Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 1er mars 2018, M. D...F...H..., en son nom propre et au nom de ses enfants alléguésJ..., Abdinasser, L..., M..., N... et O... D...F..., Mme C...E...B..., M. H... D...F...et M. I... D...F..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2017 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 30 janvier 2014 ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à tout le moins, d'enjoindre au ministre de procéder à un nouvel examen des demandes de visa de long séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a délivré un certificat de mariage qui, en l'absence d'engagement d'une procédure judiciaire d'inscription de faux, établit le lien matrimonial entre M. D...F...H...et Mme C...E...B...;
le prétendu caractère frauduleux des actes de naissance produits n'est aucunement établi alors qu'il convient également de tenir compte du dysfonctionnement des services de l'état civil somalien ;
ils démontrent bien une possession d'état, qui peut être régulièrement invoquée, pour établir leurs liens familiaux ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le certificat de mariage délivré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides est insuffisant pour établir la réalité du lien matrimonial et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures produites en première instance.
M. D...F...H...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M.L'hirondel,
les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
et les observations de MeG..., substituant Me Pollono, représentant M. F...H....
Considérant ce qui suit :
1. M. D...F...H..., ressortissant somalien, né le 21 octobre 1969, est entré en France en janvier 2011 et a obtenu le statut de réfugié à la suite d'une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 30 juin 2011. Le 25 janvier 2012, Mme C...E...B..., qui se présente comme son épouse, etH..., I..., J..., Abdinasser, L..., M..., N... et O... D...F..., qui se présentent comme ses enfants, ont sollicité, en ces qualités, la délivrance de visas de long séjour. Ces demandes ont été rejetées par neuf décisions du consul général de France à Djibouti du 20 décembre 2012. Le recours formé le 5 décembre 2013 contre ces décisions a été rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 30 janvier 2014. Par un jugement du 21 juillet 2017, dont M. D...F...H..., Mme C...E...B..., M. H... D...F...et M. I... D...F...relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
S'agissant des actes délivrés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides :
2. La délivrance des visas d'entrée en France aux membres de la famille d'un réfugié est notamment régie par les dispositions du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi rédigées dans leur rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 : " (...) / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 721-3 auquel renvoie le précédent texte dispose, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est intervenue que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et apatrides les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. L'office est habilité à délivrer dans les mêmes conditions les mêmes pièces aux bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité de les obtenir des autorités de leur pays. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) ".
3. Les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionnées au point 2 sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, le lendemain de leur publication au Journal officiel, à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas sollicités sur le fondement du respect du principe de l'unité familiale du réfugié ou du protégé subsidiaire tel qu'issu des stipulations de la convention du 28 juillet 1951. Il en résulte qu'à compter de cette date ces documents, établis sur le fondement de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionné au point 2, font foi, quelle qu'ait été la date de leur délivrance, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue aux articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance à l'article R. 633-1 du code de justice administrative.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D...F...H..., est bénéficiaire, ainsi qu'il l'a été indiqué au point 1, du statut de réfugié. Il a produit un certificat établi le 11 octobre 2011 par le directeur de l'OFPRA, attestant de son mariage, en février 1995, avec Mme C...E...B...ainsi qu'un livret de famille mentionnant ce mariage également délivré par le directeur de l'OFPRA. Dès lors, et conformément aux dispositions législatives rappelées au point 2, en l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ces documents font foi en ce qui concerne l'existence du lien matrimonial unissant M. D...F...H...à Mme C...E...B.... Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que les premiers juges ont fait une inexacte application de la loi en estimant qu'ils étaient dépourvus de caractère probant.
S'agissant du lien familial avec les enfants allégués :
5. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir la réalité du lien de filiation unissant M. D... F...H...à ses deux fils allégués majeurs, M. H... D...F...et M. I...D...F...ainsi qu'avec les jeunesJ..., Abdinasser, L..., M..., N... et O..., ont été produits huit certificats de naissance (" Warqadda Dhalashadda " ou " birth certificate "), délivrés en 2011 par la municipalité de Mogadiscio, après consultation du registre de la famille portant le n°20/011 (ou 13/011 pour le jeuneJ...). Après que les autorités consulaires et la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ont estimé ces documents non probants, les requérants ont produit, pour la première fois en première instance, de nouveaux certificats, établis le " 10/04/2014 ", au regard des mentions portées sur le registre familial portant le n°452.
7. Il est constant, ainsi que l'ont retenu au demeurant les premiers juges, que la procédure instituée en Somalie à l'occasion d'une demande de certificat de naissance auprès des autorités municipales impose à ces dernières de créer un registre propre au nom de la famille auquel est attribué un numéro et nécessite pour le demandeur d'être accompagné de deux témoins appartenant à son clan. Dans ces conditions, la circonstance que les certificats de naissance, sollicités lors de deux procédures distinctes et à trois ans d'intervalle, visent deux registres de la même famille portant un numéro différent, n'est pas de nature à établir leur caractère frauduleux. L'administration ne saurait, par ailleurs, utilement faire valoir que les demandes de certificats de naissance ont été sollicitées tardivement au regard de l'évènement que ces actes sont censés constater dès lors qu'ils ont été demandés dans le cadre de la procédure de visas engagée par les intéressés et que ces certificats sont délivrés conformément à la procédure sus décrite. Pour chacun des demandeurs, les mentions d'état civil portées sur les actes qui leur ont été délivrés à l'occasion de ces deux demandes sont identiques. Ces mentions concordent, par ailleurs, avec les déclarations constantes faites à l'OFPRA par M. D... F...H...lors du dépôt de sa demande de protection ainsi qu'avec celles figurant sur les passeports ou les cartes nationales d'identité des intéressés. Dans ces conditions, le ministre, en se bornant à invoquer la tardiveté des demandes de certificat de naissance et la différence de numérotation du registre familial mentionnée dans les actes délivrés lors de deux demandes distinctes et en ne précisant pas les règles régissant l'état civil en Somalie qui auraient été méconnues, n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'authenticité des documents produits par les enfants de M. D...F...H...relatifs à leur état civil. Dans ces conditions, et eu égard à la réalité du lien matrimonial relevée au point 4, le lien de filiation entre les huit enfants de M. D...F...H...et de Mme C... E...B...doit également être regardé comme établi.
8. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D...F...H...et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt implique que le ministre de l'intérieur délivre à Mme C... E...B..., à M. H... D...F..., à M. I... D...F...et aux jeunesJ..., Abdinasser, L..., M..., N... et O... D...F...les visas qu'ils ont sollicités. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de leur délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. M. D...F...H...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, avocat de M. D...F...H..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 juillet 2017 et la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 30 janvier 2014 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, de délivrer un visa de long séjour à Mme C... E...B..., à M. H... D...F..., à M. I... D...F...et aux jeunesJ..., Abdinasser, L..., M..., N... et O... D...F...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...F...H..., à Mme C...E...B..., à M. H... D...F..., à M. I... D...F...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M.L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 octobre 2018.
Le rapporteur,
M. L'HIRONDELLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00935