et notamment dans son parcours scolaire et professionnel, et qu'il a tissé en France des liens amicaux, l'arrêté ne porte pas pour autant une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Loire-Atlantique a méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les circonstances mises en avant par M. A... ne sauraient davantage établir une méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pas plus qu'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision de refus de titre de séjour sur sa situation personnelle.
9. En second lieu, la décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les 1er et 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 28 février 2019 et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du 22 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes sont annulés.
Article 2 : Les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes et celles présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... A... et à Me E... D....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. B..., premier conseiller,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2020.
Le rapporteur,
H. B...Le président,
J.-E. GeffrayLe rapporteur,
H. B...Le président,
F. BatailleLe greffier,
R. Mageau
Le greffier,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 19NT04412