Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 février 2020 et un mémoire enregistré le 30 juillet 2020, Mme G... et M. I..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 septembre 2019 ;
2°) d'annuler cette décision de la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer le visa sollicité, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation, le tout dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'absence de motivation de la décision attaquée sur un motif d'ordre public ;
- la régularité de la composition de la commission de recours contre les refus de visa n'est pas établie ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit et d'appréciation quant au lien familial ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du 1° de l'article 3 de la convention internationale relative au droit de l'enfant.
- l'absence de jugement relatif à l'exercice de l'autorité parentale ne constitue pas un motif d'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme G... ne sont pas fondés.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme C..., président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Pérez, président de la 2ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de Mme B...,
et les observations de Me F..., représentant Mme G... et M. H....
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., ressortissante nigériane, relève appel du jugement du 26 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises au Nigéria refusant de délivrer un visa de long séjour en France pour son fils allégué M. I....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Le président de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a communiqué à Mme G... les motifs de la décision implicite de la commission. Celle-ci est fondée sur les circonstances d'une part que l'acte de naissance produit à l'appui de la demande de visa a été dressé tardivement, 14 ans après la naissance, sans explication circonstanciée ni production d'un jugement, d'autre part qu'aucun jugement de délégation d'autorité parentale n'est joint au dossier, qu'enfin la réunifiante n'apporte aucun élément démontrant qu'elle aurait maintenu depuis son arrivée en France un lien avec le demandeur.
3. En premier lieu, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il ressort des pièces du dossier que la requérante, entrée en France le 19 août 2010, a systématiquement fait état de son fils lors des démarches qu'elle a entreprises, notamment à l'occasion de sa demande d'asile comme cela ressort de la copie des différents formulaires remplis et des récits qu'elle a pu produire à cette occasion. Si l'acte de naissance d'H... John a été établi plus de 14 ans après la naissance de celui-ci, lequel est né dans un contexte familial difficile, rejeté par son père et par son grand-père, dans un pays où le droit applicable ne prévoit pas la possibilité d'un jugement supplétif, cette seule circonstance ne suffit pas à établir que cet acte serait faux.
6. Si cet acte, compte tenu de la date de son édiction, doit être pris après autorisation du " Deputy Chief Registrar " selon les dispositions du " Birth, Death, Compulsory Registration Act " applicables au Nigéria, celles-ci ne prévoient pas que cette autorisation doive être visée dans le certificat de naissance. Le ministre ne produit d'ailleurs aucun élément pour le contester sérieusement, ni les mentions que comportent l'acte, confirmées par d'autres éléments comme notamment l'affidavit d'H... John et un passeport établi par les autorités nigérianes. Si le ministre de l'intérieur indique que la requérante ne pouvait pas être présente pour solliciter ce certificat, il ne ressort d'aucune des disposions du " Birth, Death, Compulsory Registration Act " qu'une telle demande ne puisse être faite par courrier, la requérante produisant d'ailleurs un exemple de formulaire à cette fin. La simple mention sur l'acte de naissance d'H... John, du nom de son père, alors que cette mention, en cas d'enfant né en dehors des liens du mariage n'est pas obligatoire, n'est pas en elle-même de nature à faire regarder ce document comme apocryphe.
7. Dès lors, Mme G... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions mentionnées ci-dessus en estimant que le lien de filiation avec M. I... n'était pas établi.
8. En second lieu, la décision est aussi fondée sur le motif tiré de l'absence de production de jugement de délégation d'autorité parentale.
9. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.-(...) le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans.(...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) II.-Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code: " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
10. Il appartenait à Mme G... de produire une décision juridictionnelle, au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 411-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui, en vertu de l'article L. 752-1 du même code, s'appliquent à la procédure de réunification familiale des membres de famille d'un réfugié statutaire ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire. Toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce, alors que Mme G... fait valoir que le jeune I..., né hors des liens du mariage et mineur à la date de la décision attaquée, n'a jamais été pris en charge par son père et que son intérêt supérieur au sens des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant est de vivre auprès de sa mère, il ne résulte pas de l'instruction que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision en se fondant sur ce second motif.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
12. Le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit procédé à la délivrance du visa sollicité dans un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
13. Mme G... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F... de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 septembre 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt, des visas d'entrée et de long séjour à H... John
Article 3 : L'Etat versera à Me F... une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G..., à M. I... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme B..., président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 octobre 2020.
Le rapporteur,
H. B...
La présidente,
C. C...
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00416