Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2020, Mme B..., agissant en son nom propre et pour le compte du mineur H... A..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de visa méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'est pas possible d'établir l'identité de l'enfant et il n'existe pas d'élément de possession d'état.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- et les observations de Me G... représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante mauritanienne, est titulaire du statut de réfugiée en France. Par une décision du 27 septembre 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours préalable obligatoire formé contre le refus opposé le 6 juin 2019 par les autorités consulaires françaises en poste à Nouakchott à la demande de visa de long séjour formée au titre de la réunification familiale par le jeune H... A... que la requérante présente comme son fils. Mme B..., agissant en son nom propre et pour le compte de cet enfant, relève appel du jugement du 1er juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 septembre 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si le réfugié (...) est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). ".
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il ressort des pièces du dossier et notamment des extraits d'acte de naissance délivrés en 2009 et en 2018 que le 31 octobre 2002, à Tevragh Zeina, est né l'enfant H... A... dont la mère est Mme E... B... et le père est M. C... A.... Contrairement aux allégations du ministre, l'année 2018 mentionnée sur le second extrait correspond à la date de sa délivrance et non à celle de l'enregistrement de la naissance. Par ailleurs, si l'extrait délivré en 2009 indique, s'agissant du jour et du mois de naissance des parents, le 31 décembre alors que les intéressés sont nés le 4 juillet 1963 et le 15 décembre 1967, il résulte des explications, non contredites, apportées par Mme B... devant les premiers juges que cette anomalie concerne tous les actes délivrés à cette période en raison d'une difficulté informatique et qu'elle a pu être corrigée dans l'extrait délivré en 2018. Il s'ensuit qu'en estimant que l'identité et la filiation revendiqués n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
5. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Il ressort des pièces du dossier que, après que Mme B... a fui son pays en 2012, son plus jeune fils D..., né en 2011, a été confié à sa tante paternelle qui réside au Sénégal tandis que le jeune H... est demeuré en Mauritanie auprès de son père et de sa grand-mère paternelle. Les deux frères vivent ainsi séparément ainsi que cela ressort, notamment, du certificat de scolarité du jeune D... et des attestations du père et de la tante. La garde et la tutelle du jeune H... ont été confiées à Mme B... ainsi qu'en atteste le procès-verbal dressé le 6 février 2019 par le tribunal de la Moughataa de Tevragh Zeina. Si le père de l'enfant consent à ce que ce dernier rejoigne sa mère en France, il s'oppose, en revanche, à ce que leur plus jeune fils soit retiré à sa tante. Dans ces conditions, en maintenant le refus opposé à la demande de visa présentée pour le jeune H..., la commission a, alors même qu'aucune demande de visa au titre de la réunification familiale n'a été, en raison de l'opposition de l'ex-mari de la requérante, formée pour le jeune D..., porté au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour au jeune H... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle le voyage envisagé sera compatible avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me G....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 27 septembre 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune H... A... un visa de long séjour, dans le délai d'un mois à compter de la date à laquelle le voyage envisagé sera compatible avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.
Article 3 : L'Etat versera à Me G... la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à Mme E... I... B..., à M. H... A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 13 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente assesseur,
- Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2021.
Le rapporteur,
K. F...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02743