Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mai 2016, M.C..., représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 janvier 2016 ;
2°) d'annuler les décisions du 12 août 2015 par lesquelles le préfet de la Mayenne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Mayenne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 11 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'incompétence de l'auteur de l'acte et d'erreur manifeste d'appréciation ; elle méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'incompétence de l'auteur de l'acte ; elle est fondée sur une décision illégale de refus de titre de séjour ;
- la décision fixant le pays de destination est entachée d'incompétence de l'auteur de l'acte ; elle viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2016, le préfet de la Mayenne conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 janvier 2016 en tant qu'il a annulé la décision du 12 août 2015 portant interdiction de retour sur le territoire français.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés et qu'il a formé une requête distincte pour demander l'annulation de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 janvier 2016.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 avril 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, modifiée ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Chollet.
1. Considérant que M.C..., ressortissant bosniaque né le 24 octobre 1973 à Bijeljina (Bosnie-Herzégovine), est entré en France le 3 août 2012, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants, après avoir vécu en République Fédérale d'Allemagne de 1993 à 1998 ; que sa demande de reconnaissance du statut de réfugié a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 novembre 2012, confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile le 14 mai 2013 ; que le requérant s'est maintenu sur le territoire français en dépit d'un arrêté du 21 décembre 2012 par lequel le préfet de la Mayenne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Nantes par jugement du 23 juillet 2013 ; qu'il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons médicales le 19 juin 2013 ; que, par des décisions du 12 septembre 2013, le préfet de la Mayenne lui a refusé la délivrance d'un tel titre, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné, décisions confirmées par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 février 2014 et un arrêt de la cour du 7 avril 2015 ; que le requérant a sollicité son admission exceptionnelle au séjour le 9 décembre 2013 en se prévalant d'un emploi ; que, par des décisions du 26 mai 2014, le préfet de la Mayenne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français, décisions confirmées par un jugement du 16 octobre 2014 et une ordonnance de la cour du 12 janvier 2015 ; que le requérant a, à nouveau, sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé le 2 décembre 2014 ; qu'il relève appel du jugement du 26 janvier 2016 en tant que le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 12 août 2015 par lesquelles le préfet de la Mayenne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné ;
Sur les moyens communs aux différentes décisions :
2. Considérant que M. C...reprend en appel le moyen qu'il avait invoqué en première instance, tiré de l'incompétence du signataire des décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné ; qu'il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption du motif retenu à bon droit par le tribunal administratif de Nantes ;
Sur la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé (...) " ;
4. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ;
5. Considérant que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d' un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu'en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. C...présente un état anxio-dépressif en lien avec un stress post-traumatique et suit un traitement médicamenteux dont la teneur n'est pas précisée ;
7. Considérant que, par un avis du 18 juin 2015, le médecin de l'agence régionale de santé des Pays de la Loire a estimé que l'état de santé de M. C...nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il n'existe pas de traitement approprié dans son pays d'origine ; que le préfet de la Mayenne, qui n'était pas lié par cet avis, a toutefois refusé de délivrer à M. C...le titre de séjour qu'il demandait au motif que le traitement adapté à l'état de santé de l'intéressé existe en Bosnie-Herzégovine ;
8. Considérant, d'une part, que le préfet a produit devant les premiers juges une " fiche pays " établie en janvier 2010 par l'association " Caritas-International " ainsi qu'un extrait du site Internet de la mairie de Sarajevo traduit pour partie en langue française, dont il résulte que les maladies psychiatriques peuvent être soignées en Bosnie-Herzégovine et que des services de soins sont implantés notamment à Tuzla et à Sarajevo ; que, par ailleurs, le rapport de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés concernant les possibilités de traitements pour les personnes gravement traumatisées en Bosnie-Herzégovine, confirme l'existence, dès 2004, de structures sanitaires qualifiées dans ces deux villes pour soigner les personnes en état de stress post-traumatique, tant par traitement médicamenteux que par psychothérapie ; que si le requérant fait valoir que ces informations mettent également en évidence les faiblesses du système de santé dans cet Etat et notamment les délais de prise en charge et les difficultés d'accès aux soins, il n'établit pas pour autant l'indisponibilité des soins et médicaments spécialement adaptés au traitement du stress post traumatique dont il souffre ; que l'intéressé ne produit aucun élément permettant de remettre sérieusement en cause les éléments de preuve ainsi apportés et d'établir l'absence d'un tel suivi en Bosnie-Herzégovine ; que, d'autre part, les instances compétentes en matière d'asile ont estimé que les faits allégués de persécutions n'étaient pas établis ; que, dans ces conditions, le syndrome dépressif que présente le requérant ne peut être regardé, ainsi qu'il le soutient, comme trouvant sa cause dans ces événements ; que, par suite, M. C...n'est pas fondé à soutenir que l'origine de sa pathologie l'empêche de bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Bosnie-Herzégovine ; que, dans ces conditions, en rejetant la demande de titre de séjour sollicitée par M.C..., et alors que l'intéressé ne justifie pas de circonstances humanitaires exceptionnelles, le préfet de la Mayenne n'a pas méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que M. C...est entré en France en août 2012 avec son épouse et ses trois enfants, nés les 1er août 1997, 3 novembre 2000 et 10 mai 2002, qui sont scolarisés et ont de bons résultats scolaires, qu'il suit des cours de français auprès du secours catholique et de la maison de quartier du Bourny et s'est engagé comme bénévole auprès de la Croix Rouge ; que, toutefois, malgré ces éléments qui témoignent d'une volonté certaine d'intégration dans la société française, il ressort également des pièces du dossier que son épouse fait également l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français confirmée par un arrêt de la cour de ce jour ; que, par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 8, le requérant ne justifie pas de l'impossibilité de bénéficier d'un traitement de soins adaptés dans son pays d'origine ; qu'il ne fait état d'aucun obstacle à ce que s'y reconstitue la cellule familiale ; que, dans ces conditions, la décision contestée n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté ; que, pour les mêmes motifs, la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
10. Considérant que l'illégalité de la décision portant refus de délivrance de titre de séjour n'étant pas établie, le moyen tiré, par la voie de l'exception d'illégalité, de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale, doit être écarté ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
11. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;
12. Considérant que le requérant soutient qu'il craint des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'il précise qu'il a fui la Bosnie-Herzégovine compte tenu de l'hostilité et des provocations de ses voisins serbes qui n'acceptaient pas son adhésion au parti de l'Union populaire démocratique (DNZ), qu'il a été agressé en 2000, que la mosquée où il travaillait a été attaquée en octobre 2005 et que son épouse a subi une tentative de viol de la part de son employeur le 16 août 2011 ; que, toutefois, il n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations ; qu'au surplus, sa demande tendant à obtenir le statut de réfugié a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle doivent être écartés ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être écartés ;
Sur les conclusions d'appel incident présentées par le préfet de la Mayenne :
14. Considérant que le préfet de la Mayenne soutient qu'il a fait appel de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 janvier 2016 en tant qu'il a annulé la décision du 12 août 2015 portant interdiction de retour sur le territoire français ; que, toutefois, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que tel soit le cas ; qu'il ne fait état d'aucun moyen à l'appui de ses conclusions d'annulation dans son mémoire en défense ; que, par suite, le préfet de la Mayenne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a fait droit aux conclusions présentées par M. C...tendant à l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ; que les conclusions d'appel incident du préfet ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.
Article 2 : L'appel incident présenté par le préfet de la Mayenne est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Mayenne.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- Mme Aubert, président-assesseur,
- Mme Chollet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 décembre 2016.
Le rapporteur,
L. CholletLe président,
F. Bataille
Le greffier,
E. Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°16NT01538