2°) d'annuler les décisions des autorités consulaires de l'ambassade de France en Ukraine notifiées le 4 mars 2019 ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 31 000 euros en réparation, d'une part, du préjudice résultant du comportement discriminatoire à leur égard de l'ambassade de France en Ukraine, de la discrimination subie au téléphone, de la perte du logement attribué à leur famille à Saint-Malo et de la possibilité pour M. B... de suivre une formation professionnelle rémunérée en France, d'autre part, du préjudice moral subi, enfin, du préjudice résultant de l'impossibilité pour M. B... de retourner en France pour se faire soigner sans abandonner sa famille
Par un jugement n° 1908062 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 février 2020, 8 juin 2020 et 2 septembre 2020, M. H... B... et Mme I... K..., épouse B..., représentés par Me Guranna, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 décembre 2019 ;
2°) d'annuler les décisions du 4 mars 2019 des autorités consulaires de l'ambassade de France en Ukraine ;
3°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
4°) d'enjoindre à l'Etat de délivrer à Mlle C... D..., à Mlle F... D... et à Mlle L... D..., les visa de long séjour sollicités ;
5°) de condamner l''Etat à leur verser la somme totale de 46 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité des décisions contestées ;
Ils soutiennent que :
le jugement attaqué est irrégulier pour avoir omis de statuer sur le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
la décision contestée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les ressources dont M. B... dispose en Ukraine et les revenus qu'il a tirés de son activité professionnelle en France avant qu'il ne réside en Ukraine ainsi que ses économies lui permettent de prendre en charge les trois enfants de son épouse, alors que ses parents sont, de plus, disposés à l'accueillir ainsi que sa famille ;
les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ont été méconnues dès lors que Mme B... avait obtenu pour sa part un visa de long séjour pour venir en France alors que, de plus, la jeune F... souffre d'une grave pathologie qui ne peut être prise en charge dans son pays d'origine et que M. B..., qui souffre d'hypertension lui causant des maux de tête pour lesquels il a besoin d'être hospitalisé, dispose du centre de ses intérêts en France où il a vécu près de quarante ans ;
l'administration a méconnu les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'ils ont subi plusieurs discriminations lors de la procédure d'instruction de leurs demandes de visa ;
la décision de refus de visa concernant la jeune F... est entachée d'une erreur d'appréciation compte tenu de ses problèmes de santé pour lesquels elle a dû être hospitalisée en réanimation ;
l'illégalité des décisions de refus de visa engage la responsabilité de l'Etat. Dès lors, ils sont fondés à demander la condamnation de l'administration à leur verser, d'une part, les sommes respectives de 5 000 euros, 1 000 euros et 10 000 euros en réparation du préjudice résultant du comportement discriminatoire à leur égard de l'ambassade de France en Ukraine, de la discrimination subie au téléphone, de la perte du logement attribué à leur famille à Saint-Malo et de la possibilité pour M. B... de suivre une formation professionnelle rémunérée en France, d'autre part, trois sommes de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi, de celui résultant de l'impossibilité pour M. B... de retourner en France pour se faire soigner sans abandonner sa famille et de ses troubles d'anxiété.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 août 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyen de la requête n'est fondé en s'en remettant principalement à ses observations produites en première instance.
Par un mémoire, enregistré le 3 septembre 2020, le Défenseur des droits a présenté des observations en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
Par un
e lettre du 3 septembre 2020, les parties ont été informées, en application de l'article R. 6117 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi dès lors que la décision contestée ne pouvait se fonder, en application combinée des dispositions du 2°de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par renvoi de l'article L. 212-2 du même code, sur la circonstance que M. et Mme B... ne justifiaient pas de ressources suffisantes pour assurer le financement du séjour en France des trois filles de Mme B....
Un mémoire en réponse au moyen relevé d'office a été enregistré le 9 septembre 2020 pour le ministre de l'intérieur.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. L'hirondel,
et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité française, a quitté la France en 2016 pour s'installer en Ukraine. Le 20 septembre 2016, il y a épousé Mme I... K..., de nationalité ukrainienne, qui avait trois enfants, C..., L... et F... D..., issus d'un précédent mariage, nées respectivement les 1er mars 2005, 8 octobre 2008 et 30 juin 2011 et également de nationalité ukrainienne. Après que les services de l'ambassade de France à Kiev aient délivré le 8 novembre 2018 un visa de long séjour à Mme K... en sa qualité de conjointe d'un ressortissant français, des demandes de visa ont été déposées pour ses trois filles le 12 février 2019. Des refus de visa leur ont été notifiés par ces services par trois décisions du 4 mars 2019. M. et Mme B... ont exercé le 19 avril 2019 un recours contre ces décisions devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, lequel était, en outre, accompagné d'une demande tendant à être indemnisés des préjudices qu'ils ont subis en raison de l'illégalité fautive des décisions consulaires. Ce recours a été reçu par la commission le 29 avril suivant. Une décision implicite de rejet, née du silence gardé par la commission, est intervenue le 29 juin 2019. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 décembre 2019 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions des autorités consulaires et de la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des écritures de première instance du ministre que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer aux jeunes C..., L... et F... D... les visa de long séjour sollicités au motif que M. et Mme B... ne disposaient pas des ressources nécessaires pour assurer le financement d'un séjour de longue durée en se fondant sur les dispositions des articles L. 211-1 et L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : " 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement ; / 3° Des documents nécessaires à l'exercice d'une activité professionnelle s'il se propose d'en exercer une. ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 de ce code : " Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article. / Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur les demandes de visa de long séjour formées par les conjoints de Français et les étudiants dans les meilleurs délais. (...) ". Aux termes de l'article L. 212-2 du même code : " Les documents mentionnés aux 2° et 3° de l'article L. 211-1 ne sont pas exigés : / (...) 2° Des enfants mineurs de dix-huit ans venant rejoindre leur père ou leur mère régulièrement autorisé à résider en France ; (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions qu'il ne saurait être exigé des enfants mineurs de dix-huit ans sollicitant un visa de long séjour afin de rejoindre leur père ou leur mère régulièrement autorisé à résider en France des justificatifs tenant notamment à leurs moyens d'existence. Il est constant, en l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 1, qu'à la date des demandes de visa des enfants, Mme I... K... épouse B..., leur mère, était titulaire d'un visa de long séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français l'autorisant à résider en France. Par suite, en refusant de délivrer aux jeunes C..., L... et F... D... les visas sollicités au seul motif que M. et Mme B... ne justifiaient pas de ressources suffisantes pour assurer le financement de leur séjour en France, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.
5. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ;
6. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre son père ou sa mère, titulaire de l'autorité parentale, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de l'autre parent, également titulaire de la même autorité parentale. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, ainsi que sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale installé en France, contraires à son intérêt au regard de ses conditions de vie dans son pays d'origine.
7. Les requérants soutiennent, sans être utilement contredits, que le père biologique des enfants n'a plus leur garde depuis le 10 septembre 2014. Alors même que les ressources personnelles de M. et Mme B... seraient insuffisantes pour subvenir à leurs besoins, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est au demeurant pas soutenu par le ministre que les enfants pourraient être pris en charge dans de meilleures conditions matérielles par leur père. Dans ces conditions, alors que Mme B... a été autorisée à résider en France et qu'elle assure l'entretien et l'éducation de ses enfants, les requérants sont fondés à soutenir que la décision implicite de rejet de la commission de recours a été prise en violation des stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle tendait à l'annulation de la décision implicite de rejet.
Sur les conclusions indemnitaires :
9. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".
10. Ainsi qu'il a été dit aux points 2 et 3, la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est substituée aux décisions des autorités consulaires. Par suite, les requérants ne sauraient utilement demander à être indemnisés des préjudices résultant de l'illégalité fautive de ces dernières décisions. Par ailleurs, à supposer que les requérants entendent également demander à être indemnisés de l'illégalité fautive résultant de la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, il est constant qu'aucune demande préalable en ce sens n'a été adressée à l'administration. Par suite, en l'absence de toute décision liant le contentieux, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'intérieur doit être accueillie.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Eu égard au motif fondant l'annulation prononcée par le présent arrêt, l'exécution de celui-ci implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, que le ministre de l'intérieur délivre aux jeunes C..., L... et F... D... un visa d'entrée et de long séjour. Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai d'un mois.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. et Mme B... tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Article 2 : La décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé par M. et Mme B... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes C..., L... et F... D... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B..., au Défenseur des droits et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pérez, président,
Mme Douet, président-assesseur,
M. L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
M. LHIRONDEL
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00448