Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. Le 29 septembre 2008, la SAS Alsei a sollicité du préfet de la Loire-Atlantique, au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, une autorisation d'exploiter une plate-forme logistique et de bureaux sur un terrain situé dans la commune de Montoir-de-Bretagne et relevant du domaine public du grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire. Le 10 janvier 2013, elle a adressé au préfet de la Loire-Atlantique une demande indemnitaire portant sur la somme de 130 251,41 euros en raison de la faute commise dans le cadre de l'instruction de cette demande. Par un jugement du 20 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes, après avoir retenu la responsabilité fautive de l'Etat en raison de l'abstention de l'administration à avoir statué sur la demande présentée le 29 septembre 2008 alors que l'instruction du dossier était terminée, a rejeté la demande en l'absence de lien de causalité entre la faute de l'Etat et les préjudices allégués. La SAS Alsei relève appel de ce jugement en tant qu'il a écarté la réparation des préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Les premiers juges, après avoir rappelé les préjudices allégués par la SAS Alsei et le montant de l'indemnisation sollicité, ont écarté le lien de causalité entre la faute retenue et ces préjudices compte tenu de ce que la société requérante, qui soutenait avoir été contrainte d'abandonner définitivement son projet, n'établissait pas que la faute retenue à l'encontre de l'administration l'aurait empêchée de poursuivre son projet immobilier. Ils indiquaient que cette preuve ne saurait résulter des seules allégations de la requérante selon lesquelles elle aurait réfléchi à " la possibilité d'étudier une nouvelle implantation " en concertation avec un cabinet d'architectes et des bureaux d'études. Selon le jugement, cette preuve ne saurait résulter du fait qu'elle aurait souhaité " proposer à la préfecture un nouveau projet en vue de contribuer au développement du trafic maritime ", ni de son courrier du 3 juin 2011 par lequel elle a émis ses observations sur le projet d'arrêté de refus qui n'évoque aucune modification éventuelle du projet. Par ailleurs, les premiers juges ont également retenu que les préjudices allégués, à les supposer avérés en l'absence de toute pièce permettant d'en apprécier la réalité et le montant, ne pouvaient être regardés comme la conséquence directe de la faute commise par l'Etat dès lors qu'il n'était pas établi que l'administration, si elle avait statué sur la demande dans un délai raisonnable, aurait accordé, dans les conditions qui prévalaient à la date de la demande, l'autorisation d'exploiter sollicitée, ni qu'un refus aurait été illégal. Ces motifs permettent de comprendre les raisons pour lesquelles le tribunal a rejeté la demande en l'absence de lien de causalité entre la faute de l'Etat et les préjudices allégués. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé sur ce point.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. En vertu des dispositions de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000 sur les droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, alors en vigueur et désormais codifiées aux articles L. 231-1 à L.231-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d'acceptation est institué dans les conditions prévues à l'article 22, le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet. / Lorsque la complexité ou l'urgence de la procédure le justifie, des décrets en Conseil d'Etat prévoient un délai différent "
5. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral. (...) ". En vertu des dispositions de l'article L. 512-2 dans sa rédaction applicable au présent litige, l'autorisation est accordée par le préfet après enquête publique et après avis notamment d'une commission départementale. Aux termes de l'article L. 512-3 du même code : " Les conditions d'installation et d'exploitation jugées indispensables pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, les moyens d'analyse et de mesure et les moyens d'intervention en cas de sinistre sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des arrêtés complémentaires pris postérieurement à cette autorisation " ;
6. Aux termes des dispositions alors en vigueur de l'article R. 512-26 du code de l'environnement : " Le projet d'arrêté statuant sur la demande est porté par le préfet à la connaissance du demandeur, auquel un délai de quinze jours est accordé pour présenter éventuellement ses observations par écrit au préfet, directement ou par mandataire. / Le préfet statue dans les trois mois à compter du jour de réception par la préfecture du dossier de l'enquête transmis par le commissaire enquêteur. En cas d'impossibilité de statuer dans ce délai, le préfet, par arrêté motivé, fixe un nouveau délai ". Si ces dispositions faisaient obligation au préfet, sauf pour celui-ci à proroger la durée d'examen par arrêté motivé, de statuer dans un délai de trois mois à compter de la réception par la préfecture du dossier de l'enquête publique, l'expiration de ce délai n'a pas fait naître de décision implicite et n'a pas dessaisi l'autorité administrative, qui restait tenue de statuer sur la demande d'autorisation d'ouverture d'installation classée qui lui a été présentée, dès lors que la procédure d'instruction en cause était régie par des dispositions spéciales qui impliquaient que soient prises des décisions expresses et n'entrait donc pas dans le champ de l'article 21 de la loi du 12 avril 2000.
7. Il résulte de l'instruction que pour mener à bien son projet de construction et d'exploitation de plate-forme logistique et de bureaux, la SAS Alsei a conclu une convention d'occupation du domaine public avec le port Autonome de Nantes Saint-Nazaire et obtenu un permis de construire tacite. Au titre de la législation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, la société requérante a déposé le 25 septembre 2008 une demande d'autorisation d'exploiter complétée le 16 avril 2009. A l'issue de l'enquête publique qui s'est tenue du 17 août 2009 au 17 septembre 2009, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable en date du 13 octobre 2009. La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), en sa qualité de service instructeur, a adressé à la société pétitionnaire, le 13 novembre 2009, un courrier portant à sa connaissance les dispositions complémentaires demandées par les services consultés qui comprenaient notamment la réalisation de la modélisation de l'incendie prévue par les prescriptions de la lettre circulaire du 8 juillet 2009 de la direction générale de la prévention des risques relative à la maîtrise de l'urbanisation autour des entrepôts soumis à autorisation ainsi que divers aménagements techniques destinés à cantonner les effets thermiques en cas d'incendie dans la limite du site. Par une réponse du 12 janvier 2010, la société pétitionnaire a apporté les éléments sollicités. Par trois arrêtés successifs des 15 janvier 2010, 19 avril 2010 et 1er septembre 2010, le préfet de la Loire-Atlantique a, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 512-26 du code de l'environnement, prorogé le délai d'instruction au motif que le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) n'était pas en mesure d'émettre un avis sur la demande présentée par la société pétitionnaire dans le délai prévu par cet article.
8. La prorogation du délai d'instruction a été justifiée par la nécessité de réaliser les études de danger nécessaires dès lors que le terrain d'assiette du projet se situait à proximité de deux installations classées " Seveso " exploitées par les sociétés Yara France et Elengy. Cette proximité imposait de vérifier l'absence de tout danger pour les personnes devant se rendre sur le site projeté. Les études réalisées au cours de ce supplément d'instruction, qui ont notamment nécessité de procéder à une tierce-expertise compte tenu de la technicité de certains points, ont conclu à ce que l'assiette du projet se trouvait en majeure partie située en zone d'aléa thermique " forts+ " (F+) de l'entreprise Elengy, qui correspond à la zone de dangers très graves pour la vie humaine, ce dont a été informé le préfet de la Loire-Atlantique par une note de la DREAL du 2 décembre 2010. Par une lettre du 21 décembre 2010, le préfet invitait, dans ces conditions, la SAS Alsei, à étudier la possibilité d'un report de son projet d'implantation sur une des parcelles voisines de la zone logistique en privilégiant un terrain déjà artificialisé, de taille suffisante et situé à distance du terminal méthanier. Lors de sa séance du 12 mai 2011, le CODERST a émis un avis favorable au projet d'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique refusant l'autorisation sollicitée. Par un courrier du 18 mai 2011, notifié le 20 mai suivant, le préfet a adressé à la société requérante un projet d'arrêté refusant de délivrer l'autorisation d'exploiter sollicitée et en l'invitant à présenter ses observations, ce que la société a fait par une réponse en date du 3 juin 2011.
9. Il est constant qu'à la date du présent arrêt, aucune décision expresse n'est intervenue sur la demande présentée par la SAS Alsei, de sorte, et ainsi qu'il résulte du point 6, que l'administration reste toujours saisie de cette demande. Dans ces conditions, si la SAS Alsei demande la réparation des frais engagés dans le cadre de l'obtention du permis de construire pour un montant total de 101 200,04 euros, et des frais engagés dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation d'installation classée pour la protection de l'environnement, constitués par la réalisation du dossier (16 000 euros), des frais d'enquête publique (2 476,37 euros) et des frais juridiques (5 525 euros) ainsi que le remboursement des frais de communication et de commercialisation (5 050 euros), le préjudice allégué ne revêt, à la date du présent arrêt, qu'un caractère éventuel.
10. Toutefois, compte tenu du délai anormalement long dans lequel l'administration sera amenée à statuer sur la demande, l'abstention de l'administration de prendre toute décision depuis la clôture de l'instruction constitue, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il ne résulte pas, cependant, de l'instruction, en l'absence de toute décision expresse statuant sur la demande, que les frais auraient été engagés en vain par la société requérante et présenteraient ainsi un lien de causalité direct et certain avec la faute retenue à l'encontre de l'administration.
11. Au surplus, alors que la SAS Alsei n'établit pas ni même n'allègue l'illégalité des arrêtés du préfet de la Loire-Atlantique prorogeant le délai d'instruction, le retard fautif de l'administration court, en l'espèce, conformément aux dispositions de l'article R. 512-26 du code de l'environnement, à l'issue du délai de quinze jours suivant la réception des observations formées le 3 juin 2011 par la pétitionnaire au projet d'arrêté statuant sur la demande. Ainsi qu'il a été dit au point 8, le préfet a notifié à la SAS Alsei, le 20 mai 2011, un projet d'arrêté refusant l'autorisation d'exploiter sollicitée. Ce projet était fondé sur le motif tiré de ce que le terrain d'assiette du projet se situait aux abords du site classé " Seveso " exploité par la société Elengy dont l'étude de danger que cette dernière société avait réalisée établissait que des accidents potentiels étaient susceptibles d'atteindre la parcelle destinée à l'implantation de l'entrepôt projeté, ce qui serait de nature à augmenter de manière significative la population nouvelle exposée aux risques technologiques générés par l'exploitation de l'établissement de la société Elengy. Compte tenu du motif retenu dans ce projet, il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices allégués soient la conséquence directe de la faute commise par l'Etat du fait d'un délai anormalement long pour statuer sur la demande dès lors qu'il n'est pas établi que l'administration, si elle avait statué dans un délai raisonnable, aurait accordé, dans les conditions qui prévalaient à la date à laquelle l'autorité administrative était tenue de statuer, l'autorisation d'exploiter qui lui avait été demandée ni qu'un refus aurait été illégal. En particulier, la société requérante ne saurait alléguer que le refus d'autorisation serait fondé sur une circonstance intervenue tardivement, en l'occurrence le plan de prévention des risques technologiques approuvé par le préfet de la Loire-Atlantique le 30 septembre 2015, dès lors, et ainsi qu'il résulte du projet d'arrêté de refus d'autorisation, cette décision pouvait se fonder sur les informations apportées à l'autorité administrative en cours d'instruction de la demande par l'étude de dangers réalisée par la société Elengy. Par ailleurs, alors qu'il résulte des dispositions précitées de l'article R. 512-26 du code de l'environnement que le préfet peut, à la suite de la transmission du dossier de l'enquête par le commissaire enquêteur, fixer un nouveau délai d'instruction en cas d'impossibilité de statuer dans le délai de trois mois, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils pouvaient prétendre à la délivrance de l'autorisation sollicitée eu égard à l'avis favorable émis par le commissaire enquêteur lequel, de plus, ne lie pas l'autorité administrative.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Alsei n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS Alsei demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Alsei est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Alsei et à la ministre de la Transition écologique.
Copie en sera adressée pour son information au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseur ;
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2021.
Le rapporteur,
M. B...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne à la ministre de la Transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00684