Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 juin 2017 M. A...B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 mai 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 999 051 euros, le cas échéant augmentée de la somme de 150 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif s'est déclaré à tort incompétent car l'exception de recours parallèle n'a pas vocation à s'appliquer pour les recours de plein contentieux et sa demande, qui repose sur le fondement juridique spécifique de la responsabilité de l'Etat du fait des lois, est une demande d'indemnisation complémentaire à celle qui relève de la compétence du juge judiciaire ; en outre, le recours prévu par la loi du 25 janvier 2011 devant le juge de l'expropriation, à la lumière de l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel, prive les anciens avoués de la réparation intégrale de leur préjudice ;
- les conditions de l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des lois sont remplies en raison d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques et de l'existence d'un préjudice spécial et anormalement grave ;
- le législateur, censuré par le Conseil Constitutionnel, n'a pas entendu exclure toute indemnisation autre que celle de la perte du droit de présentation ;
- la responsabilité de l'Etat est également engagée en raison de la violation, par la loi du 25 janvier 2011, de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui protège les biens et la propriété, ce qui inclut l'outil de travail et les revenus qui peuvent légitimement en être attendus ;
- il subit de manière certaine une perte de revenus, de ses droits à retraite, des droits à réversion de son épouse, ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence liés aux conditions de la réforme, préjudices qui peuvent être évalués à la somme totale de 999 459 euros ;
- dans l'hypothèse où le jugement du 24 mars 2014 du juge de l'expropriation serait infirmé par la cour d'appel de Paris, cette somme devrait être augmentée de 150 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2018 le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011 du Conseil constitutionnel ;
- la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Bris,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ancien avoué près la cour d'appel d'Angers, a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la suppression, par la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, de la profession d'avoué. Il relève appel du jugement du 4 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande tendant la condamnation de l'Etat à réparer ces préjudices.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Aux termes de l'article 13 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel, dans sa rédaction applicable : " Les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L. 13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi. (...) Par dérogation aux règles de compétence territoriale, le juge de l'expropriation compétent est celui du tribunal de grande instance de Paris. (...) ".
3. En premier lieu, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Nantes n'a, pour rejeter la demande présentée par le requérant, retenu que le seul motif tiré de ce qu'elle était portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Dès lors, M. B...ne peut utilement soutenir que les juges de première instance auraient à tort retenu la fin de non recevoir tirée de l'exception de recours parallèle invoquée par le ministre alors qu'elle n'avait pas vocation à s'appliquer dans un litige de plein contentieux.
4. En deuxième lieu, le requérant fait valoir, pour obtenir la réparation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires écartés par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011 et non retenus par le législateur, que sa demande est fondée sur la responsabilité de l'Etat du fait des lois et que ce régime de responsabilité spécifique relève de la compétence de la juridiction administrative. Cependant, il résulte des dispositions précitées de l'article 13 de la loi du 25 janvier 2011, éclairées par les travaux parlementaires et par le Conseil constitutionnel au point 19 de sa décision rappelée ci-dessus, que le législateur a entendu confier au seul juge de l'expropriation le soin d'indemniser le préjudice subi par les avoués du fait de cette loi. Il en découle que tous les litiges relatifs à cette indemnisation relèvent, par application de cette dérogation législative aux règles générales de compétence, des seules juridictions judiciaires spécifiquement désignées. Il n'appartient pas au juge administratif de se saisir d'un autre fondement de responsabilité pour assurer aux personnes concernées une indemnisation complémentaire à celle allouée, dans le cadre fixé par la loi, par le juge judicaire.
5. Enfin, si le requérant entend critiquer le fait que les juridictions judiciaires qu'il a saisies pour obtenir satisfaction méconnaissent son droit à la réparation intégrale de son préjudice en refusant de tenir compte de la volonté initiale du législateur, qui a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 2011 rappelée au point 2, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur la détermination de l'ordre de juridiction compétent pour connaître de ses conclusions indemnitaires.
6. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les frais de l'instance :
7. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juillet 2018.
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
I. Perrot
Le greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT01832