Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 août 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 juin 2020 ;
2°) de rejeter la demande de Mme H... M... E... et de M. N... E....
Il soutient qu'il entend substituer aux motifs de la décision initiale d'autres motifs, également fondés sur la situation existant à la date de cette décision, à savoir que les actes de naissance n'ont pas été rédigés dans les formes usitées en République démocratique du Congo. Ainsi :
- les actes de naissance supposés transcrire le jugement supplétif comportent des mentions inexistantes dans ce jugement ;
- la transcription des actes de naissance n'a pas été faite à l'initiative du Ministère public en violation de l'article 106 du code de la famille congolais ;
- les actes de naissance mentionnent à tort un certificat de non-appel délivré par le tribunal pour enfants L..., à l'origine du jugement supplétif alors qu'en droit congolais, l'appel d'un jugement est formé devant la juridiction d'appel en application de l'article 68 du code de l'organisation et de la compétence judiciaires ;
- la possession d'état n'est pas établie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2020, Mme H... M... E... et M. N... E..., représentés par Me F..., concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à leur conseil au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Mme H... M... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme H... M... E..., née le 28 novembre 1966 et de nationalité congolaise (République démocratique du Congo), est entrée en décembre 2013 en France où elle a été admise au statut de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 27 mai 2015. M. N... E..., né le 29 mai 2000, Mme C... E... née le 18 avril 2002, Mme D... E..., née le 28 avril 2004, Mme I... E... née le 10 juillet 2006 et Mme G... E... née le 25 mai 2009, qui se présentent comme ses enfants, ont déposé auprès de l'ambassadeur de France en République démocratique du Congo des demandes de délivrance de visa long séjour au titre du rapprochement familial des familles de réfugiés, ce qui leur a été refusé par une décision notifiée le 8 juin 2018. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté, par une décision du 3 octobre 2018, le recours formé contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 25 juin 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme H... M... E... et de M. N... E..., la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes du I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) ". Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 7213 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
3. Pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours a fondé sa décision sur les motifs tirés, d'une part, de ce qu'il existait des incohérences en ce qui concerne notamment la date de naissance de l'enfant N... E... et celle du décès du père présumé des intéressés avec les déclarations constantes faites par Mme M... E... devant l'OFPRA et, d'autre part, de ce que les actes de naissance des demandeurs, émis entre les années 2000 à 2009, ont été établis sur la base d'un même jugement supplétif sur la requête d'un oncle non habilité. Dans sa requête d'appel, qui a été communiquée à Mme M... E... et M. N... E..., le ministre de l'intérieur ne conteste pas les motifs retenus par le tribunal administratif pour annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France mais demande à ce que soient substitués aux motifs de la décision initiale de nouveaux motifs.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Il ressort des pièces du dossier que pour établir l'identité de N..., C..., D..., I... et G... E..., ont été produits le jugement supplétif d'acte de naissance n° RC.2442/I rendu le 13 mai 2017 par le tribunal pour enfants K... ainsi que les actes de naissance n° 888 à 892, pris pour son exécution et dressés le 15 juin 2017 par le centre d'état civil de la commune de Bandalungwa. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises, hormis le cas de fraude, de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère. Le jugement supplétif mentionne, pour chaque enfant, son nom, son prénom, son sexe, sa date et son lieu de naissance et les noms et prénoms du père et de la mère, qui constituent des mentions essentielles pour l'établissement de leur filiation. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposer établie, que le certificat de non-appel ait été délivré par un tribunal incompétent, en l'occurrence celui qui a pris le jugement supplétif et non la cour devant qui l'appel devait être formé, n'est pas de nature à remettre en cause la régularité du jugement supplétif, et par suite, les mentions qui y sont apportées. Par ailleurs, si les actes de naissance dressés sur le fondement du jugement supplétif comportent des informations ne figurant pas dans le jugement supplétif, telle la profession du déclarant, le décès du père des intéressés ainsi que la profession, l'adresse et la nationalité des parents et si ces actes ont été dressés sur présentation du jugement par le déclarant et non à l'initiative du ministère public comme le prévoit l'article 106 du code de la famille congolais, ces circonstances ne suffisent pas à remettre en cause la sincérité des mentions apportées dans le jugement supplétif rendu par le tribunal pour enfants K... et à le priver de valeur probante. Par suite, et alors même que Mme M... E... ne justifierait pas, par les pièces qu'elle a versées, d'une possession d'état à l'égard des intéressés, ce jugement, dont le caractère frauduleux n'est pas établi, leur tient lieu d'acte de naissance. Il suit de là que la demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme M... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... M... E..., à M. N... E..., à Mme C... E... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme B..., présidente assesseur ;
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 février 2021.
Le rapporteur,
M. J...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02598