Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 mars 2017 et le 12 février 2018, Mme B... D...et Mme A...D..., représentées par MeC..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2016 en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler la décision du 14 février 2014 de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en tant qu'elle confirme le refus de visa de long séjour opposé à Mme A...D... ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa de A...D...dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 par jour de retard, à défaut d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la situation dans le même délai sous astreinte de 100 par jour de retard
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- suite à l'établissement d'un certificat de recherche infructueuse suite aux " diverses intempéries qu'a subi la ville d'Antalaha " dressé par MmeD..., le tribunal de première instance d'ANTALAHA a ordonné le 21/03/2012 la reconstitution de l'acte de naissance n°327 concernantA... ; dès lors une copie d'acte d'état civil n°450 bis du 16/04/2012, aux fins de reconstitution de l'acte n°327 du 02/04/1996 pour la naissance le 01/04/1996, a été dressée ; rien n'établit que l'acte initial aurait été apocryphe ; la fraude n'est pas établie et ne leur est de toute façon pas imputable ; l'administration ne pouvait remettre en question un jugement rendu par les autorités étrangères ;
- les éléments de possession d'état étaient bien de nature à établir la filiation entre Mme D...et ses filles, dontA..., qu'il s'agisse de certificats de scolarité, de photographies, de témoignages de proches, d'envoi d'argent, de voyages ; en outre une procédure aux fins d'établissement du lien familial a été engagée devant le TGI de Valence ;
- le rapport de l'expertise réalisée à la demande du TGI de Valence reconnaît le lien de filiation de Mme D...avec ses deux enfants.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 5 septembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mmes D...ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire en défense produit devant le tribunal administratif.
Mme D...n'a pas été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, par une décision du 12 janvier 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique le rapport de M. Degommier.
1. Considérant que Mmes D...interjettent appel du jugement du 7 juillet 2016 du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a rejeté la demande de Mme D...tendant à l'annulation de la décision du 14 février 2014 de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, confirmant le refus de visa de long séjour opposé à Mme A...D... ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l 'article 47 du code civil " ; et qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité " ; que cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ;
3. Considérant que pour refuser de délivrer le visa demandé pour la jeune A...D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a considéré que les deux actes de naissance produits sont dépourvus de caractère probant et que l'identité et le lien de filiation de l'intéressée avec sa mère alléguée ne sont pas établis ;
4. Considérant que pour établir le lien de filiation avec la jeune A...D..., Mme B...D...s'est prévalue d'un jugement rendu le 21 mars 2012 par le tribunal de première instance d'Antalaha, aux fins de reconstitution de l'acte de naissance N° 327 qui aurait été dressé le 2 avril 1996 par le centre d'état-civil d'Antalaha, ainsi que d'une copie de l'acte d'état-civil établie par ce centre le 19 juin 2012 transcrivant cette reconstitution d'acte ; qu' il ressort toutefois des pièces du dossier que les autorités consulaires françaises à Tananarive ont procédé le 8 juillet 2011 à une levée d'acte qui a révélé que l'acte de naissance N° 327 correspondait à l'identité d'une tierce personne et qu'aucun acte n'avait ainsi été dressé concernant la jeune A...D...; qu'ainsi, le jugement précité du 21 mars 2012, ainsi que la copie d'acte d'état-civil établie conséquemment le 19 juin 2012 apparaissent dénués de toute valeur probante ;
5. Considérant, toutefois, qu'à l'occasion d'une demande de visa, la filiation d'un enfant peut être établie par tout moyen ; que si la légalité d'une décision s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise, il appartient au juge de tenir compte des justifications apportées devant lui, dès lors qu'elles attestent de faits antérieurs à la décision critiquée, même si ces éléments n'ont pas été portés à la connaissance de l'administration avant qu'elle se prononce ;
6. Considérant que, par jugement du 4 mai 2016, produit par les requérantes devant la cour, le tribunal de grande instance de Valence, saisi d'une requête de Mmes F...E...D...aux fins de constater qu'elles sont les filles de Mme B...D..., a ordonné une expertise biologique ; qu'il ressort des conclusions de cette expertise, réalisée le 9 février 2018, que le profil génétique de Mme A...D...correspond à celui de Mme B...D...et que celle-ci peut être considéré, " avec une très grande certitude ", comme la mère biologique de Mme A...D...; que le ministre de l'intérieur n'a pas contesté ces conclusions ; qu'en conséquence, le lien de filiation entre Mme D...et sa fille A...en cause est établi ; que la circonstance que cette expertise est postérieure à la date de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et à celle du jugement attaqué ne fait pas obstacle à ce que, eu égard à la portée d'une telle expertise, les requérantes puissent s'en prévaloir pour la première fois en appel afin d'établir l'existence du lien de filiation en cause ; que, par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France a inexactement apprécié les faits de l'espèce en fondant sa décision de rejet sur l'absence de preuve de la filiation ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mmes D... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en tant qu'elle concerne Mme A...D...;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant qu'eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A...D..., mineure à la date à laquelle a été engagée la procédure de regroupement familial, le visa sollicité dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée ;
Sur les frais liés au litige :
9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros euros des frais exposés par Mmes D...et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2016 du tribunal administratif de Nantes, en tant qu'il a rejeté la demande de Mme D...dirigée contre la décision de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, confirmant le refus de visa de long séjour opposé à Mme A...D..., et la décision du 14 février 2014 de cette commission sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme A...D...un visa d'entrée en France dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mmes D...une somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme B...D..., à Mme A...D..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 avril 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIER
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT00818