Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 août 2020 et le 23 décembre 2020, Mme B..., représentée par Me Oloumi, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juillet 2020 ;
2°) d'annuler les décisions contestées ;
3°) d'enjoindre à l'administration de réexaminer sa demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé et dénué de toute base factuelle solide ;
- le refus de visa qui lui est opposé est dépourvu de base factuelle solide et entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation du risque pour la sécurité publique qu'il lui est reprocheé de présenter.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et du travail au pair (refonte) ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante iranienne née le 7 novembre 1987, relève appel du jugement du 23 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 11 août 2019 par laquelle les autorités consulaires de l'ambassade de France en Iran ont rejeté sa demande de visa de long séjour pour études et, d'autre part, de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre cette décision du 11 août 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 11 août 2019 :
2. En vertu des dispositions de l'article D. 211-5, alors en vigueur, repris à l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision du 11 août 2019 des autorités consulaires françaises. Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision de la commission de recours.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :
3. Aux termes de l'article 7 de la directive européenne du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair : " (...) 6. Les ressortissants de pays tiers qui sont considérés comme une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique ne sont pas admis. ".
4. Il résulte de l'arrêt C-544/15 de la Cour de justice de l'Union européenne du
4 avril 2017, en référence aux dispositions du d) de l'article 6 paragraphe 1 de la directive 2004/114 du 13 décembre 2004, reprises en substance à l'article 7 mentionné au point précédent, que les autorités compétentes, lorsqu'elles sont saisies par un ressortissant d'un pays tiers d'une demande de visa à des fins d'études, disposent d'une large marge d'appréciation pour vérifier, à la lumière de l'ensemble des éléments pertinents caractérisant la situation de ce ressortissant, si ce dernier représente une menace, fût-elle potentielle, pour la sécurité publique.
5. Il ressort des écritures du ministre en défense que pour confirmer le refus opposé à la demande de visa de Mme B..., la commission de recours s'est fondée sur " le risque potentiel que représente sur le long terme pour la sécurité publique la délivrance du visa sollicité ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la candidature de Mme B... au programme de master européen " Safe and reliable nuclear applications ", dont la première partie du cursus se déroule au sein d'une école d'ingénieurs à Nantes, a été acceptée pour les années universitaires 2019 à 2021. Au sein de ce master, la requérante s'est inscrite dans la spécialité dédiée à la gestion des déchets et au démantèlement des installations. Le ministre de l'intérieur soutient que les connaissances que Mme B..., qu'il présente comme une spécialiste de la radioactivité nucléaire, est susceptible d'acquérir dans le cadre de cette formation ainsi que les renseignements qu'elle pourrait obtenir du fait de sa proximité avec divers établissements industriels français, publics et privés, partenaires du master sont susceptibles d'être utilisés en Iran à des fins militaires. Il n'apporte toutefois, au soutien de cette affirmation, aucun élément précis et notamment pas d'indication sur le contenu des enseignements dispensés et leur utilité au regard d'un programme militaire. Il n'est pas davantage démontré que les établissements partenaires ne seraient pas en mesure de restreindre l'accès des étudiants à des données confidentielles et sensibles. Le ministre n'invoque aucune considération propre à la personne de Mme B..., à l'exception de ses qualifications, vaguement présentées, dans le domaine nucléaire, de nature à établir l'existence d'une menace, fût-elle potentielle, de détournement à des fins militaires des apports de la formation dont le programme a été conçu comme pouvant accueillir des étudiants internationaux et pour laquelle la requérante a, d'ailleurs, bénéficié d'une bourse de l'Union européenne. Dans ces conditions, le motif sur lequel s'est fondée la commission doit être regardé comme entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur réexamine la demande de visa de long séjour pour études présentée par Mme B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... C... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 juillet 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de visa de long séjour présentée par Mme B....
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 septembre 2021.
La rapporteure,
K. BOUGRINE
Le président,
A. PEREZLa greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02625