Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 avril 2018, 9 août 2018, 6 juin 2019, et 15 octobre 2019, l'association Manche-Nature et l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA), représentées par le cabinet Busson, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 21 février 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Manche du 27 juillet 2016 en tant qu'il autorise l'exploitation de deux microcentrales hydroélectriques à Tessy-Bocage et Bourgvallées sur la Vire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles disposent d'un intérêt à agir pour contester la décision en litige alors qu'en tout état de cause, la requête est recevable en tant qu'elle est introduite par l'AAPPMA ;
- le document d'incidences sur les milieux aquatiques était insuffisant en tant qu'il porte sur l'analyse des incidences du projet sur le milieu aquatique, à savoir sur le transport sédimentaire et sur la libre circulation des espèces migratrices ;
- ce document d'incidence est également insuffisant en tant qu'il porte sur les mesures correctives et compensatoires ;
- la décision contestée est entachée d'un vice de procédure en l'absence d'avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) ;
- le préfet n'a pas pris en compte les intérêts dont il a la charge en méconnaissance des dispositions de l'article L. 183-3 du code de l'environnement ;
- l'autorisation contestée est irrégulière pour autoriser la destruction d'habitats protégés ;
- la SARL Usines du Bassin de la Vire ne saurait utilement se prévaloir d'un droit fondé en titre.
Par un mémoire enregistré le 19 juillet 2019, la ministre de la Transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet aux écritures du préfet de la Manche produites en première instance.
Par un mémoire enregistré le 27 août 2019, la SARL Usines du Bassin de la Vire, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'association Manche-Nature et de l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA) la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que l'association Manche Nature n'est pas régulièrement représentée et en l'absence d'intérêt à agir des requérantes contre une décision concernant des ouvrages fondés en titre qui n'a que pour effet d'accorder l'autorisation de poursuivre leur exploitation d'un complément de puissance, et non d'autoriser leur création;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;
- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
- le décret n° 2017-81 du 26 janvier 2017;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me C..., représentant la SARL Usines du Bassin de la Vire.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Usines du bassin de la Vire a présenté, le 16 décembre 2015, une demande tendant au renouvellement de l'autorisation d'exploiter deux microcentrales hydroélectriques situées sur le cours de la Vire, classée au titre du 1° et du 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, à Tessy-Bocage (anciennement Tessy-sur-Vire) et Bourgvallées, commune déléguée de la Mancillière-sur-Vire, et au démantèlement de deux autres microcentrales situées sur le même cours d'eau à Fourneaux et Condé-sur-Vire. Après qu'une enquête publique se soit tenue du 25 avril au 25 mai 2016, le préfet de la Manche a, par un arrêté du 27 juillet 2016, délivré à la société Usines du bassin de la Vire une autorisation unique portant sur l'exploitation des deux microcentrales et au démantèlement des deux autres et a assorti son autorisation de prescriptions. Les associations requérantes relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Caen du 21 février 2018 qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il autorise l'exploitation de deux microcentrales hydroélectriques à Tessy-Bocage et Bourgvallées.
Sur le droit applicable :
2. Les dispositions de l'ordonnance du 26 janvier 2017, codifiées aux articles L. 181-1 et suivants du code de l'environnement, instituent une autorisation environnementale dont l'objet est de permettre qu'une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes dans les conditions qu'elles précisent.
3. L'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 précise les conditions d'entrée en vigueur de ces dispositions : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance, ou au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014, avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l'article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre du chapitre IV du titre Ier du livre II ou du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement, ou de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ou de l'ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ". Sous réserve des dispositions de son article 15 précité, l'article 16 de la même ordonnance abroge les dispositions de l'ordonnance du 20 mars 2014 relatives à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement.
4. Il résulte de ces dispositions que l'ordonnance du 26 janvier 2017 n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance des autorisations uniques prévue par l'ordonnance du 20 mars 2014.
5. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme l'autorisation unique l'était avant elle ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l'article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.
6. Si, en application du 1° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017, les autorisations uniques délivrées au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 sont considérées, depuis le 1er mars 2017, comme des autorisations environnementales, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 qu'il revient au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'une contestation contre une autorisation unique, d'en apprécier la légalité au regard des règles de procédure relatives aux autorisations uniques applicables à la date de sa délivrance.
7. Par ailleurs, lorsqu'il estime qu'une autorisation unique a été délivrée en méconnaissance des règles de procédure applicables à la date de sa délivrance, le juge peut, eu égard à son office de juge du plein contentieux, prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'information complète de la population. En outre, si une telle régularisation n'est pas intervenue à la date à laquelle il statue, le juge peut, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, créé par l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai qu'il fixe afin de permettre à l'administration de régulariser l'illégalité par une autorisation modificative.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. En premier lieu, aux termes de l'article R. 214-6 du code de l'environnement alors en vigueur : " I. - Toute personne souhaitant réaliser une installation, un ouvrage, des travaux ou une activité soumise à autorisation adresse une demande au préfet du département ou des départements où ils doivent être réalisés. / II. - Cette demande, remise en sept exemplaires, comprend : / 4° Un document : a) Indiquant les incidences directes et indirectes, temporaires et permanentes, du projet sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l'écoulement, le niveau et la qualité des eaux, y compris de ruissellement, en fonction des procédés mis en oeuvre, des modalités d'exécution des travaux ou de l'activité, du fonctionnement des ouvrages ou installations, de la nature, de l'origine et du volume des eaux utilisées ou affectées et compte tenu des variations saisonnières et climatiques ; (...) "
9. Par ailleurs, aux termes de l'article R.214-109 du code de l'environnement : " I.-Constituent un obstacle à la continuité écologique, dont la construction ne peut pas être autorisée sur les cours d'eau classés au titre du 1° du I de l'article L. 214-17, les ouvrages suivants : " 1° (...) tout autre ouvrage qui perturbe significativement la libre circulation des espèces biologiques vers les zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, y compris en faisant disparaître ces zones / (...) 2° Les ouvrages qui empêchent le bon déroulement du transport naturel des sédiments ; (...) ".
10. Il résulte de l'instruction qu'à l'appui de la demande de la SARL Usines du bassin de la Vire, qui porte sur un projet global consistant dans le renouvellement de l'autorisation d'exploiter deux microcentrales et le démantèlement de deux autres installations, a été produit un document d'incidences réalisé par le cabinet Artelia.
11. D'une part, selon cette étude, les travaux prévus sur les centrales de Tessy-sur-Vire et de Bourgvallées, qui sont précisés au chapitre VII, sont destinés à les mettre en conformité afin d'assurer la continuité écologique en ce qui concerne la migration piscicole et le libre transit sédimentaire. Chacun de ces deux ouvrages est ensuite clairement décrit dans toutes leurs composantes (Chapitre 2 - p. 32 et suivantes) et leur fonctionnement hydraulique, qui est nécessaire pour définir les lois hauteur/débit en amont et en aval de chaque ouvrage de répartition afin de permettre d'établir la hauteur de chute en fonction du débit ainsi que les niveaux d'eau à prendre en compte pour le dimensionnement des passes à poissons, précisé en pages 133 et suivantes. Après avoir apporté ces informations, une étude sur les transports solides a été réalisée (pages 144 à 163). Après avoir rappelé cette notion et le concept d'équilibre dynamique ainsi que les matériels et la méthode utilisés, l'étude analyse, pour les deux sites en cause, les caractéristiques géométriques de la Vire ou du bief et tronçon court-circuité, les caractéristiques granulométriques du cours d'eau, le débit de mise en mouvement des sédiments, pour conclure, dans une dernière partie, sur l'impact des ouvrages sur la continuité sédimentaire, lequel apparaît sans effet. Enfin, au point 3 du chapitre 8 sont indiqués les effets et mesure en phase d'exploitation, en particulier les incidences sur le transport solide (point 3.2 p. 369 et suivantes). L'étude conclut s'agissant du site de Bourgvallées, à l'absence de réalisation d'aménagement spécifique, la bonne gestion de l'ouvrage étant suffisante dès lors que " la vanne de l'ouvrage de répartition devra être maintenue ouverte pour les débits les plus élevés, comme cela était le cas jusqu'à présent. / Ainsi, dès que les niveaux d'eau atteindront une cote supérieure à 19,62 m B..., la vanne de répartition commencera à être ouverte. Elle sera totalement ouverte lorsque les débits dans la Vire seront supérieurs à 60 m3/s. Ce débit étant inférieur au débit de mise en mouvement des sédiments (cf. état des lieux), la gestion de l'ouvrage ne créera pas de gêne notable au transport solide, comme cela est le cas actuellement ". L'étude arrive à la même conclusion s'agissant de l'ouvrage de Tessy-sur-Vire : " La vanne de décharge devra être maintenue ouverte pour les débits les plus élevés, comme cela était le cas jusqu'à présent. / Ainsi, dès que les niveaux d'eau atteindront une cote supérieure à 38,11 m B..., la vanne de répartition commencera à être ouverte. Elle sera totalement ouverte lorsque les débits dans la Vire seront supérieurs à 40 m3/s. Ce débit étant inférieur au débit de mise en mouvement des sédiments (cf. état des lieux), la gestion de l'ouvrage ne créera pas de gêne notable au transport solide, comme cela est le cas actuellement. ". Par suite, et contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, le document d'incidences analyse avec suffisamment de précision les conséquences de la mise en exploitation des ouvrages de Bourgvallées et de Tessy-sur-Vire au regard du transport des sédiments.
12. D'autre part, le document d'incidence comprend au chapitre 5 des études spécifiques piscicoles qui concernent les espèces cibles à prendre en compte sur la Vire telles qu'elles sont définies dans le document d'accompagnement technique de l'article L. 214-17 du code de l'environnement en précisant leurs périodes de montaison, de dévalaison et de reproduction. Pour chacune de ces espèces, est reporté le recensement des données migratrices de 2002 à 2015 issu de la station de la Claie-de-Vire avec une analyse des enjeux pour chacune d'elles. L'étude réalisée par l'ONEMA, qui porte sur le franchissement par ces espèces des ouvrages situés à La Mancellière et à Tessy-sur-Vire, tant en montaison qu'en dévalaison, avec ou sans passe-à-poissons, est reproduite. Une étude a été également effectuée vanne de l'ouvrage de répartition ouverte. Enfin, en conclusion, une synthèse est effectuée sur les possibilités de franchissement de l'ouvrage hydraulique par les espèces cibles, vanne ouverte et vanne fermée. Le comportement des poissons en aval des deux usines hydroélectriques a également été examiné (p. 210 et suivantes) et des précisions sont notamment apportées sur les caractéristiques à remplir pour que la passe-à-poissons sur le site de Tessy-sur-Vire et le tronçon court-circuité sur le site de La Mancellière puissent être attractifs afin de permettre le franchissement de l'ouvrage. Une analyse porte, par ailleurs, sur le débit minimum biologique à prévoir sur les tronçons court-circuités de la Vire à La Mancellière et à Tessy-sur-Vire, ce qui permettra de définir le débit minimal nécessaire lors du fonctionnement des turbines pour garantir la croissance des espèces piscicoles cibles ainsi que leur migration (p. 215 et suivantes). Enfin, conformément à l'article R. 432-1 du code de l'environnement et suite à l'arrêté préfectoral n°2015-DDTM-SE-0038 du 15 juillet 2015, les zones de frayères potentielles des différentes espèces concernées ont été définies sur chaque site par prospection de terrain. (P. 226 et suivantes). De plus, les incidences du projet sur la faune piscicole, tant en phase travaux qu'en phase de migration (montaison et dévalaison) sont précisées au chapitre 8. Selon l'étude, et pour chacun des deux sites, l'ensemble des espèces piscicoles devant franchir l'ouvrage en cas de montaison a été pris en compte et les conditions d'attrait sont telles que les poissons ne subiront pas de retard notable à leur migration lors du fonctionnement des turbines. La remise en fonctionnement de l'usine de La Mancellière devrait ainsi avoir un effet neutre à légèrement négatif sur la migration de montaison et celle de Tessy-sur-Vire aura un effet neutre. S'agissant de la migration de dévalaison, l'étude précise, au regard de la période de fonctionnement de l'usine retenue et des périodes de dévalaison des espèces cibles, que l'impact de la remise en fonctionnement de l'ouvrage hydroélectrique sur les espèces concernées et pour lesquelles des données existent se définit en taux de mortalité, lesquels sont indiqués. Dans ces conditions, et alors que les associations requérantes n'établissent pas que les ouvrages incriminés seraient de nature à perturber significativement l'accès aux zones indispensables à la reproduction, à la croissance, à l'alimentation ou à l'abri des espèces piscicoles, elles ne sont pas fondées à soutenir que l'étude piscicole contenue dans la demande d'autorisation serait insuffisante.
13. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du II de l'article R. 214-6 du code de l'environnement doit être écarté en toutes ses branches.
14. En deuxième lieu, le d) du 4° du II de l'article R. 214-6 du code de l'environnement relatif au contenu de la demande d'autorisation, dans sa rédaction applicable, prévoit que le pétitionnaire fournit un document " précisant s'il y a lieu les mesures correctives ou compensatoires envisagées " ;
15. Il résulte de l'instruction que la SARL Usines du bassin de la Vire exploitait quatre ouvrages hydrauliques sur La Vire. Dans sa demande, elle expliquait, après avoir rappelé les contraintes qui s'imposaient à elle du fait du classement de ce cours d'eau sur les listes 1 et 2 élaborées au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qu'elle avait signé un protocole d'accord le 19 juin 2014 avec l'Agence de l'Eau Seine Normandie destiné à réaliser une nouvelle étude d'incidence sur une solution consistant en la suppression des ouvrages de la Roque et des Fourneaux et la remise en fonctionnement des ouvrages de la Mancellière et de Tessy-sur-Vire avec un aménagement pour assurer la continuité écologique. La suppression des ouvrages de la Roque et des Fourneaux, décidée par l'exploitant, doit ainsi être regardée, en l'espèce et comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, comme une mesure compensatoire destinée à permettre l'exploitation des deux autres sites. Dans ces conditions, il y a lieu d'écarter le motif tiré de l'insuffisance des mesures correctives et compensatoires, par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. / II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) 4° Le respect des conditions, fixées au 4° de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; ". Selon l'article L. 211-1 de ce code : " I .- Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides (...) / 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; / 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; / 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; / 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; / (...) 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 de ce code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :/ a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; (...) ".
17. Ainsi qu'il a été dit au point 15, l'administration, qui était saisie d'un projet global portant sur quatre microcentrales, pouvait, pour apprécier les effets attendus par le projet, prendre en compte les incidences liées à la fermeture des deux centrales de la Roque et des Fourneaux. Il résulte du document d'incidences, dont les méthodes d'analyse et les conclusions ne sont pas sérieusement contestées, que les espèces susceptibles d'être impactées durant leur période de reproduction en raison du niveau d'eau, lors du fonctionnement de l'exploitation, sont, sur le site de la Mancellière, les saumons d'Atlantique et les truites de mer dont les frayères seront noyées lors de la période de reproduction alors que celles des lamproies fluviatiles et des vandoises ne seront que légèrement impactées par le projet. Toutefois, ainsi que le mentionne l'étude, ces impacts seront compensés par l'amélioration du fonctionnement de la Vire sur le site de la Roque. S'agissant du site de Tessy-sur-Vire, si les frayères potentielles des salmonidés, lamproies de Planer et lamproies fluviatiles seront fortement impactées par le projet tandis que celles des lamproies marines et des vandoises le seront moins du fait des périodes de fonctionnement des turbines, ces effets seront compensés par l'amélioration du fonctionnement de la Vire sur le site de la Roque et des Fourneaux. Selon l'avis de l'agence régionale de santé de Normandie du 19 février 2016, les périodes d'arrêt des installations, prévues respectivement du 20 juin au 10 octobre pour l'installation de Tessy-sur-Vire et de fin avril au 1er octobre pour celle de Bourgvallées, sont destinées à faciliter les migrations piscicoles, ces périodes d'arrêt permettant de rendre La Vire " courante " et de limiter les phénomènes d'eutrophisation qui ont tendance à se développer pendant ces périodes. La commission locale de l'eau, lors de sa séance du 11 mars 2016, a également émis un avis favorable compte tenu, notamment, de ce que le projet, qui prend en compte les impacts sur la continuité écologique et le transit sédimentaire, contribuera à l'amélioration de la qualité des eaux, de la qualité hydromorphogique ainsi qu'à la diversification des habitats, permettra de réduire les retards à la migration, améliorera globalement l'impact sur les frayères alors même que celles pouvant potentiellement servir aux salmonidés seront fortement impactées à La Mancellière et à Tessy-sur-Vire, ainsi que celles des lamproies de Planer et lamproies fluviatiles sur ce dernier site. De même, selon l'avis du syndicat de la Vire et du Saint-Lois du 10 février 2016, " le projet de conservation des sites de Tessy et La Mancellière pour la production d'hydroélectricité et la suppression des sites de La Roque et Fourneaux contribuent à l'amélioration de la continuité écologique et à la réduction du taux d'étagement pour l'atteinte du bon état écologique et s'inscrivent pleinement dans le projet validé par la Commission Locale de l'Eau du SAGE du 16 décembre 2013, qui prévoyait également le maintien de deux sites sur quatre. / L'entreprise UBV contribue ainsi à réduire le taux d'étagement de plus de 50% pour les ouvrages qui lui sont concédés et le taux d'étagement global de la masse d'eau de 21% (passant de 62,2 à 49%). Issu d'un consensus avec l'ensemble des services concernés, il permet à l'entreprise de reprendre son activité. ". Quant à l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), il a également rendu un avis favorable le 7 juin 2016 en soulignant, en particulier, que le projet respecte le principe " Eviter-Réduire-Compenser " ainsi que l'objectif de réduction du taux d'étagement de la masse d'eau concernée, notamment par une limitation de l'activité de turbinage de la microcentrale de la Mancellière d'octobre à avril, ce qui permettra d'y rétablir les écoulements et les habitats, notamment les frayères à aloses et lamproies marine, pendant la période printemps-été la plus sensible pour le milieu aquatique. S'agissant plus particulièrement de la Grande Alose, l'arrêté préfectoral contesté prévoit, en son article 13, que la mise au chômage de l'installation de la Mancellière puisse être avancée dans le courant du mois d'avril à la demande du service de police des eaux, en cas de constatation de remontée de cette espèce, la vanne du seuil de répartition étant alors progressivement levée et maintenue en ouverture maximale. Enfin, les associations requérantes n'établissent pas que les passes-à-poissons installées sur chacun des sites ne rempliraient pas leurs fonctions. Par suite, et alors même que la production électrique prévue pour chacun des deux ouvrages électriques en litige serait faible au regard de ce que peut produire une éolienne, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 181-3 du code de l'environnement et de l'erreur d'appréciation au regard de ces dispositions doivent être écartés.
18. En quatrième lieu, eu égard à ce qui a été dit au point précédent, les moyens tirés de ce que le préfet aurait illégalement autorisé la destruction d'habitats d'espèces protégées (frayères) et que la décision contestée serait entachée d'un vice de procédure en l'absence de consultation du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) sur la possibilité d'accorder une dérogation portant sur la destruction de ces habitats ne peuvent être qu'écartés.
19. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs, que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'association Manche-Nature et l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA) demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'association Manche-Nature et de l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA) une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL Usines du bassin de la Vire et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'association Manche-Nature et de l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA) est rejetée.
Article 2 : L'association Manche-Nature et l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA) verseront à la SARL Usines du bassin de la Vire la somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Manche-Nature, à l'association agréée de pêche et de protection du milieu aquatique de Saint-Lô (AAPPMA), à la ministre de la Transition écologique et solidaire et à la SARL Usines du bassin de la Vire.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 novembre 2019
Le rapporteur,
M. E...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne à la ministre de la Transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision
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N° 18NT01696