Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrée le 12 mai 2021 et le 7 janvier 2022, le préfet du Morbihan demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 22 avril qu'il a annulé la décision du 15 février 2021 fixant la République du Congo comme pays de renvoi, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991;
2°) de rejeter dans cette mesure la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rennes.
Il soutient que :
c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, que M. D... serait toujours recherché, en sa qualité de sous-officier dans l'armée congolaise, par sa hiérarchie et par les autorités judiciaires de son pays pour atteinte à la sûreté de l'État, sa demande de reconnaissance de statut de réfugié, fondée sur ce motif, ayant été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile, les éléments retenus par le tribunal administratif avaient notamment été portés à la connaissance de l'office qui les a écartés dans le cadre d'une demande de réexamen de sa situation le 30 avril 2021 ;
aucun des autres moyens présentés par M. D... devant le tribunal administratif n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2021, M. I... D..., représenté par Me Le Strat, conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
aucun des moyens de la requête du préfet n'est fondé ;
la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'en raison de son état de santé, il ne peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
la décision fixant le Congo comme pays de destination viole les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une lettre du 17 décembre 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions incidentes de M. D... tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui soulèvent un litige distinct de l'appel principal et qui ont été présentées postérieurement à l'expiration du délai d'appel.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. L'hirondel,
et les observations de Me Le Strat, avocate de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant de la République du Congo, né en 1985, a déclaré être entré le 9 décembre 2017 sur le territoire français où il a sollicité, le 1er février 2018, son admission en qualité de réfugié. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 décembre 2018, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par une décision du 9 février 2021. Le 15 février 2021,
le préfet du Morbihan a pris à son encontre, sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et fixant la République du Congo comme pays de destination. M. D... a demandé au tribunal administratif d'annuler cet arrêté en toutes ses décisions. Par un jugement du 22 avril 2021, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté en tant qu'il fixe le pays de destination et a enjoint à l'autorité administrative de réexaminer la situation de M. D... dans le délai d'un moins à compter de la notification du jugement. Il également mis à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser au conseil de de D... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et a rejeté le surplus de la demande. Le préfet du Morbihan doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... et a mis à la charge de l'État la somme de 1 000 euros.
Sur les conclusions d'appel principal du préfet :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. M. D... a soutenu en première instance qu'il encourrait des risques en cas de retour dans son pays d'origine du fait de sa nationalité, de son origine ethnique, de son incorporation et de son grade au sein des forces armées congolaises ainsi que de son affectation, pendant dix-huit mois, dans la région du Pool. Au soutien de ses allégations, il se prévalait de la situation géopolitique en République du Congo, plus particulièrement du conflit avec les rebelles originaires du Pool. Il versait différents documents faisant état d'une répression politique dans ce pays, de disparitions parmi les membres de l'opposition pour des motifs politiques, de torture et autres mauvais traitements dans les lieux de détention congolais et de la répression ordonnée par le président Sassou-Nguesso à la suite de sa réélection en 2016, notamment envers d'anciens conseillers, militaires et ministres de son gouvernement. Il alléguait que, dans ce contexte, il a fait l'objet de suspicions de soutien aux rebelles du Sud du pays, les " Ninjas " du Pasteur Ntumi compte tenu de ses origines géographiques et ethniques alors que, de plus, il encourt des risques pour avoir déserté lors d'opérations exceptionnelles avec fuite à l'étranger. A l'appui de ses déclarations, il a présenté des copies d'une demande de mise à disposition de l'intéressé, datée du 15 mars 2021, émanant de la direction centrale de la sécurité militaire et adressée au commandement du 1er régiment d'artillerie, d'une convocation émise le 18 mars 2021 par la direction départementale de la police du Niari, d'un mandat de comparution émis par le tribunal de grande instance de Dolisie daté du 19 mars 2021, d'un message porté du 25 mars 2021 émis par la police militaire relatif aux recherches dirigées contre l'intéressé. Il a également produit un certificat médical du 21 mars 2021 pour une affection cardiovasculaire et neuroleptique et des ordonnances concernant l'hospitalisation de son père à l'hôpital de base de Tié-Tié et la retranscription d'un témoignage audio de sa belle-mère et, enfin, un témoignage de Mme B....
4. Toutefois, M. D... a repris, pour contester la décision en litige, le récit qu'il a développé devant l'OFPRA et la CNDA. En se bornant à rappeler le contexte géopolitique de son pays, alors que sa demande d'asile a été définitivement rejetée, l'intéressé n'apporte, au soutien de ses allégations, aucun élément nouveau pertinent de nature à permettre à la cour d'apprécier les risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour dans son pays. Ainsi, tant lors de sa demande d'asile que pour contester la décision en litige, l'intimé n'a pas été en mesure de préciser quel aurait été son rôle exact lors du conflit armé et les exactions menés dans le Pool, notamment par la garde républicaine, ni les raisons qui auraient conduit les autorités congolaises à le soupçonner de complicité avec les " Ninjas ", ni en quoi son absence pour maladie lors d'une attaque de son unité rebelle était de nature à susciter, à son égard, des soupçons de trahison. Dans ces conditions, les copies des documents qu'il produit, tous datés de mars 2021, trois ans et demi après les faits revendiqués par l'intimé, ne présentent pas de caractère d'authenticité suffisante et ne sont pas de nature à corroborer la réalité des craintes alléguées. Il en est de même des documents médicaux concernant son père qui ne permettent pas d'établir un lien avec les faits allégués par l'intimé et du témoignage audio de sa belle-mère et de celui de Mme B... qui sont insuffisamment circonstanciés. Dans ces conditions, le préfet du Morbihan, qui a suffisamment examiné les risques encourus par l'intéressé en cas de retour dans son pays d'origine, est fondé à soutenir que c'est à tort que le président du tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision fixant le pays de renvoi pour méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... en première instance comme en appel pour contester la décision fixant le pays de renvoi en litige.
En ce qui concerne l'autre moyen invoqué par M. D... :
6. Par un arrêté du 31 janvier 2020 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet du Morbihan a donné délégation, en cas d'absence ou d'empêchement de M. E... H... et de Mme G... F..., à Mme A... C..., signataire de l'arrêté attaqué, aux fins, notamment, de signer les décisions prises dans le cadre des attributions du bureau des étrangers, ce qui vise les mesures d'éloignement, en particulier la décision fixant le pays de destination. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. H... et de Mme G... F... étaient présents ou n'auraient pas été empêchés à la date de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en litige ne peut être qu'écarté.
Sur les conclusions présentées par voie d'appel incident par M. D... :
7. Au titre de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ".
8. En se bornant à soutenir qu'il bénéficierait d'un traitement anxiolytique et antidépresseur, M. D... n'apporte au soutien de son allégation aucun élément de nature à permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Au surplus, il n'établit, ni même n'allègue qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement dans son pays d'origine d'un traitement approprié à son état de santé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article
L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 15 février 2021 en tant qu'il fixe le pays de destination, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... et a mis à la charge de l'État, en qualité de partie perdante, une somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. D... dans les conditions fixées à
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Les conclusions présentées par voie d'appel incident par M. D... doivent par ailleurs, et sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité, être rejetées.
D É C I D E:
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n°2101193 rendu le 22 avril 2021 par le président du tribunal administratif de Rennes sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Rennes en tant qu'elle porte sur la décision désignant le pays de destination et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. I... D... et à Me Le Strat.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Morbihan.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2022.
Le rapporteur
M. L'HIRONDELLe président
D. SALVI
La greffière
A. MARTIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01313