Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2020 le préfet du Loiret demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 janvier 2020 ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Il soutient que :
- aucune méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être observée ;
- le préfet était en situation de compétence liée par rapport à la décision prise par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et aucun titre de séjour n'a été demandé sur un fondement autre que celui de l'asile.
Par des mémoires en défense enregistrés les 25 avril et 13 juillet 2020 M. A... C..., représenté par Me Duplantier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par le préfet du Loiret ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Brisson a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., de nationalité arménienne, né le 15 juillet 1987, déclare être entré irrégulièrement en France le 4 décembre 2017. Le 9 janvier 2018, il a formulé une demande d'admission au séjour dans le cadre des dispositions de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. C... ayant été précédemment identifié en Pologne et cet Etat ayant donné son accord à sa réadmission par une décision explicite du 26 février 2018, il s'est vu notifier le 19 avril 2018 par le préfet du Loiret un arrêté de transfert portant remise aux autorités polonaises qui a été annulé par un jugement du 26 avril 2018 du magistrat désigné de ce tribunal. La cour administrative d'appel a confirmé ce jugement par un arrêt du 27 mai 2019. M. C... n'ayant pas été transféré dans le délai réglementaire, et la responsabilité des autorités polonaises ayant cessé le 26 octobre 2018, la France est devenue responsable de la demande d'asile de l'intéressé qui a été enregistrée auprès de l'Office français de protection des étrangers et apatrides le 13 juin 2019. Statuant en procédure accélérée, ce dernier a rejeté la demande de M. C... le 30 juillet 2019. Par un arrêté du 15 octobre 2019, le préfet du Loiret a obligé l'intéressé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé son pays d'origine, l'Arménie, ou tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, comme pays de destination de la mesure d'éloignement. M. C... a demandé l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 13 décembre 2019, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à sa demande. Le préfet du Loiret relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2° - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté M. C... séjournait en France depuis moins de deux ans et, à compter de la notification de la décision de rejet de sa demande d'asile prise en procédure prioritaire par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, il ne disposait plus d'un droit au séjour sur le territoire national, alors même qu'il avait formé un recours devant la Cour nationale du droit d'asile, lequel a d'ailleurs été rejeté le 16 décembre 2019.
4. Si l'épouse et les deux enfants de M. C..., nés en 2015 et 2016, résident également en France depuis le 20 août 2019 c'est-à-dire deux mois seulement avant que l'arrêté du 15 octobre 2019 ne soit pris, et s'ils ont déposé, le 25 septembre 2019, des demandes d'asile, ces demandes ne leur donnent vocation à rester sur le territoire que jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile.
5. La décision portant obligation de quitter le territoire n'est pas à elle seule de nature à avoir pour effet de séparer M. C... de son épouse et de ses enfants, rien ne s'opposant à ce que la cellule familiale se reconstitue dans leur pays d'origine et qu'en particulier les enfants puissent y être scolarisés. La présence de la conjointe et des enfants de M. C... n'est pas davantage de nature à justifier d'une insertion particulière au sein de la société française de ce dernier et à démontrer l'absence d'attaches personnelles et familiales en Arménie.
6. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté contesté au motif qu'il portait au droit au respect de la vie privée et familiale de M. C... une atteinte disproportionnée, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif d'Orléans.
8. En premier lieu, M. C..., soutient que faute d'avoir été transféré aux autorités polonaises dans les 6 mois suivant la notification, le 19 avril 2018, de l'arrêté préfectoral du
21 mars 2018 portant réadmission de l'intéressé, la compétence de la Pologne pour connaître de sa demande d'asile avait cessé le 26 octobre 2018 de sorte que cette demande aurait dû être transmise dès cette dernière date à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides par les autorités françaises.
9. Toutefois comme il a été dit au point 1, un appel a été formé à l'encontre du jugement du tribunal administratif d'Orléans du 26 avril 2018 se prononçant sur le transfert aux autorités polonaises de l'intéressé et l'arrêt de la cour est intervenu le 27 mai 2019. Par suite, la circonstance que la demande d'asile de M. C... n'a été communiquée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que le 13 juin 2019 ne révèle aucun défaut d'examen de sa situation personnelle.
10. En deuxième lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Lorsqu'il demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, du fait même de l'accomplissement de cette démarche qui vise à ce qu'il soit autorisé à se maintenir en France et ne puisse donc pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement forcé, ne saurait ignorer qu'en cas de refus il sera en revanche susceptible de faire l'objet d'une telle décision. En principe, il se trouve ainsi en mesure de présenter à l'administration, à tout moment de la procédure, des observations et éléments de nature à faire obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C... aurait demandé un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il aurait été empêché de s'exprimer avant que ne soit prise la décision l'obligeant à quitter le territoire français. L'intéressé n'allègue pas qu'il aurait tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à sa situation, avant que ne soit prise la mesure d'éloignement. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. C... a été privée du droit d'être entendu résultant du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La Cour nationale du droit d'asile statue sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides prises en application des articles (...) L. 723-1 à L. 723-8 (...) ". Aux termes de l'article L. 743-1 du même code : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé (...) contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile (...). Aux termes de l'article L. 743-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 743-1, (...), le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin (...) lorsque : (...) 7° L'office a pris une décision de rejet dans les cas prévus au I et au 5° du III de l'article L. 723-2 (...) ". A cet égard, l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que: " I. - L'office statue en procédure accélérée lorsque : 1° Le demandeur provient d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr (...) ". Par une délibération du 9 octobre 2015, le conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a fixé, la liste des pays considérés comme étant des pays d'origine sûrs et l'Arménie est au nombre de ces pays.
12. Par ailleurs, aux termes du III de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 : " Le 2° du I de l'article 3, les c et d du 3(...) entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État, et au plus tard le 1er janvier 2019. (...), les 2°, 3° et 4° de l'article 12, (...) entrent en vigueur à cette même date et s'appliquent aux décisions prises après cette dernière (...) ". Il résulte de ces dispositions transitoires que le 7° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'applique aux décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides postérieurement au 1er janvier 2019. En conséquence, la situation du requérant devant être appréciée au regard des dispositions de l'article L. 743-2 du code précité dans leur rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018, l'intéressé, ressortissant arménien dont la demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 30 juillet 2019, n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors même qu'il a introduit un recours devant la Cour nationale du droit d'asile. Il en résulte que le représentant de l'État a pu légalement prononcer une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 6° du I de l'article
L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
14. Si M. C... fait valoir qu'il a en 2018 et 2019 bénéficié d'un suivi médical auprès du service de rhumatologie du centre hospitalier d'Orléans, il n'établit pas par les attestations médicales peu circonstanciées qu'il produit que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, alors que le le préfet n'a pas été saisi d'une demande de titre de séjour à raison de son état de santé de sorte qu'il n'était pas tenu de saisir pour avis le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le moyen tiré par le requérant de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
15. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) " et aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. ".
16. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations présente un caractère inopérant à l'encontre d'une décision d'obligation de quitter le territoire laquelle n'a ni pour objet ni pour effet de fixer le pays de destination.
17. Enfin, aux termes de l'article L 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Dans le cas où le droit de se maintenir sur le territoire a pris fin en application des 4° bis ou 7° de l'article L. 743-2, l'étranger peut demander au président du tribunal administratif ou au magistrat désigné statuant sur le recours formé en application de l'article L. 512-1 contre l'obligation de quitter le territoire français de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour( ....) . Le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin fait droit à la demande de l'étranger lorsque celui-ci présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d'asile, son maintien sur le territoire durant l'examen de son recours par la cour. ".
18. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 16 décembre 2019, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté le recours présenté par M. C.... Par suite, il n'y a plus lieu d'examiner les conclusions à fins de suspension présentées à titre subsidiaire par le requérant.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Loiret est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé sa décision portant obligation de quitter le territoire du 15 octobre 2019.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par M. C... ne peuvent dès lors être accueillies.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1903959 du tribunal administratif d'Orléans du 16 janvier 2020 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif d'Orléans est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre
- Mme Brisson, président assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2020.
Le rapporteur
C. Brisson
Le président
I. Perrot
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT00357