Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 avril 2019, Mme C... et M. D... agissant en leur nom personnel et pour le compte de leurs enfants Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom, représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 27 avril 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir sous une astreinte de 10 euros par jour de retard ; subsidiairement, d'enjoindre au ministre de réexaminer les demandes, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de condamner l'Etat à verser à son conseil une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a méconnu l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'identité des demandeurs et le lien familial qui les unit est démontré par les actes d'état civil et les éléments versés au dossier ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Par un mémoire en défense enregistré le 28 juin 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
- et les observations de Me E... A..., représentant Mme C... et M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., ressortissante chinoise d'origine tibétaine née le 6 juillet 1975, entrée en France le 21 mars 2015, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée, le 27 octobre 2015. Le 10 janvier 2018, M. D... et les enfants Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom D... ont sollicité auprès de l'autorité française à New Delhi, la délivrance de visas de long séjour en qualité respectivement de concubin et d'enfants de Mme C.... Les demandes de visas ont été rejetées, le 15 janvier 2018. Par une décision du 27 avril 2018 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions consulaires du 15 janvier 2018 au motif que le lien familial allégué entre les demandeurs de visas et Mme C... n'était pas établi. Mme C... et M. D... agissant en leur nom personnel et pour le compte de leurs enfants Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom relèvent appel du jugement du 13 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable au présent litige: " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ".
3. Par ailleurs, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
4. M. D... a produit, au soutien de sa demande de visa, une copie d'un hukou délivré le 20 novembre 2012 en tant que chef de famille et où Mme C... apparaît comme conjointe et où Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom sont présentés comme leurs enfants. Il n'est pas contesté que le hukou est, en Chine, la base du système de l'état civil et que le règlement du Comité permanent de l'assemblée nationale du 9 janvier 1958, dit " Règlement sur l'enregistrement des hukou ", a mis en place un " système rigoureux de gestion de l'état civil ". Ce livret, qui est établi par famille, fait apparaître un chef de famille, tout citoyen ne pouvant être enregistré que sur le lieu de sa résidence habituelle. Les informations contenues dans ce livret ont force probante s'agissant de l'état civil des citoyens. Par suite, et dès lors que l'authenticité du hukou présenté à l'appui de la demande n'est pas remise en cause, le lien unissant M. D... à Mme C... ainsi que de ceux-ci avec Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom est, contrairement à ce qu'a estimé la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, établi par la présentation de ce document. La circonstance que Mme C... ait déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que ce lien est constitué par un mariage religieux célébré en 2006 et non par un mariage civil n'est pas de nature à établir l'absence de vie commune entre les intéressés, M. D... devant alors être regardé comme, au moins, le concubin de Mme C... au sens des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... et à Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7 Les requérants ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me A... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1809731 du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 avril 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. D... et à Tenzin Chodar, Dickyi Yangzom et Tenzin Yangzom des visas de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me A... la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C..., à M. D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2019, où siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2019.
Le rapporteur,
T. B...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT01524