Par une requête et des mémoires, enregistrés le 31 mars 2020, le 13 juillet 2020 et le 7 août 2020, la société Ferme Eolienne de Ger, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de reprendre l'instruction de la demande, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande ne pouvait être rejetée par voie d'ordonnance sur le fondement des dispositions du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ;
- le refus que lui a opposé le préfet de la Manche est illégal du fait des illégalités qui entachent le refus opposé par le ministre des armées le 14 juin 2018 et qui résultent de son insuffisante motivation et de l'absence d'atteinte à la sécurité aérienne et à l'exercice des missions de défense.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2020, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me B..., représentant la société Ferme Eolienne de Ger.
Considérant ce qui suit :
1. La société Ferme Eolienne de Ger a sollicité auprès du préfet de la Manche la délivrance d'une autorisation environnementale en vue de l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs d'une hauteur de 164,30 mètres sur le territoire de la commune de Ger. Après avoir saisi, pour avis conforme, le ministre des armées, lequel s'est le 14 juin 2018 prononcé défavorablement au projet, le préfet de la Manche a, par une décision du 3 juillet 2018, refusé de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée. La société Ferme Eolienne de Ger relève appel de l'ordonnance du 21 janvier 2020 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 3 juillet 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 181-9 du code de l'environnement : " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : / 1° Une phase d'examen ; / 2° Une phase d'enquête publique ; / 3° Une phase de décision. / Toutefois, l'autorité administrative compétente peut rejeter la demande à l'issue de la phase d'examen lorsque celle-ci fait apparaître que l'autorisation ne peut être accordée en l'état du dossier ou du projet. / (...) ". Aux termes de l'article R. 181-32 du même code : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : / ... / 2° Le ministre de la défense ; / (...) ". Les dispositions du premier alinéa de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile prévoient que : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. ". Enfin, l'article R. 181-34 du code de l'environnement dispose : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / ... / 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; / (...) ".
3. Le ministre des armées s'est, par un avis du 14 juin 2018, opposé au projet de la société Ferme Eolienne de Ger au motif que celui-ci, situé au sein du secteur d'entraînement à très basse altitude (SETBA) Selune, était " de nature à induire une contrainte supplémentaire préjudiciable à la sécurité des vols et la réalisation [des] missions " d'entraînement au vol de jour à une hauteur inférieure à 150 mètres " compte tenu de l'étendue de l'emprise et de la hauteur importante des éoliennes ainsi que de leur faible visibilité ". Il résulte, par ailleurs, du courrier du 17 juillet 2019 que le directeur de la circulation aérienne militaire a adressé à la pétitionnaire que le site d'implantation du projet est localisé dans une zone présentant un " intérêt stratégique essentiel à l'entraînement des équipages du groupe aéronaval dans des conditions proches de la réalité des théâtres opérationnels qui font l'actualité " et que le " projet condamnerait un des seuls couloirs de passage entre deux zones d'entraînement au coeur du SETBA Selune ".
4. Toutefois, alors que, d'une part, le projet, implanté à proximité de deux autres parcs éoliens, est de nature à densifier une zone déjà impactée et ainsi préserver une cohérence favorisant le maintien d'une aptitude opérationnelle en basse altitude et la sécurité des équipages et que, d'autre part, la société requérante soutient sans être contredite, en se fondant sur les termes du courrier du 17 juillet 2019 mentionné au point précédent, que l'assiette du projet n'est pas située dans une zone d'entraînement, aucun élément versé à l'instruction ne permet d'établir que les trois aérogénérateurs litigieux généreraient, eu égard notamment à leur localisation, à leur environnement et aux contraintes opérationnelles tactiques existant dans cet environnement, des obstacles supplémentaires à la navigation aérienne susceptibles de gêner le déroulement des exercices tactiques ou de compromettre la sécurité des pilotes et des biens. Dans ces conditions, le ministre des armées doit être regardé comme ayant entaché son avis défavorable du 14 juin 2018 d'une inexacte application des dispositions de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile. Il s'ensuit que c'est à tort que le préfet de la Manche a, sur le fondement des dispositions précitées de l'article R. 181-34 du code de l'environnement, rejeté la demande d'autorisation environnementale présentée par la société Ferme Eolienne de Ger.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Ferme Eolienne de Ger est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation sur lequel le présent arrêt est fondé, son exécution implique seulement que le préfet de la Manche réexamine la demande de la société Ferme Eolienne de Ger après avoir procédé à une nouvelle saisine pour avis conforme du ministre des armées. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Manche d'y procéder dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais exposés par la société Ferme Eolienne de Ger et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Caen du 21 janvier 2020 et la décision du préfet de la Manche du 3 juillet 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Manche de procéder, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, au réexamen de la demande d'autorisation environnementale présentée par la société Ferme Eolienne de Ger après avoir saisi pour avis conforme le ministre des armées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ferme Eolienne de Ger et au ministre de la transition écologique.
Une copie sera adressée au préfet de la Manche et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 janvier 2021.
Le rapporteur,
K. C...
Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01197