Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 juillet 2016, le 20 septembre 2016 et le 12 avril 2018, l'association Manche nature, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 mai 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 août 2014 de la préfète de la Manche ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal s'est fondé sur un mémoire en défense de la communauté de communes de la côte des Isles, qui ne lui a pas été communiqué ;
- l'étude d'impact comporte de nombreuses insuffisances et inexactitudes ; cette étude ne pouvait se fonder sur les impacts limités de la cale provisoire existante, alors que le projet de cale litigieux est un ouvrage lourd, très différent de la cale provisoire ; l'étude d'impact n'analyse pas les incidences des enrochements et autres ouvrages longitudinaux et ignore ces effets, donnant ainsi au public une information incomplète sur la question essentielle de l'érosion et des risques de submersion marine, et induisant en erreur l'administration ; l'étude traite du transit sédimentaire parallèle mais omet le transit sédimentaire perpendiculaire ; l'érosion transversale est ignorée, de même que l'érosion latérale ; l'étude sous-estime l'impact sur l'hydrodynamisme ; l'étude d'impact néglige le fait que les enrochements et autres ouvrages longitudinaux favorisent le renforcement de l'agitation de la mer et non l'absorption ; l'étude procède à une interprétation erronée de l'évolution du trait de côte, alors que la commune de Portbail a été intégrée dans le plan de prévention des risques littoraux (PPRL) et que les rechargements en sable sont massifs et fréquents ; contrairement à ce qu'estime l'étude, un lien est établi entre les ouvrages longitudinaux existants et l'érosion latérale et transversale du littoral de Portbail ;
- en outre, aucune analyse n'a été faite dans l'étude d'impact sur l'état initial relatif à la faune, hormis l'avifaune (oiseaux) ;
- le projet contesté se situe sur un massif dunaire et un estran sableux, comportant 4 habitats dunaires d'intérêt communautaire ; la présence du gravelot à collier interrompu, espèce d'intérêt communautaire, y a été constatée, ainsi, pour la flore, que l'élyme des sables, espèce protégée ; dès lors, le secteur en litige constitue un espace remarquable, au sein duquel une cale d'accès à la plage, qui n'est pas un aménagement léger, ne peut être autorisée, en application des articles L. 121-21 et R. 121-5 du code de l'urbanisme(anciens articles L. 146-6 et R. 146-2 du même code) ;
- en l'absence de déclaration d'utilité publique, l'arrêté préfectoral contesté méconnaît l'article L.2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques .
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2018, la communauté d'agglomération du Cotentin, représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'association Manche nature une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle s'est substituée à compter du 1er janvier 2017, à la communauté de communes de la Côte des Isles ;
- les moyens soulevés par l'association Manche nature ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 avril 2018, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement est irrecevable ;
- les autres moyens soulevés par l'association Manche nature ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degommier,
- et les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'association Manche nature interjette appel du jugement du 18 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 août 2014 par lequel la préfète de la Manche a approuvé la convention de concession d'utilisation du domaine public maritime, pour la construction d'une cale d'accès au rivage et d'un ouvrage de défense contre la mer y attenant au bénéfice de la communauté de communes de la Côte des Isles.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il ressort des pièces du dossier que le deuxième mémoire en défense de la communauté de communes de la côte des Isles, enregistré au greffe du tribunal le 13 janvier 2016, ne comportait pas d'élément nouveau et se bornait à reprendre des observations déjà faites dans son précédent mémoire, notamment en ce qui concerne le risque d'érosion marine, et à illustrer ses propos par des figures déjà présentes dans l'étude d'impact précédemment communiquée. Par suite, en s'abstenant de communiquer ce mémoire à l'association requérante, le tribunal n'a pas violé les dispositions précitées.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et par suite d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.
4. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact que l'association Manche nature réitère en appel sans apporter, pour l'essentiel, de précisions nouvelles. Il y a lieu de préciser, en outre, que l'étude d'impact ne s'est pas bornée à se fonder sur les impacts de la cale provisoire existante, mais a précisément décrit, en p. 49, la consistance de l'ouvrage litigieux, une cale d'accès au rivage et un ouvrage de défense contre la mer y attenant, ainsi que l'ouvrage provisoire existant en p. 41. L'étude d'impact a simplement observé en p. 63 et 64, qu'aucune modification de la morphologie et de la topographie de la plage et de la dune n'a été observée après la construction de la cale provisoire, à titre d'argument supplémentaire en faveur de la construction de l'ouvrage litigieux. L'étude d'impact n'est pas entachée d'inexactitude sur ce point. En outre, elle n'omet pas le fait que le trait de côte reste stable du fait de l'artificialisation de la zone et des rechargements réguliers, lesquels sont rappelés dans la figure 12 jointe à l'étude. Si l'association se prévaut des conclusions d'un rapport du ministère en charge de l'environnement sur " la défense des côtes contre l'érosion marine ", selon lequel les ouvrages longitudinaux de haut de plage construits entre la plage et les aménagements situés immédiatement en arrière sont souvent le dernier rempart à l'invasion de la mer, mais n'assurent pas la protection des zones voisines à l'amont et à l'aval, ces conclusions à caractère général n'établissent pas le caractère inexact de l'étude d'impact en ce qui concerne le secteur d'implantation de la cale litigieuse, sur le territoire de la commune de Port-Bail au nord de l'embouchure du havre, entre la rue Joly et la rue Roze.
5. Par ailleurs, s'il est constant qu'aucune analyse n'a été faite, dans l'étude d'impact, quant à l'état initial de la faune autre que l'avifaune, laquelle a fait l'objet d'une étude détaillée à la hauteur des enjeux, l'association se borne à indiquer la présence, sur le site, de diptères, de coléoptères, d'hyménoptères, mais aussi de quelques papillons, punaises, orthoptères, crustacés et araignées. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'étude d'impact aurait négligé, dans la faune autre que les oiseaux, la présence d'espèces caractéristiques présentant un intérêt écologique à préserver, alors que le milieu dunaire existant sur le site est déjà dégradé et artificialisé du fait de la présence de la cale provisoire, d'un chemin de randonnée et du centre nautique.
6. Dans ces conditions, l'association Manche Nature n'est pas fondée à soutenir que l'étude d'impact serait entachée d'inexactitudes ayant nui à l'information du public et aurait exercé une influence sur la décision de l'autorité préfectorale.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme, alors applicable : " les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l'occupation et à l'utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Un décret fixe la liste des espaces et milieux à préserver, comportant notamment, en fonction de l'intérêt écologique qu'ils présentent, les dunes et les landes côtières, les plages et lidos, les forêts et zones boisées côtières, les îlots inhabités, les parties naturelles des estuaires, des rias ou abers et des caps, les marais, les vasières, les zones humides et milieux temporairement immergés ainsi que les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages et, dans les départements d'outre-mer, les récifs coralliens, les lagons et les mangroves ". Et selon l'article R. 146-1 du même code, alors applicable : " (...) sont préservés, dès lors qu'ils constituent un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral, sont nécessaires au maintien des équilibres biologiques ou présentent un intérêt écologique : a) Les dunes, les landes côtières, les plages et les lidos, les estrans, les falaises et les abords de celles-ci (...) f) Les milieux abritant des concentrations naturelles d'espèces animales ou végétales (...) ; les espaces délimités pour conserver les espèces en application de l'article 4 de la loi n° 76-629 du JO juillet 1976 et les zones de repos, de nidification et de gagnage de l'avifaune désignée par la directive européenne n° 79-409 du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. ".
8. Ces dispositions permettent à l'autorité compétente de rejeter la demande relative à l'occupation ou à l'utilisation des sols, lorsque le projet est de nature, par sa situation, à porter atteinte à un site ou un paysage remarquable ou caractéristique du patrimoine naturel et culturel du littoral.
9. Il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux consiste en la création d'une cale d'accès à l'estran et en un enrochement orienté longitudinalement à la plage, dans la zone du havre de Port-Bail, entre la rue Joly et la rue Roze, dans un secteur constitué d'un massif dunaire et d'un estran sableux. Il résulte notamment des constatations non sérieusement contestées de l'étude d'impact et des plans produits, que le site appartient à la frange urbaine et résidentielle de la zone du Domaine des Pins entre la ville et la mer et comporte, à proximité, un pôle nautique et de loisirs, une zone résidentielle relativement importante, des équipements touristiques tels qu'un camping et un village de vacances " VVF ". Le secteur se trouve en dehors de tout site inscrit ou classé et n'est pas inclus dans une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 ou 2, les plus proches étant distantes de 300 m à 1,4 km ; le secteur est en outre en-dehors de tout site Natura 2000, la zone Natura 2000 "Littoral ouest du Cotentin de Saint-Germain-sur-Ay au Rozel ", la plus proche, étant située à 0, 7 km. Si le secteur comporte des habitats de laisses de mer ou de dunes, ces habitats sont déjà altérés par l'activité humaine avec la présence d'une cale temporaire et d'un enrochement. Si l'étude d'impact relève que la zone est connue pour être une zone de nidification et de reposoir de limicoles, seul le gravelot à collier interrompu, parmi les espèces inscrites dans l'annexe 1 de la directive 2009/147/CE, a pu être observé en haut de plage lors des prospections du site en mai et juin 2013, mais en dehors de la zone d'implantation du projet. S'agissant de la flore, en dépit de la présence de l'élyme des sables, l'étude d'impact indique que l'intérêt floristique est moindre car la zone est impactée par les activités humaines. Ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la zone d'implantation de la cale n'apparaît pas nécessaire au maintien des équilibres biologiques, ni présenter un intérêt écologique suffisant. Dans ces conditions, ce secteur ne présente pas le caractère d'un espace remarquable au sens des dispositions des articles L. 146-6 et R. 146-1 du code de 1'urbanisme et la préfète de la Manche n'a pas méconnu ces dispositions en approuvant la convention de concession d'utilisation du domaine public maritime.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 321-6 du code de l'environnement dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté: " La préservation de l'état naturel du rivage est régie par les dispositions de l'article L. 2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques " ; aux termes de l'article L. 2124-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " En dehors des zones portuaires et industrialo-portuaires, et sous réserve de l'exécution des opérations de défense contre la mer et de la réalisation des ouvrages et installations nécessaires à la sécurité maritime, à la défense nationale, à la pêche maritime, à la saliculture et aux cultures marines, il ne peut être porté atteinte à l'état naturel du rivage de la mer, notamment par endiguement, assèchement, enrochement ou remblaiement, sauf pour des ouvrages ou installations liés à l'exercice d'un service public ou l'exécution d'un travail public dont la localisation au bord de mer s'impose pour des raisons topographiques ou techniques impératives et qui ont donné lieu à une déclaration d'utilité publique. ".
11. Il ressort des pièces du dossier, notamment des figures annexées à l'étude d'impact, que la cale litigieuse est destinée à remplacer une cale provisoire existante, sur une portion du rivage située dans la zone du havre de Port-Bail, entre la rue Joly et la rue Roze, alors que ce rivage comporte déjà, outre une cale provisoire, des enrochements. Ainsi ce projet ne peut être regardé comme portant atteinte à l'état naturel du rivage de la mer. Il contribue en outre, du fait des enrochements prévus, à la défense contre la mer. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le projet nécessitait une déclaration d'utilité publique doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que l'association Manche nature n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'association Manche nature demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'association requérante la somme que la communauté d'agglomération du Cotentin demande au titre des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'association Manche nature est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la communauté d'agglomération du Cotentin présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Manche nature, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, à la commune de Cherbourg-en-Cotentin, à la communauté d'agglomération du Cotentin.
Une copie sera en outre adressée à la préfète de la Manche.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er juin 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
A. PEREZ Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT02336