Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 novembre 2017 et 16 mai 2018 Mme A... D...épouseE..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 19 octobre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 février 2017 du préfet d'Indre-et-Loire portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi ;
3°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car elle réside en France depuis 6 ans avec ses enfants qui sont scolarisés et que toute la famille est bien intégrée ;
- cette décision méconnaît l'article 3-1 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- la décision d'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car son époux, qui a obtenu le bénéfice de l'asile par un arrêt de la Cour nationale du droit d'asile du 17 avril 2018, a vocation à rester en France ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales car ses fils ainés courent le risque d'être enrôlés de force dans l'armée en cas de retour en Tchétchénie et son mari a été condamné par contumace à 8 ans d'emprisonnement par un jugement du 5 mai 2017.
Par un mémoire enregistré le 19 février 2018 le préfet d'Indre-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Le Bris a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeE..., ressortissante russe d'origine tchétchène née en 1977, est entrée en France le 17 janvier 2011 avec ses cinq enfants nés entre 1996 et 2009. Elle a demandé à plusieurs reprises la délivrance d'un titre de séjour, en tant que réfugiée puis sur le fondement de sa vie privée et familiale, qui ont toutes été rejetées par des décisions du préfet d'Indre-et-Loire assorties de mesures d'éloignement. Elle a déposé une nouvelle demande le 12 décembre 2016 sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et relève appel du jugement du 19 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 février 2017 du préfet d'Indre-et-Loire refusant à nouveau de lui délivrer un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de destination.
Sur le refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. ".
3. Comme les premiers juges l'ont estimé à bon droit, si Mme E... soutient qu'elle justifie depuis six années de sa présence en France ainsi que de sa parfaite intégration dans la société française, elle n'établit pas, par les pièces qu'elle verse au dossier (les certificats de scolarité de ses enfants, des documents indiquant de ce qu'elle a suivi à plusieurs reprises des cours de français, et quelques témoignages attestant de la bonne intégration de la famille), l'existence de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires de nature à permettre la délivrance d'une carte de séjour temporaire. Il s'ensuit que Mme E...n'est pas fondée, par le moyen qu'elle invoque, à soutenir que le refus de titre de séjour qui lui a été opposé serait entaché d'illégalité.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
4. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme E...réside en France depuis janvier 2011 avec ses cinq enfants. Il est constant que son époux qui l'a rejointe en 2015 et avec qui elle vit, s'est finalement vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 17 avril 2018. Par suite, et quand bien même cette dernière circonstance est postérieure à la décision contestée, Mme E... est fondée à soutenir qu'en lui faisant obligation de quitter le territoire français par un arrêté du 22 février 2017, le préfet d'Indre-et-Loire a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, la décision d'éloignement doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, celle fixant le pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme E...est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi et à en demander, dans cette mesure, l'annulation.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Dans les circonstances de l'espèce, le présent arrêt implique que le préfet d'Indre-et-Loire réexamine la situation de Mme E...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
8. Mme E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 000 euros à Me B... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1 : Les décisions du préfet d'Indre-et-Loire du 22 février 2017 faisant obligation de quitter le territoire français à Mme E...et fixant son pays de renvoi sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Indre-et-Loire de réexaminer la situation de Mme E...dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1702630 du tribunal administratif d'Orléans du 19 octobre 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E...dirigées contre les décisions du préfet d'Indre-et-Loire du 22 février 2017 lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant son pays de renvoi.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par Mme E...est rejeté.
Article 5 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me F...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D...épouse E...et au ministre de l'intérieur.
Une copie sera transmise au préfet d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- M. Berthon, premier conseiller,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018
Le rapporteur,
I. Le BrisLe président,
O. CoiffetLe greffier,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°17NT03464