Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2020, M. F... G..., agissant en son nom propre et pour le compte des enfants mineurs Q... F... G..., Evangeline N... K... et Colombe N... T..., Mme I... E..., M. M... G..., Mme O... S... N... et Mme B... P... G..., représentés par Me Poulard, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juillet 2019 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, lui enjoindre de procéder, dans le même délai, au réexamen de leur situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Poulard d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas motivé sa décision ;
- leurs liens familiaux sont établis tant par les documents d'état civil que par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. F... G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 décembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et les administrations ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. F... G..., ressortissant centrafricain entré en France le 2 août 2014, a obtenu, le 24 septembre 2015, le bénéfice de la protection subsidiaire. Dans le cadre de la procédure de réunification familiale, des demandes de visa de long séjour ont été présentées, d'une part, pour Mme E... qu'il présente comme son épouse et les enfants M... C... né le 8 avril 1998, Brenda Yolande S... N... née le 27 juin 2000 et Junior Régis Edouard G... né le 31 juillet 2006, qu'il présente comme trois de leurs enfants, d'autre part, pour l'enfant B... P... G..., née le 10 octobre 2000, qu'il présente comme la fille issue de sa relation avec Mme A... et, enfin, pour les enfants L... N... K... et Colombe N... K..., nées le 28 janvier 2004, qu'il présente comme les filles qu'il a eues avec Mme K.... Le recours formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contre les refus de visa opposés à ces demandes, le 13 février 2018, par les autorités consulaires françaises en poste en République centrafricaine a été implicitement rejeté. Les requérants relèvent appel du jugement du 23 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision implicite de rejet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille (...) d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
En ce qui concerne Mme I... D... :
5. Il est constant que le mariage civil de M. F... G... et Mme E..., qui a été authentifié par un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, a été contracté le 30 mai 2015, soit postérieurement à l'introduction de la demande d'asile de M. G.... Par suite, Mme E..., qui n'entre pas dans le champ d'application des dispositions du 1° du I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne saurait utilement en invoquer la méconnaissance. Au surplus, si les requérants soutiennent qu'ils se sont connus dans les années 1990, ont eu leur premier enfant en 1998 et avaient célébré leur mariage en la forme coutumière, ils n'apportent aucun élément de nature à établir l'existence, à la date de la demande d'asile, d'une vie commune suffisamment stable et continue alors que, par ailleurs, M. G... a eu en 2000 et 2004 trois enfants issus de relations avec deux autres femmes. Ainsi, en maintenant le refus de visa opposé à Mme E..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.
En ce qui concerne les enfants O... S... N... et Junior Regis Edouard G... :
6. A l'appui des demandes de visa formées pour Brenda Rolande S... N... et Junior Régis Edouard G..., ont été présentés pour chacun un duplicata d'acte de naissance délivré le 16 février 2016. Ces documents font état d'une déclaration de naissance reçue le 30 juin 2000 s'agissant de Brenda Rolande R... N... et d'une déclaration de naissance reçue le 4 août 2006 s'agissant de Junior Régis Edouard G... tandis que Mme E... a attesté sur l'honneur que ces enfants avaient été reconnus le 30 mai 2015. Les requérants n'expliquent pas cette discordance. En outre, alors que le ministre de l'intérieur relève que le code de la famille ne prévoit la délivrance que de " copies " et d'" extraits " d'actes et non de duplicatas et que les duplicatas considérés, bien que délivrés le même jour par le même officier d'état-civil, portent sur des naissances déclarées dans deux arrondissements différents, les requérants n'apportent aucune explication permettant de les regarder comme réguliers. En l'absence de toute explication circonstanciée et étayée, ces éléments privent les duplicatas produits de valeur probante. Par ailleurs, ni les photographies produites ni les quatre mandats de transfert d'argent ne permettent de tenir pour établis, par possession d'état, les liens de filiation revendiqués entre M. F... G... et les enfants O... R... N... et Junior Régis Edouard G....
En ce qui concerne l'enfant M... C... :
7. Il ressort des pièces du dossier que si, pour justifier de l'identité et du lien de filiation entre M. G... et l'enfant M... C..., les intéressés ont produit un duplicata d'acte de naissance délivré le 23 février 2016, suscitant des interrogations de même nature que celles évoquées au point précédent, auxquelles les requérants ne répondent pas, il est également versé aux débats un acte de naissance n° 998 00 08 11 0580 dressé le 6 mai 1998 et enregistrant la déclaration, reçue le 8 avril 1998, de la naissance, le 5 avril 1998, de l'enfant M... C... dont le père est Edouard C... et la mère Yolande E.... L'identité et le lien de filiation dont se prévalent les requérants est ainsi établi.
En ce qui concerne l'enfant B... P... G... :
8. Il ressort de l'acte de naissance n° 2000 00 03 24 1226 dressé le 11 octobre 2000 par l'officier d'état civil du troisième arrondissement de la ville de Bangui que le 10 octobre 2000 l'enfant B... P... G... est née de l'union de Marie-Antoinette A... et Edouard G.... La circonstance que la personne alors investie de fonctions d'officier d'état civil soit la même que celle qui a reçu quelques mois plus tôt en qualité d'officier d'état civil du sixième arrondissement de la ville de Bangui la déclaration de naissance de Brenda Rolande ne permet pas, faute de précisions sur, notamment, l'organisation du service de l'état civil dans la ville de Bangui et des différentes affectations géographiques de cette personne chargée de l'état civil, de regarder l'acte de naissance d'Angela P... G... comme apocryphe. L'existence de cette dernière n'a, il est vrai, été déclarée à l'administration par M. G... qu'au stade de la demande de réunification familiale. Toutefois, à elle seule, cette circonstance ne démontre pas que les faits déclarés dans l'acte mentionné ci-dessus ne correspondent pas à la réalité.
En ce qui concerne les enfants L... N... K... et Colombe N... K... :
9. Les requérants produisent un acte de naissance n° 47 et un acte de naissance n° 48, enregistrant les déclarations, reçues le 2 avril 2004, des naissances d'Evangeline N... K... et Colombe N... K..., survenues le 28 janvier 2004. Ces actes de naissance indiquent que ces deux enfants ont pour mère Prisca K... et pour père Edouard G.... Si ces documents ne sont pas signés du déclarant et les déclarations ont été enregistrées plus d'un mois après la naissance, en méconnaissance de l'article 134 du code de la famille centrafricain, ces irrégularités ne suffisent pas à priver les actes considérés de valeur probante. Les erreurs entachant les déclarations de M. G..., lequel a eu des enfants avec trois femmes différentes, quant à la composition de sa cellule familiale ne permet pas davantage, en l'espèce, de mettre en cause l'identité de ces deux enfants et leur lien de filiation avec M. F... G....
10. Pour le surplus, les requérants réitèrent en appel les moyens soulevés en première instance et tirés du défaut de motivation de la décision contestée et de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu de les écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle maintient les refus de visa opposés aux enfants M... C..., Angela P... G..., Colombe N... K... et Evangeline N... K....
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. Eu égard, d'une part, aux motifs d'annulation sur lesquels le présent arrêt est fondé et, d'autre part, au jugement de délégation parentale rendu par le tribunal de grande instance de Bangui concernant Colombe N... K... et Evangeline N... K..., que le ministre de l'intérieur ne conteste pas sérieusement, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance à ces dernières d'un visa de long séjour. Il implique également la délivrance d'un tel visa à M. M... G... et Mme B... P... G..., désormais majeurs. Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
13. M. F... G... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E:
Article 1er : La décision implicite visée ci-dessus de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle concerne Ange Christel G..., Angela P... G..., Colombe N... K... et Evangeline N... K....
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt, à la délivrance de visas de long séjour à M. M... G... et Mme B... P... G... ainsi qu'aux jeunes Colombe N... K... et Evangeline N... K....
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juillet 2019 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G..., Mme I... E..., M. M... G..., Mme O... S... N..., Mme B... P... G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, président assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
K. Bougrine
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 20NT00209